Témoignage de Cyril GAUGEZ, « gardien de la paix »
01 juin 2023Sa soif de justice a conduit ce jeune homme, né dans une cité du nord de la France, à devenir policier puis CRS. Depuis, confronté à la violence sociale, il trouve la paix en rencontrant le Christ miséricordieux, dont il témoigne autour de lui.
Ma grand-mère a joué un rôle important dans mon éducation et ma conversion. Dans la cité où j'ai grandi près de Maubeuge dans le nord de la France, sa maison était un havre de paix, j'y passais beaucoup de temps. J'ai été baptisé et ai fait ma première communion à sa demande, mais je n'avais pas la foi. Mon cheminement a commencé des années plus tard, quand elle est partie au ciel. Ma mère était hôtesse de caisse, mon père ouvrier dans la métallurgie. J'avais 18 mois quand ils ont divorcé. Nous vivions simplement avec ma mère et ma grande sœur, et j'ai compris très tôt qu'il fallait que je travaille pour m'en sortir.
Mon grand frère, qui vivait avec mon père et mon petit frère dans une autre cité, est devenu délinquant, il était mal entouré et a passé plusieurs années en prison. De mon côté, je n'ai pas eu les mêmes influences et me suis toujours battu pour éviter les problèmes. Dans la cité, la violence, verbale ou physique, était omniprésente. Je n'étais pas un garçon très bagarreur, mais je savais me défendre pour ne pas la subir. Dans la rue, je jouais un peu au justicier : je voulais protéger les plus faibles des plus forts. J'étais aussi très patriote. Je me souviens de cette phrase que j'ai toujours gardée en mémoire : « À celui qui n'a rien, la patrie est son seul bien. »
Après quelques années comme maçon, à 18 ans je suis devenu cadet de la République, une manière d'intégrer la Police nationale grâce à une formation d'un an en alternance. J’ai été envoyé dans le nord de la France en police secours dans une brigade de roulement, de celles qui répondent aux appels 17. Puis j'ai obtenu le concours pour devenir gardien de la paix, et ai rejoint la Compagnie républicaine de sécurité (CRS) no 46 à Sainte Foy-lès-Lyon, dans la banlieue lyonnaise.
Mon tout premier déplacement comme CRS, ce sont les attentats du Bataclan en 2015. Mais les manifestations de 2016, contre la loi El Khomri, relative au travail, m'ont le plus marqué. Les black blocs, ces individus cagoulés et hostiles aux forces de l'ordre, commençaient à apparaître dans la rue, et pour la première fois j'ai risqué ma vie. Quand ils sont arrivés, à plus de 800 déterminés à tuer du flic, nous étions 50 devant eux. Nous nous sommes retrouvés coincés contre un mur, c'est alors qu'une pluie de pavés et de bombes agricoles est tombée sur nos têtes. Nous n'avions pas eu le temps de mettre nos masques anti-gaz lacrymogènes. Une personne a été touchée à la tête et a eu le crâne ouvert. Nous avons tenté de la mettre en sécurité, mais les manifestants se sont retournés contre nous, pensant que nous étions responsables. En pareil cas, tu te demandes si tu es prêt à y rester pour 2000 balles par mois, pourquoi tu risques ta vie et si tout cela a un sens, mais tu restes concentré pour éviter un coup fatal. Deux de mes camarades ont été grièvement brûlés. j'ai été blessé au genou par les clous d'une grenade agricole. On s'est replié. Ce jour-là, j'ai compris l'effet de masse, le groupe qui prend le dessus sur l'individu et conduit à la violence gratuite qui vient de toutes parts. Cela faisait moins clïm an que j’étais CRS. « On a morflé, gamin », m'a lancé un collègue avec 30 ans d'expérience.
À cette époque dans mon métier, j'aimais changer de lieu en permanence, cela avait un goût d'aventure. J'étais fier aussi d'avoir un meilleur pouvoir d'achat qu'avant. Je pouvais aller au restaurant, et boire des coups dans des bars. Mais je ressentais aussi une grande frustration. Je voyais bien que nos missions n'allaient pas changer le monde. Il fallait servir et faire notre travail le mieux possible, mais nous déplacions un problème pour qu'il se reproduise ailleurs. Déjà en police secours dans le Nord, je me souviens d'une maman éreintée qui nous avait appelés en pleurs : si nous ne venions pas, elle allait tuer son fils. Ce garçon de 13 ans en imposait déjà, mais tant qu'il n'avait pas commis d'infraction, nous ne pouvions rien faire. Nous avons quitté la maison. Les délinquants récidivistes connaissent les limites d'intervention de la police et de la loi. C'est très frustrant. Je n'avais pas de prise et j'étais souvent déçu.
C'est dans ce contexte de crise sociale constante, et face au désarroi humain auquel j'étais confronté en permanence, que je suis devenu catholique en 2020. Lorsque ma grand-mère, celle que je chérissais tant depuis mon enfance, a reçu le sacrement des malades, elle était alitée sous morphine et ne nous reconnaissait plus. Mais quand le prêtre est entré dans sa chambre, elle lui a tendu la main comme si elle l'attendait. Nous avons récité le Notre Père. Elle bougeait les lèvres. Cela m'a donné une émotion forte, et alors que je n'avais jamais cru, je me suis entendu dire au Seigneur : « Si tu te manifestes, je croirai. » Quelques jours plus tard, je prends un covoiturage pour rejoindre mon lieu de déplacement et rencontre une jeune femme qui porte une croix. Elle me dit qu'elle est chrétienne évangélique, me parle de sa foi, prie pour moi et m'offre un Nouveau Testament. « Tout le monde peut croire, il suffit de ne plus être aveugle », a-t-elle glissé. Je me suis mis à prier régulièrement : « Seigneur, laisse-moi entrer dans ta maison, ouvre-moi ta porte. » Je n'avais pas encore la foi, j'avais soif, mais il me manquait l'eau vive.
Un jour, lors d'un déplacement, quatre collègues s'étaient réunis en civil à l'extérieur du cantonnement. Je m'approche d'eux machinalement. Ils lisaient des lectures pour célébrer la fête de Pâques. Je leur demande si je peux rester et l'un d'eux me dit : « Cyril, la porte est ouverte. » Le Seigneur répondait à ma prière. Le jour même, nous avons créé un groupe WhatsApp pour prier ensemble sur notre temps libre pendant les déplacements un peu partout en France.
Nous étions cinq au départ, ils sont 20 actuellement. De retour chez moi à Couzon-au-Mont-d'Or (Rhône), je suis allé à la messe dans ma paroisse. En m'approchant pour recevoir l'eucharistie, je suis tombé à genoux. J'étais bouleversé, enveloppé par une présence. Je me suis mis à pleurer. Le Seigneur était là. je ne pouvais plus en douter. Enfin, juste avant de passer les tests pour devenir brigadier, j'étais assez stressé et me suis énervé contre un collègue alors que nous nous apprécions beaucoup. La nuit même, j'ai vu le Seigneur S’adresser à moi dans un rêve. Il me disait qu'il était toujours avec moi, quoi qu'il arrive. De son côté mon collègue avait fait le même rêve. « Dieu me disait de garder confiance, et j'ai eu l'impression que cette parole était pour toi m'a-t-il dit les larmes aux yeux. Le lendemain,
pour la première fois je pouvais me reconnaître frère dans la foi avec quelqu'un. J’avais appris ce que signifiait être en communion : vivre les choses ensemble ou séparément, de la même manière. Aujourd'hui, après tout cela, c'est comme si le Seigneur me disait : « Maintenant, tu sais, c’est à toi de faire ton chemin. »
J'ai cherché le Seigneur pendant un an, choisir de croire m'en a pris encore un, et j'ai dû ensuite convertir ma vie. À Pâques 2021, j'ai vécu ma première confession. Je pensais que le prêtre allait me chasser de l'église. Au lieu de cela le Christ ressuscité m'a fait naître à une vie nouvelle. J'ai dû changer les habitudes que j'avais prises comme échappatoire par rapport à mon métier : les sorties, l'alcool, les filles... C'était comme retirer un vêtement sale pour en mettre un nouveau, mais je me suis dépouillé en même temps d'une grande tristesse qui m’habitait depuis longtemps.
En septembre de la même année, j'ai quitté les CRS pour avoir plus de temps à donner à l'Église. Je suis redevenu policier en sécurité publique. Cela reste un travail particulier avec des tranches horaires nocturnes. Mais j'ai aussi repris l'animation de l'aumônerie des lycéens dans ma paroisse. Au travail, je ne parle pas de ma foi, mais mes relations aux autres et mon tempérament ont changé. Je suis devenu plus tolérant. Même face à un public hostile envers la police, j'apaise les situations, j'essaie d'être d'humeur égale, au lieu d'entrer tout de suite dans la confrontation. Mes collègues disent que je suis un Bisounours, car j'ai une simplicité de cœur qui me rend un peu original. Sans faire de prosélytisme, j'essaie d'avoir des paroles de vie auprès des délinquants que je rencontre, pour qu'ils comprennent qu'une autre voie est possible. J'ai parfois des doutes sur la manière de continuer ma vie avec le Christ. Mais je viens de faire ma confirmation le jour de la Pentecôte, et à 31 ans, je prie pour rencontrer ma future femme et fonder une famille.
INTERVIEW DE ANNE-FRANÇOISE DE TAILLANDIER
La Vie, « Les essentiels » 1er juin 2023 pages 36 à 40
« Je suis touché par ce passage de l'Évangile, où chacun demande à saint Jean-Baptiste ce qu'il doit faire pour se convertir en fonction de sa condition. "Des soldats aussi l'interrogent en disant : « Et nous, que nous faut-il faire ? » Et il leur répond : « Ne molestez personne, n'extorquez rien et contentez-vous de votre solde » (Luc 3, 14)." J'ai reçu cette parole très personnellement, car cette probité fait partie de notre code de déontologie, que je mets en pratique chaque jour au travail. Avant même d'être chrétien, j'avais depuis toujours cette impartialité en moi, cette charité qui ne portait pas son nom. »
DEPUIS SA CONVERSION, Cyril Gaugez s'efforce d'exercer son métier de policier en « disciple du Christ. »
Les étapes de sa vie
1992 Naissance dans une cité près de Maubeuge (Nord).
2008 Travaille comme maçon.
2010 Intègre la police comme cadet de la République.
2015 Devient CRS au sein de la compagnie no 46 à Sainte-Foy-lès-Lyon.
2020 Conversion au catholicisme
2021 Quitte les CRS pour un groupe d’appui judiciaire et se met au service e sa paroisse