AU LIBAN, MUSULMANS ET CHRÉTIENS SOUDÉS AUTOUR DES EXILÉS SYRIENS
20 oct. 2013
L’afflux des réfugiés dans les pays frontaliers de la Syrie bouleverse l’équilibre de la région, en particulier au Liban où la coexistence intercommunautaire demeure fragile.
Dans la plaine de la Bekaa, au Liban, le responsable du camp de réfugiés de Qab Elias, Abdallah Ibrahim (à droite), s’entretient avec le P. Christophe Roucou (à gauche), chargé des relations avec l’islam à la Conférence des évêques de France, et Mgr Marc Stenger (au centre), évêque de Troyes et président de Pax Christi France.
Du 6 au 11 octobre, une délégation islamo-chrétienne française conduite par Mgr Marc Stenger, président de Pax Christi, a visité ceux qui se mobilisent pour leur venir en aide.
Un minibus brinquebalant s’enfonce dans la campagne libanaise. À son bord, un évêque, un prêtre et un imam. À leurs côtés, une dizaine de représentants d’associations caritatives chrétiennes et
musulmanes françaises, toutes engagées auprès des réfugiés syriens (CCFD-Terre solidaire, Secours catholique, Secours islamique, Œuvre d’Orient…).Cinq jours durant, cette délégation composée pour
la circonstance a sillonné les routes de Jordanie et du Liban, afin d’y rencontrer ceux qui fuient par milliers la guerre civile.
« Nous ne sommes pas venus vous voir en spectacle, mais pour vous exprimer le sentiment des Français, musulmans et chrétiens, qui veulent vous aider matériellement et spirituellement à surmonter
cette épreuve », leur a répété l’imam de Bordeaux, Tareq Oubrou, au fil des rencontres qui ont émaillé ce voyage. « Nous voulons manifester que les religions sont faites pour s’unir au service de
l’homme et de la paix », dit en écho Mgr Marc Stenger, évêque de Troyes, président de Pax Christi France, conscient des tensions sous-jacentes entre communautés du Liban.
Les populations au centre de l’effort de solidarité
C’est qu’en deux ans l’exode massif des Syriens a bouleversé la fragile mécanique libanaise. Avec au moins un million de réfugiés syriens, on estime qu’un quart de la population du Pays du cèdre
est désormais constituée de Syriens, sunnites pour la plupart. Bien des Libanais commencent à considérer que cet afflux met à mal un équilibre confessionnel déjà sous pression. Et pourtant.
Dans un État marqué par la faiblesse structurelle de ses institutions, et alors que le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) a annoncé une diminution de l’aide en raison d’une réduction des
financements, ce sont paradoxalement les populations – chrétiens comme musulmans – qui assument, de façon artisanale ou via des organismes tels que la Caritas, une large part de l’effort de
solidarité, aux côtés d’autres ONG internationales.
Ce matin-là, après avoir franchi plusieurs check-points, la délégation française fait escale à Elkaa, village du nord-est de la plaine de la Bekaa, à moins de sept kilomètres de la frontière
syrienne, où les attend le P. Élie Nasrallah. Derrière les montagnes qui bordent la paisible localité, la guerre fait rage. Homs ne se trouve qu’à une demi-heure de route. Il arrive qu’une
roquette égarée s’abîme dans le champ voisin.
« Dieu merci, c’est une journée calme », sourit ce prêtre melkite animé d’une pugnacité généreuse. Alors que la population du village a été multipliée par cinq en deux ans, son centre paroissial
est devenu un pôle humanitaire incontournable pour les nouveaux arrivants. « Au début du conflit, se remémore-t-il, notre centre accueillait 300 familles ; nous en épaulons plus de 4 000 à
présent. » La plupart survivent sous de frêles toiles, dans les campements de fortune qui émergent le long des routes cahoteuses de la Bekaa.
« Si nous voulons tenir, c’est tous pour tous. »
Grâce au dispositif de pompage installé avec le soutien de l’Œuvre d’Orient, la paroisse fournit de l’eau potable à cette population dont l’expansion soudaine a pris de court les autorités
civiles. En perpétuel agrandissement, le bâtiment paroissial abrite un dispensaire, fréquenté chaque mois par 2 000 patients. Plusieurs salles ont été réaménagées pour la distribution de produits
de première nécessité : paniers alimentaires, kits d’hygiène et poêles à bois, car un hiver d’une rigueur historique s’annonce.
À l’étage, une centaine d’enfants suivent des cours de français, d’anglais et d’informatique. « Ces enfants évoluent dans un climat d’une rare violence, explique Maha, l’institutrice. Nous
essayons de les apaiser, de leur redonner la joie qui leur manque. » Avec des moyens dérisoires, l’équipe du P. Nasrallah tente de suppléer aux limites du système éducatif libanais. Le prêtre
rêverait d’un bus scolaire, pour desservir les campements les plus isolés. « Si nous voulons tenir, c’est tous pour tous. »
Côté musulman aussi, l’aide s’organise. Dans la ville portuaire de Saïda, au sud de Beyrouth, l’Islamic Welfare Association a fait de l’éducation un enjeu prioritaire. La région compte plus de 11
000 familles syriennes, et le nombre d’enfants en âge d’être scolarisés a quadruplé. Sur les hauteurs de cette ville bouillonnante, l’organisme a redonné vie au chantier d’un immeuble, en vue d’y
établir une école. Dès la rentrée 2014, près de 440 élèves y suivront les programmes syriens, formés par des enseignants eux-mêmes réfugiés. Ce projet, soutenu par le Secours islamique France,
constitue pour sa représentante au Liban, Myriam Laaroussi, un acte de confiance : « Ces générations seront un jour l’avenir de la Syrie. »
« Désormais, nous connaissons mieux le périmètre de notre responsabilité. Celui de l’humanité, de la dignité et la justice, confie Mgr Stenger. Aucun de nous n’a le droit de se dérober. » Dès
leur retour, les membres de la délégation ont annoncé leur souhait de conduire un projet commun.
François-Xavier Maigre, à Elkaa et Saïda (Liban)
La Croix