Faut-il une nouvelle loi sur les signes religieux ?
04 juin 2013
Pendant des années, la droite nous a affirmé que la loi de 1905 constituait sa règle d’or laïque, hommage hypocrite que le vice rendait à la vertu ! Le “ vice ” trouverait-il la situation mûre pour s’exposer sans fard ? Oui : une proposition de loi, déposée par plus de 100 députés UMP, vise à limiter drastiquement la liberté d’expression des convictions des salariés dans le secteur privé ; elle est débattue aujourd’hui à l’Assemblée nationale. Non : l’hypocrisie ne disparaît pas tout à fait puisqu’il s’agirait d’« étendre, non pas le principe de laïcité, mais le principe de neutralité religieuse ».
Cette ultime pudeur, gageons-le, serait violée par les médias et les politiques eux-mêmes sitôt la loi votée. A qui fera-t-on croire que l’imposition de la « neutralité religieuse » n’a rien à voir avec la laïcité ? Faut-il le redire une nouvelle fois, au risque de lasser : non seulement la loi de 1905, mais l’ensemble des mesures qui ont établi la « laïcité républicaine » en France, ont estimé que la laïcité signifiait la neutralité de la puissance publique et de ses représentants, mais pas au-delà.
D’ailleurs, l’imposition de cette neutralité a été progressive, voire incomplète. Ainsi la loi de 1882, instaurant la laïcité de l’école publique, permet implicitement aux congréganistes de continuer à enseigner dans cette école publique laïcisée. C’est quatre ans plus tard, en 1886, qu’il est prévu que, progressivement, il faudra choisir entre être congréganiste et instituteur/institutrice de l’école laïque. Quant aux hôpitaux publics, ils continueront le plus souvent à comporter des « bonnes sœurs » en habit dans leur personnel, surtout en province. Le principe a donc connu certaines dérogations et accommodements.
Mais tenons-nous en au principe. L’idée centrale est claire : tout comme la séparation, la neutralité de la puissance publique et de ses représentants constitue un moyen d’assurer l’impartialité de l’Etat, de garantir la liberté de conscience des individus et leur égal respect, finalités premières de la laïcité. Aussi bien Jules Ferry qu’Aristide Briand ont fortement insisté sur ce point. Est-ce à dire que la liberté de conscience est absolue ? Non, comme toutes les libertés publiques, elle doit s’articuler avec les autres libertés et droits des personnes, ainsi que les nécessités de la vie commune. C’est pourquoi, le Code du Travail prévoit certaines limites à l’exercice de cette liberté de conscience. La proposition de loi déclare explicitement vouloir modifier le Code du Travail dans le sens d’une forte restriction de la liberté.
L’évolution de la laïcité, de la gauche à la droite (et dans cette politique de droite, on trouve des socialistes, en fait héritiers des trahisons à la Guy Mollet) s’effectue par une diminution de la séparation et une hypertrophie de la neutralité qui, de moyen, devient une fin en soi…. Ce qui est tout à fait étranger à l’esprit de la loi de 1905. La neutralité, en effet, n’est plus reliée à l’impartialité de la puissance publique, elle s’étend de plus en plus à des secteurs de la société elle-même. L’entreprise est instrumentalisée en cette circonstance, et les DRH et autres managers ont fait très majoritairement savoir que non seulement ils n’étaient pas demandeurs mais qu’ils étaient réservés. On peut lire, à ce sujet, la double page de Libération du 28 mai, avec notamment les résultats de l’enquête de l'Offre (Observatoire du fait religieux en entreprise, Sciences Po, Rennes) : Laïcité : les entreprises ne tablent pas sur la loi.
Dans cet engrenage politicien, qui peut devenir le champion de cette « nouvelle laïcité » ? La Croix (29 mai 2013) nous donne la réponse : le député du « Front National Gilbert Collard ne souhaite rien d’autre qu’une “ neutralité totale ” avec “ l’interdiction de tous les signes religieux ” » (lire l'article). Au jeu d’un « plus laïque que moi tu meurs », l’extrême droite est et sera toujours gagnante. Certains, au centre droit, en sont d’ailleurs conscients et ont exprimés des réverses. Espérons qu’ils ne vont pas se faire doubler sur leur droite par certains députés PS et que, comme l’a fait la Commission des lois il y a quelques jours, la proposition sera rejetée par l’assemblée.
Pourquoi le jeu du « plus laïque que moi tu meurs » conduit à renier la laïcité ? Pour une raison très simple : la laïcité implique un double refus, celui de toute officialité des religions et celui d’un athéisme d’Etat. Ce double refus engendre un équilibre. Si cet équilibre est rompu, la laïcité est menacée. C’est le cas aujourd’hui car l’hypertrophie actuelle de l’imposition de la neutralité, son extension à des secteurs où elle n’a pas lieu d’être, tire la laïcité vers une de ses négations, qui est in fine l’athéisme d’Etat. Sauf que, naturellement, ce n’est pas l’athéisme d’Etat que vise Gilbert Collard ! Faut-il vous faire un dessin ? Ce n’est sans doute pas nécessaire !
Il est cependant urgent de prendre conscience que, dans cette dérive, toutes les convictions peuvent se trouver menacées un jour ou l’autre. La liberté ne se partage pas. Bien naïfs sont ceux qui pensent qu’une atteinte aux libertés ne saurait les concerner. L’histoire est coutumière de retournements où certains sont devenus victimes de leurs mauvais coups. Le problème est qu’alors tout le monde (et non seulement eux) sera alors victime de leur stupidité.