A perdre la raison !
01 nov. 2024Nous avons tous entendu sur les ondes l’histoire du bébé prématuré, Santiago, enlevé par ses parents de l’hôpital, et retrouvé par la police en Belgique. Voici la réaction d’une abonnée à notre site, qui vit à Bruxelles, et qu’elle nous a partagée spontanément.
Vendredi 25 octobre,19h30, je regarde une chaîne d’informations en continu.
Breaking News : Santiago, 17 jours, grand prématuré enlevé par ses parents de l’hôpital où il était en néonatologie, est retrouvé vivant, quatre jours après son enlèvement, malgré tous les pronostics.. Ses parents sont arrêtés, le bébé est hospitalisé.
Grande joie du journaliste, suivi du défilé ininterrompu de spécialistes en tous genres.
Sous les commentaires techniques et froids d’experts médicaux et juridiques, défilent les photos d’identité du très jeune couple de parents, la vingtaine.
Visages cernés, cabossés de la vie, lourds passés d’emprisonnement, de drogue, de pauvreté. Placés lorsqu’ils étaient enfants, le procureur nous dit que les parents venaient d’apprendre que c’était le sort qui attendait le bébé, et la motivation probable de l’enlèvement par les parents.
Le journaliste répète en boucle, deux heures durant, les pauvres éléments factuels dont il dispose, insistant sur le risque coupable que ces parents irresponsables ont fait courir à leur bébé. Et les photos des parents qui ont, sans aucun doute, mis la vie de leur bébé en danger continuent à défiler, car il n’y a rien d’autre à montrer, et il faut meubler.
Le traitement médiatique sans empathie de ce drame, sans autre considération que la vie physique du bébé, me donne la nausée ; et sans en savoir plus que le journaliste ou les experts, une tout autre histoire que celle qu’on m’offre en pâture me serre la gorge .
Peut -être Santiago est-il leur premier enfant, ardemment désiré ? Un bébé est toujours un commencement, ou un recommencement. Avec l’aide de leur famille, elle aussi placée jadis en institution, des blessures d’arrachement remontent à la surface, et la décision est prise ensemble, car ils savent ce qu’est un placement puisqu’ils l’ont vécu : on ne leur prendra pas Santiago.
A 23h30, le bébé terriblement aimé est enlevé de l’hôpital dans un cabas pour une course folle, seul compte l’amour fou de deux jeunes pour leur enfant.
Un petit bout, dira quand même un médecin, seule parole d’affection de la soirée, un petit bout qui a beaucoup de courage, puisqu’il est vivant, un petit bout qui veut vivre !
J’aurais aimé entendre le commentateur au moins suggérer, que l’histoire de Santiago était plus qu’un fait divers haletant de la pauvreté, avec une issue heureuse : que peut-être les visages de douleur de ce jeune homme et de cette jeune femme nous racontaient avec force, malgré leur grande précarité, une histoire d’amour, une histoire d’amour à en perdre la raison.
Marie-Hélène Rabier