4ème dimanche de carême (Luc 15/1-32) : la naissance du Fils !
14 mars 2010Tableau de Rambrandt : Extrait du commentaire de Paul Baudiquey
…Je regarde le Père : Son visage d'aveugle. II s'est usé les yeux à son métier de Père. Scruter la nuit, guetter, du même regard, l'improbable retour ; sans compter toutes les
larmes furtives... il arrive qu'on soit seul ! Oui, c'est bien lui, le Père, qui a pleuré le plus.
Je regarde le fils. Une nuque de bagnard. Et cette voile informe dont s'enclôt son épave. Ces plis froissés où s'arc-boute et vibre encore le grand vent des tempêtes, des talons rabotés comme une
coque de galion sur l'arête des récifs, cicatrices à vau-l'eau de toutes les errances. Le naufragé s'attend au juge, "traite-moi, dit-il, comme le dernier de ceux de ta
maison".
II ne sait pas encore qu'aux yeux d'un père comme celui-là, le dernier des derniers est le premier de tous. II s'attendait au juge, il se retrouve au port, échoué, déserté, vide comme sa sandale, enfin capable d'être aimé.
Appuyé de la joue - tel un nouveau-né au creux d'un ventre maternel - il achève de naître. La voix muette des entrailles dont il s'est détourné murmure enfin au creux de son oreille. II
entend.
Lève les yeux, prosterné, éperdu de détresse, et déjà tout lavé dans la magnificence... Lève les yeux, et regarde, ce visage, cette face très sainte qui te contemple, amoureusement. Tu es accepté, tu es désiré de toute éternité, avant l'éparpillement des mondes, avant le jaillissement des sources, j'ai longuement rêvé de toi, et prononcé ton nom.
Vois donc, je t'ai gravé sur la paume de mes mains, tu as tant de prix à mes yeux. Ces mains je n’ai plus qu’elles, de pauvres mains ferventes, posées comme un manteau sur tes frêles épaules, tu
reviens de si loin ! Lumineuses, tendres et fortes, comme est l'amour de l'homme et de la femme, tremblantes encore - et pour toujours, du déchirant bonheur.
II faut misère pour avoir cœur. Et d'une patience qui attend, et d'une attente qui écoute, naît le dialogue insurpassable. Notre assurance n'est plus en nous, elle est en celui qui nous
aime.
Accepter d'être aimé... accepter de s'aimer. Nous le savons, il est terriblement facile de se haïr; la grâce est de s'oublier. La grâce des grâces serait de s'aimer humblement soi-même, comme n'importe lequel des membres souffrants de Jésus-Christ.
Encore faut-il avoir appris ce que tomber veut dire, comme une pierre tombe dans la nuit de l'eau; Ce que veut dire craquer, comme un arbre s'éclate aux feux ardents du gel, sous l'éclair bleu de la cognée. Que peuvent savoir de la miséricorde des matins, ceux dont les nuits ne furent jamais de tempêtes et d'angoisses ?
Pour retentir à ces atteintes, il faut avoir vécu, - et vivre encore - en haute mer menacé sans doute, naufragé peut-être, mais à la crête des certitudes royales, l'amour alors peut faire son
œuvre nous féconder, nous rajeunir.
Que nous soyons dans l'inquiétude, le doute et le chagrin, que nous marchions, le cœur serré, dans la vallée de l'ombre et de la mort ! Que nos visages n'aient d'autre éclat - que ceux,
épars - d'un beau miroir brisé... Un amour nous précède, nous suit, nous enveloppe... L'inconnu d'Emmaüs met ses pas dans les nôtres, et s'assied avec nous à la table des
pauvres…
(Source: extrait du montage diapositives "Le Fils Prodigue" de l'ACNAV- http://acnav.net)