Boudou

Bernard Boudouresques 21 janvier 1923 – 25 août 2013

Prêtre de la Mission de France Ingénieur au C.E.A. à Saclay Militant pour la Paix

  « De leurs épées ils forgeront des socs de charrue,

et de leurs lances, des faucilles.

On ne lèvera plus l’épée nation contre nation,

on ne s’entraînera plus pour la guerre. »Isaïe 2,4 

          Portant un nom originaire du sud-ouest, Boudou se délectait devant un bon match de rugby. En 2000, j’ai eu la joie de l’inviter à un match international au Stade de France. La science du combat, l’esprit d’équipe, la rencontre internationale, la passion du mouvement et de l’amitié, tous ces mots avaient un sens et ont animé sa vie de prêtre, d’artisan de paix et de chercheur de Dieu. Avec sa voix de stentor il aurait été capable de faire vibrer les tribunes, lui qui se fit tribun de la non violence à Rome au moment du Concile, en prison au moment de la guerre d’Algérie, à l’ONU avec le Mouvement de la Paix, au C.E.A. pour une recherche nucléaire pacifique.

Né à Toulon d’un père polytechnicien et officier d’artillerie navale, et d’une mère ardennaise, fille de polytechnicien, Bernard est le second enfant d’une fratrie de quatre. Ce « fort en maths » effectue sa scolarité à Lyon, à Nancy (il y devint scout, puis routier) et à Montpellier. Admissible à l’X en 1943, il hésite entre l’École polytechnique et le grand séminaire. Sur les conseils du supérieur du séminaire de Saint-Sulpice, il décide d’intégrer l’X. Après le débarquement, il refusa avec une quinzaine d’élèves de rentrer à l’École et rejoignit un maquis situé entre Orléans et Tours afin de participer à la libération du pays, tandis que son jeune frère, Pierre, maquisard dans les Vosges, tombait aux mains des Allemands et était déporté à Dachau.

En octobre 1944, mobilisé comme les autres élèves de l’X, Bernard Boudouresques fut envoyé à Cherchell (Algérie) à l’École Inter-armes de formation d’officiers. De retour à Paris, il fit sa dernière année à l’École polytechnique. Il avait lu entre-temps La France pays de mission ?, lecture qui l’avait amené à préciser la manière dont il souhaitait être prêtre. Il entre en octobre 1946 au séminaire de la Mission de France. Le supérieur, le Père Augros, l’assura dès le début qu’il serait, une fois prêtre, affecté dans un milieu scientifique. En attendant il alterna études théologiques et stages en monde ouvrier, notamment chez Schneider. C’est à Montchanin où il apprit à couler des pièces de fonte, qu’il découvre la réalité ouvrière, les grèves. Il y vécut 7 mois dans des conditions spartiates, sans eau ni chauffage, avec deux autres séminaristes.

Le 29 mars 1952, le cardinal Liénart, alors prélat de la Mission de France, ordonne 12 prêtres à Lisieux, dont Bernard. Il annoncera également la révocation du père Augros et le déplacement du séminaire à Limoges. La condamnation des prêtres ouvriers par Rome est imminente. En février 54, Bernard participe à la réunion des prêtres-ouvriers à Villejuif, où la décision romaine divise dramatiquement le collectif entre soumis et insoumis. L’ingénieur ne fut pas inquiété, mais s’impliqua dans la solidarité avec les prêtres-ouvriers.

C’est dans ce contexte de crise que Boudou entre au C.E.A. (Commissariat à l’énergie atomique) en janvier 1953 où il restera jusqu’à sa retraite. Pendant 25 ans Bernard travaillera comme ingénieur à la mise au point des éléments combustibles de la filière française graphite-gaz. En 1955 le C.E.A. lance la recherche en vue de la bombe atomique. Marqué par Hiroshima et Nagasaki, Bernard refusa que l’atome serve à des fins militaires, et il fit partie des ingénieurs du CEA qui fondèrent « le groupe B » contre la bombe A. C’est le début d’un combat qui va durer toute sa vie contre l’armement nucléaire. Homme de prière, Bernard considérait la paix comme don de Dieu autant qu’œuvre humaine. Il célébrait souvent seul, mais jamais en solitaire, toujours unis à ceux dont il partageait la vie et la recherche.

Pendant la guerre d’Algérie, Bernard Boudouresques se tient informé de l’évolution du conflit par les prêtres de la Mission de France qui y vivent, comme Jobic Kerlan. Il prit position pour l’indépendance du pays et accepta de rendre service à des membres du FLN. Ayant participé en 1957 à la rédaction d’une brochure du Comité de résistance spirituelle, Des rappelés témoignent, dénonçant la torture, il accueillit des Algériens de passage dans le studio qu’il occupait rue Saint-Jacques à Paris. Le 13 octobre 1958, la DST l’arrêta et le questionna. Il était soupçonné, lui et les prêtres de la Mission de France, de cacher des armes, ce qui entraîna de nombreuses perquisitions dans les équipes de la Mission. La Mission de France avait été la première famille religieuse à reconnaître les aspirations des Algériens (lettre pastorale du cardinal Liénart, 10 octobre 1956). Bernard fut incarcéré à la prison de Fresnes le 15 octobre 1958, et reçut la visite du Cardinal Liénart qui l’embrassa à la grande surprise des gardiens. Se liant d’amitié avec ses co-détenus algériens, travaillant quelques dossiers du CEA qui lui était transmis, célébrant la messe dans sa cellule, il resta incarcéré jusqu’au 4 février 1959, date à laquelle il fut mis en liberté provisoire. Finalement, il ne fut pas jugé et fut amnistié après les accords d’Évian. Durant le Concile il se rendit à Rome, et grâce à Jean de Miribel, put s’entretenir avec des pères conciliaires sur la question de la course aux armements. Il prônait une théologie de la paix, pas de la guerre juste. Seule condamnation prononcée par le Concile, la constitution Gaudium et Spes prohiba effectivement l’usage de l’arme atomique, sans aller jusqu’à la l’interdiction de la dissuasion. Pendant 18 ans Boudou milita également au Mouvement de la Paix, participant à de nombreuses réunions de son Conseil mondial en Europe de l’Est. Il démissionna en 1981 lorsque le parti communiste décida de garder l’armement atomique en l’état, et refusa de signer une condamnation du coup de force contre Solidarnosc en Pologne.

Connu sur son lieu de travail pour ses engagements (ce qui lui valut parfois de n’avoir aucune promotion), il présida le Comité d’action pendant les grèves de Mai 1968. Le fonctionnement du CEA fut alors profondément remis en cause et l’on chercha les moyens d’associer les délégués des conseils de département et de direction aux décisions de la direction. S’étant syndiqué à la CFDT après les événements de Mai 1968, Bernard présida la commission intersyndicale qui s’était alors créée pour débattre de la politique énergétique en France. Au sein de la Mission de France Boudou a occupé une place particulière avec la simplicité qui le caractérisait. Bénéficiant de l’estime et de la confiance de toutes les générations, il présida des assemblées générales, anima longtemps le conseil presbytéral, et bien sûr l’équipe scientifique. Il aimait faire des ponts, cultivait la fidélité, mais se méfiait de l’exercice du pouvoir. A la retraite en 1983, Bernard Boudouresques anima le secrétariat Tiers-monde, rue de Rome, avec Bernard Gautier. Puis il se consacra jusqu’à ces derniers mois à l’histoire et aux archives de la Mission de France.

On ne saurait terminer sans évoquer son attachement à la pensée de Teilhard de Chardin. Ce visionnaire et mystique l’a aidé à articuler la démarche scientifique et la foi chrétienne. A cette époque l’enseignement rigide de l’Eglise était centré sur Adam et Eve et le péché originel. « On s’acharne à vouloir faire de l’Eglise un principe de stabilité et non de mouvement. Voilà ce qui nous tue… ». La pensée de Teilhard donnait une place éminente à Jésus Dieu-Homme et à la construction du corps du Christ. « Le christianisme n’avancera qu’en se convertissant au chemin d’humanité pris par le Christ. » Teilhard l’a conforté dans la nécessité pour les prêtres d’œuvrer eux aussi à la construction du monde : « Le prêtre n’est-il pas celui qui doit porter intégralement le poids de la vie, et montrer en soi comment peuvent s’allier le travail humain et l’amour de Dieu ? »

« Si le chrétien n’est pas en pleine sympathie avec le monde naissant, s’il n’éprouve pas en lui-même les aspirations et les anxiétés du monde moderne, s’il ne laisse pas grandir dans son être le sens humain, jamais il ne réalisera la synthèse libératrice entre la Terre et le Ciel d’où peut sortir la parousie du Christ universel. »

L’équipe épiscopale de la Mission de France

http://catholique-mission-de-france.cef.fr/

 

Ses obsèques seront célébrées Vendredi 30 août 2013 à 14h30

à l’église Saint Jean BOSCO

79 rue Alexandre Dumas - Paris 75020

 

Suivies de la crémation au cimetière du Père Lachaise

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