Alors qu'est proposée une nouvelle rencontre du Cercle de Silence, Place Charles De Gaulle à EVREUX
Samedi 31 janvier 2009 de 16h à 17h
Il me paraît judicieux de donner du sens à cette "protestation" en donnant la parole au Frère Franciscain de Toulouse qui en est à l'origine : Alain RICHARD


E
n octobre 2007, notre communauté de frères franciscains à Toulouse a pris l’initiative d’un Cercle de Silence, le dernier mardi de chaque mois. Le motif en est l’existence, à 10 kilomètres à peine du Capitole, siège du gouvernement de la ville de Toulouse, d’un Centre de Rétention Administrative (CRA) où sont enfermés en nombre croissant des étrangers dépourvus de papiers leur permettant un séjour légal dans notre pays.

Ecouter nos consciences

Vivre l’Evangile est et reste le premier mot de la règle de notre ordre, fondé par François d’Assise. Nous avons ressenti très intensément l’enfermement d’étrangers et le comportement des personnes exécutant les ordres gouvernementaux. Les conditions psychologiques et sociales de cette privation de liberté semblent difficilement acceptables par toute personne écoutant sa conscience. Or notre compréhension de la foi chrétienne suppose d’écouter notre conscience d’êtres humains. Cette conscience d’ailleurs nous lie avec tous nos concitoyens et même avec tous les autres habitants de notre planète.

Officiellement, les Centres de Rétention Administrative ne sont pas des prisons. Toutefois, ils sont gérés comme tel, et les personnes qui y sont maintenues les perçoivent effectivement comme tel. En écoutant notre conscience et en analysant la situation, nous avons considéré qu’il s’agit d’une situation d’une extrême gravité. L’enfermement systématique et l’expulsion des étrangers en situation illégale nous apparaissent comme des étapes vers la progressive banalisation de graves atteintes à la dignité humaine. Ces actions, semble-t-il, expriment le refus de l’étranger - vu comme un problème et un danger et non comme un proche qui peut devenir une chance. Elles violent ses droits fondamentaux. Notre désir de vivre l’Evangile donne encore plus de force à notre désaveu de ces comportements, décrets ou lois qui blessent profondément l’humanité d’êtres humains. Or ces actions que nous réprouvons sont faites par la République, officiellement, « en notre nom ». Nous avons donc décidé de signifier publiquement notre réprobation et d’inviter nos concitoyens à écouter leur propre conscience. Pour mémoire, je signale que plusieurs articles de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme semblent incompatibles avec la façon dont notre pays traite les personnes sans-papiers.

Quand Saint François rencontre Gandhi

La particularité d’un Cercle de Silence est qu’il se situe dans la rencontre entre une méthode de la non-violence gandhienne avec la foi de religieux catholiques, la communauté des frères franciscains de Toulouse dont je fais partie. Par la suite, cette action a touché bon nombre de personnes qui ne se réfèrent pas à la foi chrétienne mais sont attachées à faire respecter la dignité de chaque être humain. Notons également que le Cercle de Silence de Toulouse a été entrepris avec l’accord explicite des responsables des Franciscains. Les responsables internationaux de notre ordre ont exprimé leur satisfaction, car cette initiative correspond aux priorités que s’est données l’ordre franciscain depuis plusieurs années.

Un élément important de notre initiative est que plusieurs d’entre nous, Franciscains, sommes familiers de l’esprit et des méthodes de la non-violence gandhienne. Devant une violence ou une injustice, l’esprit de la non-violence nous invite à évaluer lucidement dans quelle mesure la personne ou le groupe auquel nous nous opposons n’est pas seul responsable de la situation. Nous avons à reconnaître notre part de responsabilité dans ce qui nous choque et que nous combattons. Ainsi, dès le début de notre action, nous avons précisé dans notre tract : « Notre silence et notre prière veulent rejoindre les sans-papiers, ceux qui font la loi et ceux qui la font appliquer, ainsi que tous les acteurs que nous sommes, chacun à son échelle ».

En raison même de cette lucidité sur la situation, nous nous adressons à l’adversaire avec l’espoir ferme qu’il puisse changer, et que pareillement nous-mêmes sommes capables de changer. Cette absence d’arrogance ou de « bonne conscience » est capitale pour que l’adversaire ne se raidisse pas ou, si vous préférez, pour qu’il ne « s’arme pas» encore plus, s’enfonçant dans sa violence. Il faudra peut-être une certaine coercition pour qu’il se « désarme », mais cette coercition devra se réaliser de manière clairement respectueuse de sa dignité.

Le choix du silence

La lutte contre une injustice grave nécessite des moyens qui fassent ressortir la gravité et la profondeur de l’atteinte à l’humanité des victimes, mais aussi de l’atteinte à l’humanité de ceux qui collaborent à cette violation. Nous avons estimé qu’il fallait aller au-delà des mots et des cris trop souvent utilisés pour des causes où la profondeur de la dignité humaine n’est pas en jeu. Nous avons choisi un silence qui doit être digne, non méprisant, un silence habité par le cri d’une humanité blessée qui reste aimante. Un silence qui permette d’être en contact avec la vérité de notre propre être et le protège du bla-bla trop facile. C’est ce silence-là qui nous a paru le moyen le plus adapté pour exprimer notre certitude de la richesse qui existe au profond de nous-mêmes et de nos concitoyens : nous ne voulons pas que cette richesse de notre espèce humaine disparaisse. « Ce silence est un moyen d’action à la portée de tous, une interpellation adressée à nos concitoyens et aux pouvoirs publics, un temps d’intériorité pour une prise de conscience, et il invite à déboucher sur d’autres actions en faveur des personnes sans papiers. »

Nous avons donc invité nos concitoyens à se joindre à nous dans un temps de vérité, soit en participant au Cercle de Silence, soit en faisant silence en d’autres moments. En même temps, notre Cercle de Silence vise à interpeller tous ceux qui forment l’opinion publique et qui ignoreraient ce qui se passe. L’interpellation s’adresse également et clairement aux détenteurs des pouvoirs publics qui peuvent ne pas avoir réalisé la gravité des actions contre les sans-papiers. Nous en connaissons qui se sont sentis interpellés par notre invitation à écouter leur conscience. D’autres semblent plutôt en rire. Nous ne pouvons que leur rappeler fraternellement qu’à notre époque les Tribunaux Nationaux ou Internationaux jugent de plus en plus des personnes qui ont fait fi des Droits de l’homme. L’impunité dont certains décideurs ou acteurs ont pu bénéficier dans le passé se réduit de plus en plus. Puissent-ils faire le bon choix avant qu’il ne soit trop tard !

Cultiver la patience

La non-violence ne vise pas une résolution du conflit qui serait rapide mais fragile. Elle vise à gérer celui-ci pour permettre aux deux parties en présence d’en tirer bénéfice, en ayant au moins grandi dans leur humanité. Il faut se rappeler ce point de la dynamique non-violente. La constance est indispensable. La non-violence nécessite des acteurs déterminés et patients. Ils doivent veiller à maitriser leurs anxiétés, spécialement celle de ne pas avoir un résultat immédiat. Voici ce qui est écrit sur notre tract : « Ces problèmes sont mondiaux et complexes (…). Nous ne prétendons pas avoir la solution. Mais aujourd’hui nous pensons que nous pouvons aller plus loin ensemble et que le chemin passe par le respect de la dignité de toute personne humaine. Telle est fondamentalement notre espérance. Elle passe par une réflexion collective qui nous concerne tous.»

En réfléchissant sur l’impact de cette action, nous pouvons faire deux observations. D’abord, plus de quatre vingt six Cercles de Silence se sont créés en France et plusieurs sont en formation. De nombreuses personnes et groupes semblent avoir trouvé là un moyen adapté à leur personnalité et à leurs désirs.  Ensuite, l’impact médiatique, surprenant, se poursuit. Ce n’est pas le lieu d’en chercher les raisons. Nous nous sommes pour l’instant contentés de dresser une liste de plusieurs facteurs sans évaluer encore leur influence exacte et comparative.

La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, boussole des consciences

En plus de l’éclairage trouvé en écoutant leur conscience, les chrétiens bénéficient de leur relation à Jésus Christ et à son Evangile, éventuellement de l’enseignement de leur Eglise. La parole des chrétiens est facilement critiquée par les incroyants ou les membres d’autres religions si elle se réfère d’abord à l’enseignement de l’Evangile et à celui de l’Eglise. Il me semble que nous n’avons pas à avoir honte de notre foi chrétienne et de la lumière qu’elle apporte à notre conscience. Mais sommes-nous suffisamment attentifs à la voix de notre conscience d’êtres humains et à l’humanité que nous partageons avec tous les membres de l’espèce humaine ? La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ne donne-t-elle pas les balises pour naviguer au milieu de mille et une violations des Droits de la personne ? Soyons pleins de gratitude pour ceux qui ont écrit ou voté cette Déclaration Universelle. Soyons aussi pleins de gratitude pour tous ceux qui luttent sans cesse pour que les Droits des personnes humaines ne se dégradent pas, et qu’ils soient respectés.

Alain Richard,

Alain Richard, religieux franciscain, vit à Toulouse. Cet article est tiré d’une intervention intitulée « L’action civique et sociale : vivre l’Evangile ? » qu’il a donnée lors du Colloque « Les Eglises chrétiennes face aux Droits de l’Homme : enjeux et défis » au collège des Bernardins (Paris), le 6 décembre 2008.

Source :

Alain Richard, « Cercles de Silence : nos sources », Foi chrétienne et société, Ceras - revue Projet. URL : http://www.ceras-projet.com/index.php?id=176.

 

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