Une famille dans la diversité : Marie-Agnès et Séverin Pelletier

II nous arrive souvent de nous poser cette question : comment se fait-il que chez certaines espèces végétales et animales, les individus cohabitent malgré des morphologies et une palette de couleurs garnie et que cela soit si complexe pour l'être humain ?

D'où nous vient, cette obsession, cette quête de supériorité, ce désir de domination dans l'histoire humaine qui a permis de classifier, hiérarchiser, pointer chez son alter ego des raisons de le déshumaniser ?

Rencontre
Née à Dakar, au Sénégal, j'ai eu la chance dès mes premières années de vie de côtoyer plusieurs communautés (libanaise, européenne...) à travers les commerçants, l'école, le personnel administratif, le spirituel (présence de congrégations ou de confréries), la santé„. Très vite il m'a été donné de constater que certaines valeurs (courage, générosité, sens du devoir...) n'avaient ni pays, ni odorat encore moins une couleur.
C'est dans ce pays bien des années plus tard que j'ai rencontré celui qui, venu faire son service militaire en tant que professeur dans un établissement privé catholique géré par une congrégation de religieuses, allait devenir mon mari « gaulois » Séverin. Dans sa famille, son grand frère avait déjà été en coopération à Madagascar et leur père, agriculteur, président de l'AFDI (association des Agriculteurs Français pour le Développement International) s'était déjà rendu à plusieurs reprises au Burkina Faso dans le cadre d'échanges.
Heureux de nos sentiments naissants, nous décidâmes de découvrir un peu plus nos différents environnements, nos centres d'intérêts, nos familles... je fus donc invitée à me rendre en France.

Visa
Nous étions loin de nous douter que ma première demande allait nécessiter beaucoup de patience et d'humilité. Tout simplement refusée et ceci sans aucune explication, au motif que c'était un visa touristique. À l'époque, l'ambassade de France au Sénégal fonctionnait avec un quota de demandes par jour (sur la base de quotas annuels négociés lors des échanges bilatéraux), du coup étaient servis les premiers arrivés. Certains se relayaient dès l'aube pour être sûrs de ne pas rentrer chez eux bredouilles surtout lorsqu'ils avaient fait plusieurs centaines de kilomètres en provenance des régions plus enclavées. Les demandes étaient traitées le matin et les résultats annoncés dans l'après-midi, aucun frais engagé n'était restitué en cas de refus.

Salariée, j'avais obtenu et déposé tous les documents demandés, enrichis par les recommandations de mon employeur. Sans l'intervention d'une amie, assistante d'un député, qui, après avoir pris connaissance de notre dossier accepta de se porter garante, je n'aurais pas pu vivre ce séjour d'un mois, l'occasion de faire connaissance avec certains membres (certains âgés, plus de 90 ans) de ma future belle-famille, des moment précieux et rassurants pour la construction de notre couple. À la fin de mon séjour, une fois rentrée à Dakar et constatation faite par l'ambassade, la garantie fut levée.

Forts entre autres de cette expérience, il était important pour nous, à travers notre mariage, de lancer des ponts, tisser des liens de part et d'autre de l’Atlantique, partager et vivre les joies et les richesses de nos dimensions culturelles, politiques, spirituelles tantôt complémentaires et parfois opposées.

Engagement
Reconnaissants et conscients d'avoir tous deux baigné dans les eaux de foyers aimants, d'une Église universelle, nous nous réjouîmes de voir nos familles dialoguer, palabrer dans la même langue, constater des préoccupations communes. II y a donc eu du mouvement, des compromis ou des renoncements pour célébrer nos fiançailles à Dakar, puis notre mariage : civil en France, religieux au Sénégal puis retour de mariage en France. Une fois nourris de toutes ces rencontres, c'est en Normandie que nous avons posé nos valises en tant que jeune couple.
Avec d'autres jeunes notamment issus des quartiers, nous avions tout naturellement créé l'association Domou Adouna c'est-à-dire Citoyens du monde, un lieu de questionnement, d'affirmation d'identité, de ressourcement, de fraternité et de sororité bref un lieu de vie.

Travail
Malgré le fait d'avoir été assistante commerciale puis responsable d'équipe dans mon pays d'origine, je tenais à m'imprégner de l'écosystème professionnel français avant de postuler en entreprise.
C'est en ce sens que je me suis inscrite à une formation en lien avec le commerce. Tout se passait très bien jusqu'au moment où nous devions partir en stage pour valider cette dernière. Ma centaine de demandes s'était avérée infructueuse. La date limite approchant et toute la promo ayant trouvé sauf moi, notre référente m'avait alors suggéré de retirer ma photo de mon CV et de jouer sur mes prénom et nom de famille « qui passaient bien Bien entendu au début j'avais refusé par fierté, orgueil„. non seulement j'avais quitté les miens, mes repères„. il fallait en plus que je me dépouillasse d'une partie de mon identité. une fois le dos au mur, j'ai suivi ses préconisations et peu de temps après avoir enlevé ma photo, les réponses positives ont commencé à arriver. Une fois en entretien physique, les craintes et autres préjugés (de chaque côté) furent levés et c'est dans un environnement bienveillant que je pus réaliser mon stage et valider ma formation.

Famille
Bien des années plus tard, en 2017, c'est en famille avec nos quatre enfants que nous nous sommes rendus au Japon pour le travail (pays réputé nationaliste, parfois même raciste). L'épouse d'un ancien chef de Séverin nous avait partagé son mal-être au Japon lors des premiers mois qui suivirent son arrivée : un sentiment d'indifférence, de transparence qui la rendait non-existante. C'est en connaissance de cause et dans l'optique d'instaurer un climat de confiance que nous avons pris les devants en arrivant dans notre quartier situé près de l'institut français à Tokyo. Nous avons donc préparé et distribué des courriers de présentation dans toutes les boites aux lettres de nos voisins. Ces derniers, agrémentés des dessins de nos enfants, puis transcrits en trois langues (français, anglais et japonais), évoquaient la composition de notre famille, de nos origines et de la formidable opportunité que nous avions de faire leur connaissance et vivre un nouvel enrichissement culturel... Non seulement, ils nous ont tous répondu mais ils ont été attentifs et disponibles tout au long de notre séjour, à travers des recommandations, des cadeaux... Ils étaient tous présents lors de notre fête de départ. Ce qui a suscité quelques interrogations chez des familles étrangères qui n'avaient pas eu cette opportunité.
Reconnaître en chacun sa part d'humanité, c'est le présent précieux qu'il nous a été donné d'ouvrir sur trois continents. II est à préserver, à partager, à cultiver. Oui, il nous est arrivé d'entendre des mots ou des réflexions faisant écho à l'imaginaire de la classification selon la craniométrie, la céphalométrie, la couleur... Seulement nous avons tellement reçu de nos familles, de nos amis et de nos voisins que nous faisons le choix de la volonté de vivre sous le même ciel en Sœur et frère en humanité riches de nos différences. Nous nous estimons chanceux et reconnaissants

Marie-Agnès SARR-PELLETIER

A propos de l’auteure

Marie -Agnès Sarr. Pelletier (franco sénégalaise et auto entrepreneure) et Séverin Pelletier (directeur industriel) sont parents de quatre enfants. Ils ont vécu au Sénégal en France et au Japon.

Lettre aux Communautés de la MISSION DE FRANCE
N°322 Juillet Septembre 2024
Pages 63-66

« I have a dream »
« Tout est couleur »
Face au défi du racisme recréer le politique

www.missiondefrance.fr

 

 

 

Retour à l'accueil