Zundel

 

Quelle est la peur qui a poussé tant de citoyens suisses à refuser, dimanche dernier, "la libre circulation des personnes" ? La peur du chômage et du dumping salarial. En termes positifs, la volonté de défendre l'emploi et un juste salaire. Je pense que Maurice ZUNDEL aurait compris cette crainte des travailleurs, quand on sait l'engagement qui a été le sien, dans la crise des années 30, pour défendre le droit au travail et proposer des solutions au problème du chômage.

 

1) Le travail

Pourquoi un tel engagement de la part d'un prêtre théologien ? C'est que pour Maurice ZUNDEL la question du travail et du chômage n'est pas seulement d'ordre économique, ou technique : il y va de l'homme, de sa dignité, de son esprit. Privé de travail, l'homme est atteint dans son humanité même.

Car pour Maurice ZUNDEL, - ce sera aussi le coeur de l'enseignement de Jean-Paul II dans Laborem excercens– le travail n'est pas seulement un moyen de production ou d'enrichissement, mais un "instrument d'humanisation".

"Le premier but du travail n'est pas de produire des choses, mais de produire des hommes".

Le travail doit permettre à l’être humain de devenir davantage ce qu’il est, une fin et non un moyen. Ce n’est pas l’homme pour le travail et le profit, mais le travail pour l’homme et son enrichissement personnel et communautaire. « On ne travaille pas pour produire à l'infini des choses, à seule fin d'enrichir quelques-uns. On travaille pour s'humaniser, pour aboutir au don harmonieux de soi-même. »2 Ce qui importe c'est de « viser essentiellement à une promotion humaine ». Plus qu'un "gagne-pain", le travail est une "gagne-vie ».

Cette humanisation passe par un effort de libération du travailleur afin de demeurer le maître de son action. Qu'il ne se laisse pas réduire à l'état d'homme-machine : "Qu'il se serve de tout, mais qu'il demeure le maître ; qu'il domine tout et d'abord soi-même, car la loi première est de ne rien subir et de convertir ses servitudes en liberté."

Maurice ZUNDEL va plus loin encore. Puisque "l'homme passe l'homme, infiniment" (Pascal), l'humanisation par le travail devient ouverture sur l'Infini, dépassement de soi, communion avec Dieu. " Le travail, le repos, les rapports quotidiens des hommes entre eux, c'est cela la religion, pourvu que chaque acte soit revêtu de cette présence divine et la communique"

2) Le chômage

Pour Maurice ZUNDEL, la cause fondamentale du chômage n’est pas d’ordre économique ou technique, elle réside dans la « matérialisation de la vie publique » et « la baisse des valeurs spirituelles » au profit de la seule valeur universellement reconnue : la richesse matérielle. Il s’agit de « gagner le plus possible, en produisant le plus possible, au plus bas prix possible. » La crise du chômage est donc d’abord « un événement spirituel » à dimension internationale, « une apostasie générale de l’esprit. »

Dès lors, le remède consiste d’abord à « renaître de l’Esprit », à susciter ce qu'on appellerait aujourd’hui une mondialisation spirituelle. Car « il y a une patrie humaine universellement humaine, sont nous sommes les membres en vertu des exigences de l’esprit, avant d’être les citoyens des peuples où nous avons nos racines terriennes… "Nous ne pouvons nous défendre contre le communisme qu’en réalisant la communion des esprits. » De toute urgence, il faut lancer « une campagne de presse mondiale sous le signe de l’Esprit. » (p.26) (1)

Face une crise à la fois spirituelle et internationale, on ne peut plus se barricader derrière nos frontières : « il ne nous est plus possible de résoudre nos difficultés si nous ne tenons pas compte de celles des autres. » D’où l’obligation d’élargir notre regard et de procéder à « un nouvel examen de la situation à la lumière de l’Esprit. » (p.27) (1) Un rêve merveilleux, mais utopique ? ZUNDEL, qui n’est pas un rêveur, mais un prophète, a bien conscience que pour devenir réalité cet idéal spirituel doit se concrétiser dans un programme de réformes économiques et sociales, tant sur le plan international que national.

Avec une grande audace, mais aussi un sens des réalités qui étonne, ZUNDEL va donc proposer une série de mesures dont certaines annoncent des réalisations qui ne verront le jour qu’après la 2ême guerre mondiale.

Sur le plan mondial, ZUNDEL propose que le Bureau international du travail serve d’organe régulateur de la production, en coordonnant les besoins et les possibilités du marché mondial, tout en veillant à ce que les « développement s techniques soient absolument subordonnés à la dignité humaine des travailleurs… et à l’équilibre spirituel de la civilisation. » (p.28) (1) Peut-on affirmer que L’Organisation mondiale du commerce (OMC) récemment instituée travaille dans cet esprit de respect et de justice ? Conjointement, il s’agit de « créer un organisme financier international sous forme de mutualité internationale (League for Life) qui prête aux Etats les capitaux indispensables à l’assainissement de leur économie…» et leur permette d’assurer, durant la période critique, une existence humaine à tous leurs ressortissants » (p.29) (1)

Tel sera aussi le but proclamé des fameuses institutions de Bretton Woods (Banque mondiale et Fonds monétaire international), fondées à la fin de la guerre pour venir en aide aux pays les plus pauvres. Avec quels succès et quels échecs ? On peut se demander ce qu’en penserait ZUNDEL aujourd’hui.

Cet ambitieux programme suppose évidemment (nous sommes en 1933, année de l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler !) qu’un « pacte de sécurité » oblige les nations à renoncer à toute entreprise belliqueuse et à soumettre à l’arbitrage international les conflits éventuels (p.30) (1). Il faudra aussi envisager l’émission d’une monnaie internationale, un système d’assurances internationales, « la transformation des colonies en Etats indépendants » (p.31) (1), l’établissement de stocks de denrées alimentaires (le futur Programme alimentaire mondial ?) et un organisme international pour l’éducation et la culture (le futur UNESCO ?)

Quant aux Etats membres de cette Mutualité et soutenus par elle, ils pourront à leur tour envisager une série de mesures pour enrayer le chômage. En voici qui n’ont rien perdu de leur actualité :

- réduction des heures de travail en fonction des risques et de la fatigue

- imposition d’une limite d’âge avec une retraite corrélative pour tous les travailleurs

- salaire marital suffisant pour permettre à la mère de famille de rester au foyer

- vacances payées pour tous…

 

Ainsi, pense ZUNDEL, le chômage, dans ce qu’il a de plus horrible, pourra prendre fin sans tarder… Alors on pourra envisager la création d’institutions qui permettent aux travailleurs d’accéder à « la richesse spirituelle qui convient à leur dignité d’hommes : foyers d’étude, d’art de prière, avec ‘de la musique avant toute chose’ » (p.34) (1).

Tout ZUNDEL est là : la compassion devant la souffrance humaine, l’indignation face à l’injustice sociale, le sérieux de la réflexion pour trouver des solutions, la confiance en la capacité de l’homme à se dépasser, l’espérance du Royaume.

 

Jean-Marie PASQUIER

L'engagement social de Maurice Zundel

 

Texte Intégral de l’article

 

(1)   La beauté du monde entre nos mains, (Articles de Maurice Zundel)

 Ed. A.Sigier, 2004

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