"Campagne électorale : promesses ou projets ?" par Jean-Luc Brunin, Evêque du Havre
13 mars 2012
Alors que
la campagne électorale pour la présidentielle et pour les législatives commence à monter en puissance, il paraît utile que les chrétiens s'interrogent sur la façon dont ils sont impliqués dans
cette période de choix qui déterminera les cinq prochaines années pour notre pays.
Une crise à gérer positivement
Nul n'ignore la situation de crise que traverse la France comme l'ensemble des pays de l'Union Européenne. Au-delà de la crise financière et économique bien
réelle, nous sommes aussi confrontés à une crise de sens et de civilisation. Il serait illusoire et irresponsable de donner à penser que tout pourrait revenir comme avant. La crise n'est pas un
simple mauvais moment à traverser de façon stoïque, attendant que tout se remette en place de façon automatique. Une crise, lorsqu'elle est gérée de façon responsable et concertée, peut faciliter
une croissance, pas seulement d'ordre économique.
La période incertaine et troublante que nous connaissons, est un moment favorable pour reconsidérer et réévaluer nos manières de vivre, de produire et de consommer, mais surtout nos capacités de
vivre ensemble dans l'harmonie, la justice et le partage. Ce n'est pas sans incidences sur les enjeux des débats de la campagne électorale qui s'ouvre.
Des projets et pas seulement des promesses
Nous attendons des femmes et des hommes qui se présentent aux suffrages des électeurs, des propositions qui soient à la hauteur de la situation. Sans dramatiser, nous avons besoin d'une réflexion
sérieuse sur les chemins de l'avenir de notre société, au niveau national comme au niveau européen et mondial. Nous ne pouvons nous satisfaire de slogans, de promesses, encore moins de phrases
assassines ou de bons mots. Nous ne pouvons accepter des discours qui réveillent en nous la suspicion et la peur des autres, des jeunes, de l'étranger. L'avenir de notre pays et de ses habitants
mérite mieux.
Les questions importantes pour l'avenir ne manquent pas. Les évêques de France, dans un document publié en octobre dernier par le Conseil Permanent, « Un vote, pour quelle société ? » , retiennent 13 points de discernement. Ils servent de
guides dans l'évaluation des programmes présentés par les candidats et les formations politiques. En tous ces domaines, les citoyens ont besoin, non pas de simples promesses, mais d'un projet
global resituant tous ces éléments essentiels dans un ensemble cohérent, porteur de sens et mobilisateur.
L'estime du politique
Trop souvent, les chrétiens se cantonnent dans une attitude de réserve ou de suspicion à l'égard du politique. Pourtant, l'Eglise catholique a toujours promu l'engagement politique des
fidèles laïcs, comme un service de la société, dans lequel se joue une dimension de la charité.
Les chrétiens engagés diversement dans l'action politique doivent pouvoir trouver soutien et ressourcement dans leur communauté et auprès de leurs pasteurs. Par leur engagement, ils s'efforcent à chercher le bien commun sans se contenter de servir l'intérêt
général qui n'est souvent, en fait, que l'intérêt du plus grand nombre ou du groupe social le plus fort. « Le bien commun est la raison d'être de l'autorité politique » rappelle le Catéchisme de
l'Eglise catholique (n° 1910). Ceux et celles qui s'engagent en politique s'engagent dans la recherche tâtonnante et permanente de la définition du bien commun. C'est une véritable ascèse faite
d'écoute de leurs concitoyens, d'analyse des situations, de réflexion et de débat. Il est parfois plus facile de déterminer un plan d'action en surfant sur les sondages d'opinion, en appliquant
les préceptes d'une idéologie ou en ne considérant que les intérêts d'un groupe particulier. Le service du bien commun anoblit l'engagement politique.
Un exercice de citoyenneté
La démagogie et le populisme peuvent tenter certains responsables politiques. Signes d'incapacité ou de paresse intellectuelle pour construire un projet, ils défigurent l'engagement au service de
la cité. Les femmes et les hommes qui s'engagent en politique ont une responsabilité dans l'éducation des citoyens. Qui s'y engage doit oser aller parfois à contre-courant de ce qui est
majoritairement admis. Il lui faut faire preuve de patience pour expliquer, exposer les enjeux des propositions, désigner les impasses et convaincre. L'action politique perd de sa noblesse quand
elle se dégrade en œuvre de désinformation ou de manipulation qui flatte les instincts les plus vils de l'homme, ses attitudes spontanées de rejet de l'autre. Le responsable poli- tique est
éducateur, soucieux d'initier à ce qui lui paraît être vrai, porteur de justice, générateur de solidarité et d'harmonie entre les hommes et entre les peuples.
L'Evangile
demeure notre référence pour nos analyses humaines
Les communautés chrétiennes doivent pouvoir aider leurs membres engagés en ce domaine. Il ne s'agit pas d'offrir une caution partisane car la pluralité des engagements politiques est une réalité
reconnue dans l'Eglise. Mais ces personnes investies dans l'action politique doivent pouvoir nourrir leur engagement par la réflexion, la prière et le contact avec les Ecritures. L'engagement
politique, pour un chrétien, trouve ses références dans la pédagogie même du Christ. Pragmatique, Jésus prenait les gens là où ils en étaient. Exigeant, il
mettait en lumière l'inacceptable d'un comportement ou d'une situation. Espérant, il sollicitait le meilleur de l'autre, cette foi qui sauve et qu'une parole porteuse
d'espérance est capable de faire sourdre. Educateur, il n'enfermait ni dans le passé culpabilisant, ni
dans un présent décevant ou douloureux, mais il ouvrait à un avenir de mieux être qu'il appelait le Royaume de Son Père. Les chrétiens qui s'engagent au service de la cité doivent pouvoir se
laisser inspirer par la pédagogie du Christ. Elle fera la noblesse du politique.
+ Jean-Luc BRUNIN
Evêque du Havre