Entrée en « Carême » ce mercredi 22 février
20 févr. 2012
« Il n'y a plus de Carême, dans le sens traditionnel de privations et de restrictions alimentaires, imposées à tout chrétien pour toute la durée de la sainte quarantaine.
Les quelques jours de jeûne qui subsistent ne correspondent plus aux pressants appels de la Liturgie qui nous donnent un visage de pénitent et l'on éprouverait quelque confusion à les lire, si la pénitence se confondait avec l’abstention ou la réduction du boire ou du manger.
En réalité, la pénitence signifie et comporte un changement de coeur qui implique un renouvellement de toute la vie, dans la perspective de la Résurrection, qui est comme la Terre Promise de l'itinéraire spirituel que l'Église nous invite à parcourir, en revivant les quarante jours que Jésus passa au désert avant d'entrer dans sa vie publique.
Le plus sûr moyen de participer à ce Carême du Seigneur est évidemment de nous rappeler ce qu'il fût pour Lui. Les trois tentations qui résument ce temps d'épreuve, dans le récit que Lui-même en dût faire à ses disciples, nous laissent clairement entendre qu'Il eût à choisir, dans un combat qui préfigurait celui de Son Agonie, de boire jusqu'à la lie le calice de la Nouvelle Alliance qui ne pouvait être scellée que dans Sa crucifixion.
Il suffit de se souvenir de la prière de l'Agonie: " Père, si c'est possible, que ce calice s'éloigne de moi ", pour deviner ce que signifia réellement pour Lui, le refus d'un messianisme triomphant, à coup de miracles, de tous les obstacles opposés au règne de Dieu.
Le Carême nous invite à méditer sur cette douleur que le Christ a assumée, pour nous, en s'identifiant avec nous et à en tarir la source, en nous ouvrant à Sa Lumière, en nous laissant envahir par Son Amour.
C'est pourquoi notre premier souci doit être de faire du silence en nous, de nous recueillir chaque jour, quelques minutes, pour entendre Son appel et apprendre à vivre Sa vie comme la notre. Car le Règne de Dieu, c'est justement, comme le suggère un grand poète, de Le Laisser vivre dans la vie qu'Il répand.
Si nous pouvions ainsi, chaque jour un peu mieux, nous effacer en Lui et Le laisser transparaître en nous, ce Carême serait le plus beau des miracles. Selon la mesure de notre amour, le Christ cesserait d'être en nous le Seigneur crucifié, pour y devenir le Seigneur ressuscité.
Pâques ne serait plus alors le simple rappel d'un événement passé, mais la plus actuelle réalité de notre vie.
C'est ainsi que Pascal comprenait la vocation du chrétien, lorsqu'il écrivait ces mots qui expriment magnifiquement le sens de notre Carême
" Jésus sera en agonie jusqu'à la fin du monde; " il ne faut pas dormir pendant ce temps-là."
(Le Mystère de Jésus. Br.553)
S'Il choisit la Croix, c'est que la Rédemption exigeait autre chose qu'une manifestation de puissance, c'est que le Règne de Dieu ne pouvait s'établir par des prodiges capables d'éblouir les yeux et de susciter des acclamations, sans changer le coeur des témoins appelés à Le suivre.
Jésus ne séduira pas les foules : Il préfère l'échec à ce succès équivoque. Il se fait une autre idée de l'homme, comme Il apporte une nouvelle Révélation de Dieu. Il dira un jour à Pilate, qu'Il est venu pour rendre témoignage à la Vérité et que Sa Royauté se situe sur ce plan, comme elle ne peut être reconnue que par les amis de la Vérité.
Mais, nous en faisons chaque jour l'expérience, la Vérité ne peut pas être posée devant nous comme un objet, comme un bijou dans un écrin ou un verre d'eau sur la table, la Vérité ne peut nous atteindre qu'en devenant lumière en nous, par une transformation qui nous identifie avec elle en nous délivrant de tous nos préjugés et de tous nos partis pris jusqu'au degré de transparence indispensable à sa manifestation.
Si le Carême de cette année nous appelle, une fois de plus, à ce royaume de la Vérité qui occupait la pensée de Jésus durant sa retraite au désert, on voit, tout de suite, que les prescriptions alimentaires sont chose secondaire. Il s'agit, en réalité, d'une conversion, d'une transformation radicale de nous-mêmes, dans la lumière de cette "flamme d'amour" qui est la Vérité même, telle qu'elle vit au coeur de l'éternelle Trinité.
Nous n'avons donc pas à faire la grimace d'une pénitence ostentatoire, en feignant une mortification extérieure que l'Église renonce à nous demander. Ce qui nous est proposé, c'est littéralement, de changer de coeur, en renonçant, sans biaiser, à tout ce que notre amour-propre entraîne d'opacité et d'obscurité, de limites et de partialités, d'étalage de nous-mêmes et de mépris d'autrui.
La nuit de l'Agonie du Seigneur, comme le combat qu'Il soutint au désert, était un corps à corps avec cette mort qui a le visage du péché, qui a ses racines dans tous les refus d'amour que l'humanité n'a jamais cessé d'opposer à la tendresse divine, qui n'a jamais cessé de luire dans nos ténèbres. »
Maurice Zundel, Prêtre Suisse, 1897-1975