Monseigneur-Michel-MERANVILLE

 

Homélie du dimanche 13 mai 2012, 6e dimanche de Pâques

 

À la Martinique, croyants et même incroyants, quand ils parlent du lendemain, ont la coutume de dire : « Demain si Dieu veut. » Les habitants de la Métropole sont toujours surpris lorsqu’ils entendent cette expression, dont ils se moquent parfois gentiment, en la prenant pour de la superstition ou de la « crédulité propre aux gens d’Outre-Mer ». Cependant, cette formule empruntée à la lettre de saint Jacques, dans le Nouveau Testament, traduit un fait bien avéré : en Martinique, Dieu n’a pas perdu sa place dans la vie des hommes et de la cité.

Mais qui est ce Dieu ? La réponse à cette question ne fait pas l’unanimité, pour la bonne raison que « Dieu, personne ne l’a jamais vu », comme le dit saint Jean dans le prologue de son Évangile. Chaque personne, quand elle admet que Dieu existe, ne peut qu’imaginer Dieu à sa façon. Mais, « Dieu est Dieu, nom de Dieu », disait Maurice Clavel, avec véhémence.

Dieu est certes au-delà de toute imagination, au-delà de toute conceptualisation, car il est le tout autre au-delà de tout. Cependant, on peut quand même lui trouver une définition ! Dieu lui-même n’a pas voulu laisser l’homme dans l’ignorance totale de son identité. Il a envoyé son Fils dans notre monde pour nous révéler sa nature. En cet homme qui a vraiment existé, qui est né de la vierge Marie, a souffert, est mort crucifié, est ressuscité comme il l’avait promis, Dieu a soulevé le voile qui cachait à l’homme son visage. Saint Jean a pu dire dans le prologue de son Évangile : « C’est Dieu, Fils unique (c’est à dire Jésus Christ), qui nous dévoile le vrai Dieu. » Jésus disait d’ailleurs : « Personne ne peut aller au Père sans passer par moi. Je suis la porte, je suis le chemin. » Il disait encore à son disciple Philippe : « Celui qui m’a vu a vu le Père. Comment peux-tu dire ‘Montre nous le Père ? Tu ne crois donc pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi !’ »

Jésus de Nazareth est donc celui qui répond à la question « Qui est Dieu ? », en nous invitant à nous tourner vers lui pour contempler sa vie, sa mort et sa résurrection. Sa vie, elle se résume en ces quelques mots de l’Apôtre Pierre : « Il est passé en faisant le bien. » Lui, qui n’avait pas une pierre où reposer la tête, a tout donné aux pauvres, aux petits, aux marginaux, aux publicains et aux pécheurs. Il a fait pour eux des miracles, changeant l’eau en vin afin que leur joie ne soit pas gâchée, multipliant miraculeusement les pains et les poissons pour les rassasier et aussi, les ouvrir à la recherche du pain qui demeure pour la vie éternelle. Ses paroles, ses actes, sa vie entière n’ont eu qu’une seule motivation : Annoncer à tous, sans exception, que Dieu les aime. « Dieu vous aime. Il veut que vous soyez tous sauvés. Faites-lui donc confiance, tournez-vous vers Lui, convertissez-vous ! » C’est la Bonne Nouvelle qu’il proclamait en l’accompagnant par le bien qu’il faisait à tout homme sans distinction.

Parce que Jésus Christ est la parfaite image de Dieu, nous savons maintenant que Dieu est Amour. L’amour est sans doute le mot de notre vocabulaire le plus fréquemment utilisé, de même que le verbe « aimer » qui en dérive. Il est aussi de ces mots qui sont les plus équivoques. Lorsque nous disons, par exemple, que nous aimons le chocolat, que nous aimons la musique, que nous aimons nos parents, que nous aimons Dieu… Nous utilisons chaque fois le même verbe « aimer ». Cependant, nous lui donnons chaque fois une signification différente et bien particulière. Lorsque nous disons « aimer le chocolat », nous n’aimons pas cette substance pour elle-même, mais pour la satisfaction que nous apportent son goût, ses vertus, ses propriétés nutritives et euphorisantes… Le jour où le chocolat ne nous fera plus le même effet, nous cesserons aussi de l’aimer. Cela démontre que notre amour du chocolat était essentiellement l’amour de nous-même par son intermédiaire.

Cela peut nous arriver aussi d’aimer les personnes et même Dieu, de la même manière. Nous prétendons et croyons les aimer tant qu’ils nous apportent sécurité, bien être, plaisir, valeur, et nous aident à réussir notre vie. Mais dès qu’ils ne nous donnent plus ce que nous en attendions nous cessons de les aimer. C’est bien la preuve que la finalité de notre amour n’était pas ces personnes pour elles-mêmes, mais notre propre « moi ». Notre amour humain est ainsi spontanément intéressé et toujours conditionnel. Cet amour se tourne vers les autres quand ils lui sont utiles. Il fait penser à ce mouvement centripète que font nos crabes de terre à la Martinique lorsqu’ils ratissent très large avec leurs pinces pour ramener leurs prises au centre de leur carapace. Un geste qui ressemble tant à celui que font les pénitents en se battant la coulpe que l’on a appelé ces crabes, des « crabes cé ma fott » (c’est ma faute).

À l’opposé de ce mouvement de « crabes », il y a le geste du Christ en croix, ouvrant largement ses bras sur le monde. Ces bras ne peuvent pas se replier sur eux-mêmes. Ils sont définitivement ouverts sur les autres, non pas pour les utiliser, pour en tirer profit, non pas à condition, mais pour toujours et pour leur donner tout, ce qu’il y a de meilleur et le meilleur de soi-même, au besoin leur donner sa propre vie. C’est comme cela que Dieu nous aime. C’est comme cela que par la voix de son Fils, il nous demande de nous aimer les uns les autres. Depuis la nuit des temps, depuis que Caïn a tué par jalousie son frère Abel, le monde souffre du manque d’Amour. Or, c’est l’unique remède qui puisse le sauver.

Ce dimanche nous invite, si nous sommes disciples du Christ, et même si nous ne l’étions pas, à aimer comme Dieu nous aime. Non pas en accomplissant forcément des actes merveilleux et extraordinaires mais en nous décentrant un peu de nous-même pour être attentifs aux autres et accepter d’être à leur service, avec amour, au cœur de toutes nos responsabilités. La petite sainte Thérèse de Lisieux disait : « Aimer, c’est tout donner et se donner soi-même. » Que le Seigneur, nous donne la grâce d’en être convaincus. Amen.

 

Monseigneur Michel Méranville

Archevêque de Fort-de-France (La Martinique)

 

 

 

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