Toussaint   

La Sainteté selon Maurice Zundel

(…) Si chaque acte humain a une portée infinie, si chaque geste a une portée royale et une ampleur divine, cela veut dire aussi que chaque acte débouche dans l'éternel et a une valeur d'éternité. II a une importance immense.

Nous sommes toujours tentés de dire : " Demain, je ferai cela. Demain, je penserai à Dieu. Demain, je ferai du silence en moi. Demain, ce sera le beau jour où j'entrerai dans ma vocation. Demain, je prendrai le chemin de la sainteté ". Mais ce n'est pas du tout le cas, parce que si vous attendez à demain, vous ne le ferez jamais. (…)

Justement, si nous voyons qu'il s'agit réellement d'une Présence, d'un échange de personne à personne, si nous voyons que chaque geste nous permet de communier à la vie divine, nous comprenons que l'éternel, c'est maintenant.

Une femme qui aime vraiment ne se dit pas : " Demain, j'aimerai mon mari, demain, j'aimerai mes enfants, demain, j'aurai le temps de penser à eux. "Mais c'est maintenant qu'elle les aime, parce que chaque travail est fait pour eux dans l'attente de leur retour.
               C'est maintenant qu'elle aime et c'est dans chaque geste qu'elle s'engage tout entière. C'est exactement ce que nous avons à faire. II n'y a pas à attendre l'après-midi, c'est maintenant, c'est ici, c'est tout à l'heure au réfectoire, devant votre bureau ou vos machines. C'est là que Dieu vous attend, c'est là votre éternité, c'est là votre communion infinie, parce que chaque geste humain, s'il est le don de nous-même, est un geste créateur d'éternité. Il n'y a pas à attendre autre chose. Si vous mourez ce soir et que votre journée a été pleine de Dieu, vous serez dans l'éternité, parce que vous serez devenus vous-mêmes l'éternité, et c'est la seule manière de vaincre la mort, c'est d'éterniser le maintenant. Ici, maintenant, aujourd'hui, à la cuisine, en portant les plats sur la table, en récréation, devant vos comptes au bureau, c'est à chaque seconde que la vie divine vous appelle, qu'elle peut circuler à travers vous, se communiquer aux autres, pourvu que vous soyez attentives à l'immensité de la vie.

Dieu, ce n'est pas quelqu'un dont on parle, c'est Quelqu'un que l'on respire, que l'on communique par l'atmosphère qui émane de nous. Si vous êtes constamment en communion avec Dieu, cela se sent autour de vous. II n'y a pas d'action religieuse : c'est toute la vie qui est religieuse, toute la vie ou rien, toute la vie ou rien...

C'est pourquoi notre  Seigneur, voulant nous inculquer la dignité infinie de notre vie, l'a vécue trente ans dans le travail manuel, dans un travail qui n'a rien de religieux en apparence, le travail le plus commun, et qu'il a rassemblé dans l'Eucharistie le pain et le vin.

Il n'en faut pas davantage pour communier à Dieu. Le travail, le repos, les rapports quotidiens des hommes entre eux, c'est cela la religion, pourvu que chaque acte soit revêtu de cette Présence divine et la communique.

S'il y a des moments où nous nous rassemblons à l'église, ce n'est pas pour nous séparer de la vie ; c'est le moment où, revenus du travail, on se met ensemble et on communie ensemble dans la tendresse autour de la table. Mais ce rassemblement à la chapelle, ce n'est pas pour faire une coupure dans notre vie, c'est pour mieux faire circuler la plénitude de cette vie.

Si nous pouvons mettre l'éternité dans chaque geste, alors nous vivrons dans la sérénité, parce que nous ne serons plus tourmentés, tendus vers un lendemain qui n'arrivera jamais. Nous bâtirons l'éternel et nous serons libres.

Il y a une Action catholique qui est de l'agitation et cela ne donne rien, parce que personne ne vit cette vie dont tout le monde parle, parce que personne n'en vit et que la vie divine ne peut se communiquer qu'à travers notre amour. Cette vie est complètement stérile.

Il est certain que le Seigneur nous révèle dans sa propre vie la dimension de notre vie, la dimension du monde, la grandeur de la créature pour nous inviter à y entrer comme des créatures qui savent que la plus infime réalité, un atome, est déjà un reposoir et une révélation de la Présence divine.

Il s'agit de revaloriser notre vie, chaque geste de notre vie et de le vivre comme une communion sans cesse renouvelée, car c'est à travers ces gestes accomplis par amour que le visage de Dieu va prendre tout son relief dans notre cœur et que nous le connaîtrons.

Car connaître Dieu, ce n'est pas se creuser la tête sur ses attributs ; connaître Dieu, c'est le rencontrer parce qu'il est né de notre cœur au cœur même de notre travail. C'est le sens du sacrement. Le pain deviendra le Corps du Christ, parce que toute la vie peut devenir la manifestation de la Présence divine.

Si nous apportons à chacune de nos journées ce sens de la valeur de la vie, chaque instant nous apparaîtra tellement précieux que nous pourrons nous y engager tout entiers. Chaque geste du chrétien est un acte royal, infini, éternel - et c'est ce qui fait toute la beauté de la vie divinisée, c'est qu'elle est tellement grande qu'on peut s'y engager tout entier. Elle est tellement belle, qu'il n'y a plus rien à engager au-delà.

Toute action est une hostie entre nos mains pour être transformée, par notre amour, au Corps et au Sang de Jésus. (…)

Extrait de la retraite de Maurice Zundel aux religieuses de l'Œuvre Saint-Augustin,
à Saint Maurice (Valais), en Suisse, en Novembre 1953

Publiée dans « Avec Dieu dans le quotidien », Éd. Saint-Augustin

 

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