Abbé Pierre, reviens !
03 févr. 2024Éditorial
« Mes amis, au secours ! », le cri lancé par l’abbé Pierre durant l’hiver 1954 peut encore aujourd’hui résonner, tant la crise du logement s’est aggravée avec plus de 4 millions de mal-logés et 330 000 sans-domicile-fixe.
Quand on est au cœur de l’humain, quand il ne s’agit que de l’essentiel, est-il possible d’ordonner des priorités ? Est-ce même tout simplement décent ? Santé, alimentation, logement, paix civile… tout est brûlant. Avec cette caractéristique propre au logement que sa défaillance cause la mort. En France, aujourd’hui, ne pas avoir de toit peut être fatal. Deux personnes par jour meurent dans la rue. Dans son rapport annuel rendu public mercredi 31 janvier, la Fondation Abbé-Pierre déplore la rigueur budgétaire qui depuis des années a affecté négativement la politique du logement, avec pour conséquence la précarisation croissante de la population. Aujourd’hui, le mal-logement concerne 4,16 millions de personnes en France, dont 330 000 sans-domicile-fixe, deux fois plus qu’en 2012.
Détail qu’on aurait tendance à négliger et qui a pourtant son importance : l’abbé Pierre est un homme d’Église. À défaut de hanter les couloirs ministériels, sa mémoire illumine beaucoup de fidèles et de communautés. Dans chaque diocèse, l’Église met le pied dans la porte pour que la société ne se referme pas sur sa routine. Les églises – je parle là des bâtiments – servent d’ailleurs régulièrement de refuge, comme l’église du Saint-Sacrement à Lyon en décembre dernier, occupée par des mineurs migrants sans papiers et sans toit. Plus globalement, les pouvoirs publics le savent : quand il y a besoin de bras et de cœur, ils n’oublient jamais l’Église.
Mais qui entend encore ce cri de l’abbé Pierre : « Mes amis, au secours ! » ? La situation actuelle ferait sortir l’abbé Pierre de ses gonds, et qui sait ? De son tombeau aussi ! « Mes amis, au secours ! Il n’y a pas que Gaza désolée et l’Ukraine meurtrie où reconstruire des maisons. Dans notre quartier, il manque des toits. Nous vivons avec des réfugiés ordinaires, vivant sous des toiles de tente. Partout, on parle de mérite. Justement ! Ils n’ont pas mérité ce sort. Souvent déjà victimes de tant de violences, ils sont à la rue parce qu’ils y ont été poussés et parce qu’ils ne se sentent pas légitimes ailleurs. Il faut en finir. Écoutez-moi ! »
Ce cri devrait résonner partout. Pascal Brice, président de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), ne manque pas une occasion pour redire combien tous ceux qui ont un toit, et à plus forte raison ceux qui sont correctement logés ne doivent pas détourner les yeux de cette réalité, parce qu’elle est le foyer d’une misère et d’une souffrance qui ne peuvent pas nous laisser indifférents. L’abbé Pierre en 1954 a prouvé qu’il n’y avait pas de fatalité. Aujourd’hui, nous savons cela. Nous devons donc être chacun, en quelque sorte, des abbé Pierre.
Arnaud ALIBERT