Retrouver le sens du dialogue, homélie de Mgr Laurent ULRICH
12 oct. 2024Extraits de l'homélie de la messe de rentrée des parlementaires à Ste-Clotilde Paris (7ème), mardi 1er octobre 2024 en la fête de sainte Thérèse de Lisieux.
Depuis la dernière messe des parlementaires, la vie politique de notre pays est marquée par des moments difficiles. On songe évidemment à la crise ouverte par la dissolution de l'Assemblée nationale, mais la démocratie a pu donner d'autres signes qui confirment le phénomène, devenu chronique, d'un affaiblissement du débat, d'une aporie du dialogue. Ces signes confirment hélas les intuitions que l'Église avait émises, par la voix de ses évêques, lors des précédentes échéances électorales, en invitant à redonner sens à l'action politique.
On voit ainsi que la tentation individualiste qui est au coeur du principe régnant de « société liquide », autrement dit de société de la déliaison, semble s'opposer en tous points à la cohésion nécessaire à notre pays. Mais notre expérience de croyant nous donne de jeter un regard particulier sur la situation, un regard que, certes, d'aucuns récuseront comme irrationnel. C'est pourtant, de façon très humaine, un regard de confiance, parce que la foi chrétienne n'abandonne personne au désespoir ; c'est un regard d'amour du prochain, qui reconnaît à chacun la faculté d'agir dans la liberté absolue qui nous vient de Dieu et ne s'exprime jamais mieux que lorsque nous le laissons nous rejoindre au plus profond de notre conscience. La lutte contre l'individualisme est éternelle : elle est le fondement même de l'action civilisatrice dans laquelle l'humanité se distingue. Mais convertir ce réflexe archaïque du repli sur soi passe par une adhésion libre et personnelle. Comme nous le rappelait la Rencontre internationale pour la paix de la Communauté Sant'Egidio, que nous venons d'accueillir, on ne gagne la paix qu'au prix du dialogue et d'un dépassement de lignes qui ne sont jamais aussi figées, ni éloignées, qu'elles le paraissent.
Pour mettre en oeuvre cette voie de dialogue au service du progrès collectif, l'Église n'en reste pas à la théorie. Elle s'appuie sur sa nature synodale. [... ] Le débat parlementaire n'est évidemment pas de même nature, mais il requiert aussi le respect de la parole de l'autre en vue de parvenir le plus sûrement à l'intérêt général qui le guide, voire au Bien commun le plus propre à créer de la cohésion dans le cadre d'une authentique démocratie. C'est bien sûr un défi majeur auquel nous convoque notre pays [...]. Le défi de soigner le débat parlementaire qui ne peut pas se laisser entraîner aux effets trop immédiats, mais devrait au contraire s'efforcer de retrouver le temps long : le destin d'une société l'exige, tandis que l'agitation permanente, la compétition effrénée et le goût insatiable de la nouveauté nous privent de ces vraies maturations de la réflexion. Pourrait-on attendre des partis politiques qu'ils deviennent ou redeviennent des laboratoires de réflexion, d'analyses de situation, se posant en observateurs attentifs, en auditeurs fiables des aspirations, dans des séances aussi patientes que passionnées ? Et c'est le sens même de la démocratie. Le corps électoral n'a-t-il pas implicitement souhaité provoquer ses représentants à poursuivre cet exercice du dialogue en vérité, en ne donnant à aucun mouvement le moyen d'agir seul ? N'est-ce pas une sage invitation à voir, au-delà de la sanction majoritaire dont on se satisfait la plupart du temps, l'intérêt de cultiver l'ambition du consensus ? Ceci concerne évidemment les questions graves qui viendront en débat prochainement et qui s'imposeront à tous les citoyens mais ne sauraient contraindre leurs consciences dont la République garantit par ailleurs la liberté, la conscience demeurant, au final, l'instance qui forge la décision de chacun
Mgr. Laurent ULRICH, archevêque de Paris
Paris Notre Dame n°2023 Page 5