© Laurent Hazgui/Divergence pour Le Pèlerin Patrice Gaudin, prêtre de la communauté de l'Emmanuel, est le curé de la paroisse du Christ Ressuscité, au nord de Bondy.

© Laurent Hazgui/Divergence pour Le Pèlerin Patrice Gaudin, prêtre de la communauté de l'Emmanuel, est le curé de la paroisse du Christ Ressuscité, au nord de Bondy.

Il vit au pied des tours. Curé de la paroisse du Christ Ressuscité, au nord de Bondy, en Seine-Saint-Denis, le père Patrice Gaudin a vécu de l'intérieur les émeutes qui ont embrasé le pays à partir du 27 juin dernier. S'il connaît des casseurs et condamne leur violence, il invite les chrétiens à oser une mission de réconciliation.   

Le 4 juillet, vous avez cosigné une lettre adressée aux évêques de France1 dans laquelle vous leur demandez de soutenir les prêtres et les paroisses des cités. Pourquoi cet appel ?

Père Patrice Gaudin : Les églises des quartiers populaires se situent au coeur du réacteur, et pourtant demeurent hors des radars. Exercer la prêtrise dans une cité constitue une mission si particulière et peu connue au sein de l'Église. Envoyé dans cette cité au nord de Bondy, en Seine-Saint-Denis, après avoir été dix ans le curé d'une grande paroisse bordelaise, j'ai découvert la richesse et la complexité de ces quartiers. Il a fallu comprendre et accompagner les chrétiens de plus de trente nationalités différentes, chacune avec ses rites et ses cultures, faire face à des questions interreligieuses ou des situations graves. J'ai mesuré à quel point le dynamisme d'une paroisse est indispensable et porte des fruits dans une vie locale souvent difficile. Ici, le rôle du prêtre s'inscrit au coeur de la vie de la cité. Avec d'autres prêtres et laïcs, engagés dans les quartiers populaires, nous avons créé la Fraternité missionnaire des cités pour nous soutenir mutuellement. Mais nous souhaitons également attirer l'attention sur la réalité de nos paroisses.

Ces dernières semaines, vous avez vécu les émeutes en première ligne… Que s’est-il passé les premiers soirs ?

Je me trouvais en Terre sainte pour fêter mes vingt ans d'ordination lorsque j'ai appris la mort de Nahel. J'ai découvert avec effroi les voitures brûlées, les commerces et services pillés, l'unique supermarché dévasté… Les réseaux sociaux ont contribué à l'emballement et tout a pris des proportions terribles. La destruction est énorme. Sur le coup, j'ai ressenti une terrible impuissance. Le vendredi, dans l'avion, je comptais les heures. Une fois arrivé, j'ai posé mon sac à dos et je suis aussitôt parti dans la rue pour comprendre et discuter avec les jeunes.

"Je suis un missionnaire qui a besoin d'aller sur le terrain. Quand je mets mes baskets le matin, je pars en mission. Jésus a beaucoup marché dans l'Évangile ; un prêtre doit en faire autant dans sa paroisse. Je m'entraîne actuellement pour participer à un Iron man: 3,8 km de natation, 180 km à vélo et 42 km de course à pied."

Que leur avez-vous dit ?

Je les ai d'abord écoutés. Je leur ai ensuite dit que j'entendais leur colère. Mais que la manière dont elle s'exprimait était horrible, qu'ils n'avaient pas le droit de détruire. La voiture qu'ils brûlent appartient à une maman, un papa qui en a besoin pour travailler et rembourser le crédit qu'il a dû contracter pour l'acheter. Ici, tout le monde croit en Dieu. Il n'y a pas d'indifférence face à la religion. Assez vite, je peux donc m'engager sur le terrain spirituel. Je leur dis que Dieu, Allah ou Jésus ne sera jamais d'accord avec le vol et que la destruction ne peut venir de lui. Que le démon se sert de tout ce qu'il peut pour faire le mal: nos blessures, nos fragilités, nos colères. Ils s'y montrent sensibles. Lors de l'homélie de dimanche dernier, j'ai aussi appelé les jeunes chrétiens à parler à leurs amis en ambassadeur de paix. Dans l'Évangile, la non-violence de Jésus les interpelle.

La cité constitue une famille et le prêtre en fait partie. Nous vivons au milieu d'eux.

Mais les jeunes vous écoutent-ils ?

La cité constitue une famille et le prêtre en fait partie. Nous vivons au milieu d'eux. Peu importe la religion, la figure du prêtre inspire une immense confiance. Cela me touche toujours, voire me bouleverse. Le soir du pillage d'un grand magasin d'électroménager, je savais qu'une action se préparait. Je n'ai pu l'empêcher. En revanche, je suis persuadé que, ce soir-là, j'ai évité à certains d'entre eux d'y participer.

Pourquoi toute cette violence ?

Les jeunes éprouvent un mal-être profond à tous les niveaux. La mort de cet enfant qui aurait pu être leur frère a servi de déclencheur. "Un de plus." C'est injuste. Mais il y a aussi un besoin très fort de reconnaissance, de dire qu'ils existent, de verbaliser leur sentiment de se sentir des "oubliés du système". La vie dans la cité est difficile, l'inflation redoutable, la plupart des familles ont du mal à tenir le mois. Au point que, pour certains, le pillage de l'unique supermarché du quartier a été un soulagement. Confrontés quotidiennement aux rues sales, aux infrastructures insalubres, aux transports inaccessibles, ils se sentent abandonnés et en ont marre.

École ou mairie brûlées, magasins pillés… La colère ne peut justifier tant de dégâts !

Ce sont des enfants très jeunes qui se lancent dans la mêlée. Certains ont à peine 12 ans! C'est dramatique, et je ne crois pas qu'ils réalisent la portée de leurs actes. Je mesure plus que jamais le déficit d'éducation chez les plus jeunes. À leur âge, la notion du mal et du bien reste subjective. Et quand personne ne vous aide à les définir et à en poser des limites, vous les bricolez à votre manière. Je suis stupéfait d'entendre certains me dire: "Ce n'est pas moi qui ai cassé le magasin! Je me suis juste servi une fois que c'était ouvert, ce n'est pas un mal." Et leur réflexion s'arrête là.

Comment a-t-on abouti à un tel déficit ?

Cette situation résulte d'un système éducatif qui ne fonctionne pas. L'Éducation nationale a fait naufrage. À cela, il faut ajouter que, dans les banlieues, les parents réalisent plus difficilement le suivi. Souvent parce que c'est aussi incompréhensible pour eux. Avec la paroisse, nous proposons des sorties culturelles pour les jeunes, dont la plupart ne quittent jamais la cité. Je suis sidéré d'avoir à apprendre à des collégiens ce que sont l'Élysée ou les Invalides. Nous vivons à 10 km de Paris…

Des plans d’investissement massifs ont pourtant été mis en place ces dernières années pour les cités…

Oui, il y a par exemple eu récemment une politique de construction de nouveaux logements. Sur le papier, c'est formidable. Mais venez voir dans quel état ils se trouvent déjà! Et cela n'a rien à voir avec les habitants. La construction est bâclée, les matériaux se détériorent très rapidement. Concernant les écoles, le monde de la santé, les commerces, les services apparaissent sous-dimensionnés par rapport aux nombres d'habitants. Faire des chèques ne suffit pas, il faut aussi pouvoir suivre humainement et s'y investir.

En tant que chrétiens, nous avons pour mission de croire en cette réconciliation et d'assurer la concorde.

Ces dernières semaines n’ont fait qu’attiser l’animosité de la population envers les jeunes « des quartiers ». Une réconciliation reste-t-elle possible dans ce contexte ?

Ces violences compliquent une situation déjà difficile. En tant que chrétiens, nous avons pour mission de croire en cette réconciliation et d'assurer la concorde. Artisans de paix, il nous revient de prêcher inlassablement la possibilité d'un vivre-ensemble, que cela vaut la peine de s'asseoir et de s'écouter. Nous ne pouvons accepter la destruction et devons dire à ceux qui cassent qu'ils font du mal. Pour autant, il faut aussi écouter ce que les quartiers populaires ont à dire. Dans les cités, je suis convaincu que l'Église a un vrai rôle à jouer.

 

Comment ?

En y envoyant plus de prêtres partager, comme moi, le même quotidien que les habitants. Mais c'est encore trop rare. L'église au coeur de la cité donne de la vie au quartier. Les portes doivent rester ouvertes afin que les riverains sachent qu'au pied de chez eux se trouve un lieu d'écoute et de paix.

Plus largement, les chrétiens doivent aussi veiller à ne pas entrer dans des discours ostracisants. Les cités n'abritent pas seulement des dealers, des profiteurs, des voyous. Bien sûr, il y a du trafic, des voitures brûlées et des jeunes qui cassent. Mais des travailleurs méritants et courageux y habitent aussi. Certains cumulent trois emplois pour loger leur famille dignement. Femmes de ménages, dépanneurs, agents de sécurité…, ils ont souvent plus de deux heures en transports en commun pour aller travailler. Il y a aussi des chrétiens très engagés localement. Leur foi porte du fruit pour l'ensemble des habitants. Ils n'ont pas peur d'évangéliser et pourraient bien réveiller une Église d'Occident fatiguée. La réalité des paroisses des cités est magnifique, il s'y passe quelque chose de prophétique…

Nos paroisses sont des mines d'or d'humanité, de spiritualité, de zèle missionnaire, de service, de réconciliation et de joie.

"J’œuvre pour que la maison du Seigneur apporte de la beauté dans le quotidien des habitants de la cité. J'ai accroché de grands portraits de saints pour donner de la vie et de la couleur aux murs de béton. Je cherche à mettre du beau dans un quartier moche. Et de la joie pour témoigner de l'amour de Dieu."

Est-ce un motif d’espérance pour l’avenir de l’Église ?

Nos paroisses sont des mines d'or d'humanité, de spiritualité, de zèle missionnaire, de service, de réconciliation et de joie. Malgré les difficultés de la vie quotidienne, les gens ici aspirent au bonheur. La paroisse se remplit chaque semaine un peu plus. J'ai tellement de jeunes que je ne sais plus où les mettre ! Quand je raconte avoir célébré quarante baptêmes en un week-end, certains n'en reviennent pas. Dans mon quartier, quatre-vingt-dix nationalités cohabitent. Dans une messe, nous rassemblons trente nationalités et autant de cultures qui prient ensemble. L'esprit de fraternité et la chaleur humaine qui s'en dégagent me touchent chaque jour un peu plus. Pour moi, l'avenir est là. Et il est beau.

Cécile Picco

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