« J’étais un étranger et vous m’avez accueilli » !

On m’a demandé d’écrire un témoignage pour rendre compte de mon engagement auprès des migrants. J’ai choisi de le publier sur mon Blog :

Jésus dans l’Evangile (en Matthieu 25, 35 : « j'étais un étranger, et vous m'avez accueilli ») nous interpelle sur l’accueil de l’étranger. La profession de foi des Hébreux dans la Bible l’affirme : « Mon père était un Araméen errant » Deutéronome 26,5. Refuser d’accueillir les migrants c’est refuser notre propre humanité, nous enfermer dans nos « pseudo-sécurités » et nous couper de la source de notre foi !
Le suis prêtre depuis 46 ans et dès les débuts de mon ministère (en 1978) je partageais la vie d’un prêtre ouvrier maçon à Grenoble, Jean DERIES, qui travaillait sur les chantiers du bâtiment avec des migrants de nombreux pays.
Depuis que je suis dans l’Eure (1988) j’ai accompagné des personnes auprès des autorités pour les aider à obtenir un « titre de séjour ». Depuis ma retraite professionnelle (2014) je me suis engagé à Vernon dans l’Association d’Entraide aux Migrants » (l’ADEM) dont j’ai été le secrétaire durant 10 ans. Aujourd’hui je participe aux permanences de l’association et j’accompagne des personnes en détresse.
L’accueil de l’étranger n’est pas une idéologie. Nous ne sommes pas des utopistes. Nous recevons des personnes qui fuient la guerre, la misère, la violence (mariages forcés, excision.) mais aussi des personnes qui fuient leur pays espérant trouver un « eldorado » et qui maquillent les motifs de leur exil.
Souvent ils ont payé des passeurs de 5.000 à 10.000 euros (ce qui veut dire qu’ils se sont dépouillés de tous leurs biens). Les femmes et les jeunes filles sont également victimes de proxénètes qui les mettent sur le trottoir pour leur faire payer leur exil !
La rencontre des migrants et le fait d’être confrontés à des parcours humains de galère, de violences et de mort sont des épreuves qui ne peuvent nous laisser indifférents.
Il est difficile de garder recul et sang-froid pourtant indispensables.
Nous nous laissons emporter (et c’est normal) par nos sentiments de compassion et de solidarité. Nous éprouvons aussi de l’impuissance, de la révolte ou de l’écœurement.
Il faut du temps et avoir appris de nos échecs pour trouver un juste équilibre entre la compassion devant les traumatismes de l’autre et l’aide à apporter en toute « humilité » !
Nous travaillons en lien avec de nombreux partenaires et c’est ce qui garantit notre efficacité : autorités, services sociaux, associations, avocats… Nous renvoyons souvent les personnes que nous accueillons vers eux sauf dans les cas où ces organismes sont empêchés d’agir (pour les personnes sous arrêté d’Obligation de Quitter le Territoire (OQTF) par exemple.)
Mais quelle joie quand nous avons pu accompagner pour son entretien un demandeur d’asile à l’Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides (l’OFPRA à Fontenay sous-bois) après avoir préparé avec lui (ou elle) son dossier et que deux mois après cette personne est accueillie comme réfugié(e) !
Quelle joie lorsque que nous avons réussi à permettre un réexamen par la Cour Nationale du Droit d’Asile d’une demande d’asile qui avait été « expédiée » et que ce réexamen aboutit – avec l’aide d’un avocat motivé – au statut de réfugié !

Quelle joie quand nous obtenons le sésame « admission au séjour à titre humanitaire et exceptionnel » de la préfecture !
Quelle joie quand des personnes viennent nous revoir à la permanence avec le titre de séjour qu’ils ont obtenu afin de nous remercier.
Mais chaque année avec quelques dizaines de réussites sur plus de 200 personnes accueillies, il faut bien le reconnaitre, il y a aussi de nombreux échecs d’autant que le Droit au Séjour des étrangers s’est lourdement réduit ces dernières années.
Chaque année nous invitons des personnes et lorsque c’est envisageable - afin de les sortir de la clandestinité et des réseaux maffieux - à bénéficier de l’aide au « retour volontaire » dans leur pays.
L’accueil des personnes migrantes connait plusieurs étapes : l’accueil, l’écoute, la compassion. C’est l’étape indispensable qui permet déjà des conseils avisés. Mais il en est une deuxième plus difficile : établir une relation de confiance. C’est lorsque la confiance est au rendez-vous et que la personne nous dit la vérité sur son parcours que nous pouvons nous engager beaucoup plus loin jusqu’à mettre en jeu notre « crédibilité » auprès des autorités.
La rencontre des migrants est très souvent une rencontre de foi. Pour nombre d’entre eux c’est une foi exceptionnelle qui les fait « tenir ».
Jamais je n’avais reçu d’aussi belles bénédictions que depuis que j’accompagne des migrants. Et parmi les plus belles celle de croyants musulmans.
Ma paroisse ce sont plus de mille migrants que j’ai rencontrés depuis plus de 10 ans hommes, femmes, adolescents, enfants...
Ils étaient plus de 15 nationalités présentes en 2018 à la messe et à la fête de mes 40 ans d’ordination à Vernon.
Avec eux je découvre que le ministère du prêtre c’est de faire signe et que ce signe c’est d’aimer, d’aimer vraiment !
L’amour ne divise jamais, il multiplie, il unit !

Denis CHAUTARD
Prêtre de la Mission de France à Vernon (Eure)
Le 6 octobre 2024

 

 

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