Synode : « La triade diacre, prêtre, évêque est un cadre d’organisation qui doit évoluer »
20 juil. 2024Le pape François prie lors d’une visite pastorale à Trieste à l’occasion de la 50e semaine sociale des catholiques italiens, le 7 juillet. ANDREAS SOLARO / AFP
Pour la sœur Christiane Joly, le plus important dans le synode que vit l’Église est probablement l’expérience de ces échanges collectifs. Elle appelle à prendre au sérieux la « fronde » des femmes dans l’Église et regrette les déclarations intempestives du pape François sur le sujet.
D’une session à l’autre du synode, où en sommes-nous ? « Le saint peuple de Dieu a été mis en mouvement pour la mission grâce à l’expérience synodale », a déclaré le Cardinal Hollerich (1). Invités à échanger entre eux par la méthode des conversations dans l’Esprit, clercs et laïcs ont appris à s’écouter et à partager librement leur vision de l’Église. C’est sans doute le fruit le plus important : l’expérience d’une synodalité vécue.
De ces échanges est apparue clairement la diversité des manières de vivre la même foi chrétienne d’un continent à l’autre. L’Église s’est découverte plurielle dans une unité à vivre autrement : comment envisager le rôle d’unité de l’Église ? quelle autorité le Pape doit-il exercer et comment ? Cette question ne peut être envisagée en dehors des relations des Églises entre elles : « synodalité et œcuménisme (dit le Pape) sont en fait deux chemins qui avancent ensemble unis par un même objectif, celui de la communion. » (2)
La bénédiction des couples homosexuels
Mais si la méthode synodale se révèle fructueuse, des entorses malencontreuses en ont un peu terni la crédibilité : c’est le cas de la promulgation de Fiducia Suplicans, texte qui autorise la bénédiction des homosexuels désireux de vivre en couple. La question avait émergé des premières consultations et devait être débattue à la deuxième session synodale, Rome a anticipé, dommage !
Plus surprenant encore le « no » du Pape François au diaconat des femmes au cours d’une interview à la TV américaine le 21 mai dernier. Cette prise de position publique, en dehors du cheminement de la réflexion synodale a été fort mal perçue ! Sur ce sujet hautement sensible, qu’elle est d’ailleurs la position réelle du Pape ? Ses hésitations sont perceptibles.
Démasculiniser l’Église
Depuis 2017, le Pape cherche à insérer davantage les femmes dans le tissu missionnaire responsable de l’Église, et ne cesse de répéter d’une manière ou d’une autre : « il faut démasculiniser l’Église ». C’est lui qui a voulu les deux Commissions successives de travail sur le diaconat des femmes, Commissions qui n’ont malheureusement pas abouti, du fait de désaccords entre les membres.
Quatre fois depuis la fin de la première session du synode, le Pape a pris l’initiative de faire venir des femmes au C9, son conseil privé des cardinaux. Il a confié l’organisation de ces réunions à Sœur Linda Pocher (3). À sa demande, une première rencontre a porté sur un aspect de la théologie d’H.U. von Balthasar : le principe marial et le principe pétrinien, sur lequel il s’appuie pour écarter l’ordination des femmes.
Les trois théologiens présents ont montré l’inadaptation de cet aspect de la théologie d’H.U. von Balthasar à la question du sacerdoce éventuel de femmes. Qu’en a retiré le Pape ? Il a tenu à préfacer le livre qui relate cette rencontre : ces réflexions dit-il (…) veulent ouvrir plus que fermer ; provoquer à réfléchir, inviter à chercher, aider à prier (…) le point d’arrivée, lui, est dans les mains de Dieu (4).
Alors que signifie à la fois ce désir de faire avancer la réflexion et cette prise de position intempestive le 21 mai dernier, dont il faut reconnaître qu’elle n’a aucune valeur magistérielle !
Au risque du schisme ?
Mgr Vesco avance ceci : « La première raison, c’est la responsabilité du pape comme gardien ultime de l’unité de l’Église. Il lui revient d’estimer les limites de son « élasticité ». La prise de conscience des diversités d’approche de la vie chrétienne dans une Eglise mondialisée a fait surgir des tensions, et le rôle des femmes en particulier est perçu de manières bien différentes suivant les pays. L’Église dans son ensemble peut-elle accueillir sereinement une modification de leur statut ecclésial ? D’où le este momento, no va (5) du Pape François.
De fait, un risque de schisme n’est pas à exclure, mais l’immobilité n’est-elle pas en train d’en générer un ? Outre les départs massifs des femmes du tissu ecclésial, on ne peut ignorer les ordinations presbytérales de femmes, par des évêques catholiques, désobéissant au Pape, dans plusieurs régions du monde.
Cette fronde est à prendre au sérieux. La question se pose ainsi : comment vivre cette « égalité » hommes femmes qui est au cœur du message évangélique et dont la mission a besoin dans notre Église aujourd’hui ? Il faut une « réflexion en profondeur sur le sacrement de l’ordre. Tout en lui est-il intangible, fixé pour l’éternité ? » avance Mgr Vesco. Le Christ n’était pas prêtre, il a laissé à l’Église le soin d’organiser le service spirituel du Peuple de Dieu sans donner de règle sinon celle de l’amour. La triade hiérarchique diacre, prêtre, évêque a structuré l’organisation de l’Église pendant deux millénaires, mais elle n’est qu’un cadre d’organisation qui peut et doit évoluer.
Les habitudes de la vieille Église
C’est ce qu’explique Christoph Théobald qui souligne clairement combien l’Église a besoin d’une Théologie et d’une ecclésiologie synodales (6). Comme l’a vécu spontanément l’Église primitive, c’est à partir des besoins spirituels du peuple de Dieu et des charismes divers donnés par l’Esprit aux baptisés qu’il faut ajuster les responsabilités ecclésiales, les ministères confiés, et situer une nécessaire autorité garante de l’unité du Corps eucharistique du Christ.
En conclusion, le synode actuel est un processus, le peuple de Dieu est en marche. Il a besoin de se convertir à l’écoute des différences des frères entre eux ; il a besoin de réflexion théologique enracinée dans le cœur du message chrétien ; il a besoin d’imagination pastorale pour inventer les chemins qui rejoindront le peuple de Dieu dans la diversité de ses besoins ; tout est lié !
Mais nous n’en sommes qu’à la prise de conscience de ce changement de civilisation qui bouleverse les habitudes de la vieille Église. À nous d’être des Pèlerins de l’Espérance comme nous y invite le Pape, sûrs que l’Esprit Saint guide son Église, à condition que nous lui soyons réceptifs, cœurs et intelligences ouverts à sa lumière, avec une humble patience, Adsumus !
(1) Cal Hollerich, Zénit, 26 juin 2024
(2) Synod. Va 11 septembre 2023
(3) Sœur Linda Pocher, Salésienne, théologienne spécialiste de H.V.Balthasar
(4) Lucia Vantini, Luca Castiglioni, Linda Pocher : « Smaschillizare la chiesa » ? Confronto critico sui « principi » du H.U.Von Balthasar ; Prefazione di Papa Francesco ; ed. Paoline, Milano 2024. Les citations sont tirées de l’ouvrage et traduits par l’auteur de cet article
(5) Pape François, interview avec Kath. Ch, Weilerjournal Aciprensa Pérou 19 février 24
(6) Entretien avec C. Theobald, Études octobre 2019
Christiane JOLY
Journal La Croix
Christiane Joly, Communauté apostolique Saint-François-Xavier, auteur de Envoyés ensemble ! Le rôle des femmes dans la mission de l’Eglise, Pour une réflexion synodale, éd Saint-Léger