Homélie du 16ème dimanche du temps ordinaire - 21 juillet 2013
20 juil. 2013
Evangile selon saint Luc - Lc 10, 38-42
Deux récits d’hospitalité ce dimanche : chez Abraham, puis chez Marthe et Marie. L'hospitalité proverbiale des nomades est sympathiquement attestée, dans le récit de la Genèse, par l'attitude d'Abraham ; sans elle, les déplacements dans les déserts n'auraient guère été possibles, dans l'Antiquité. Un tel accueil va permettre de recevoir Dieu lui-même. « N'oubliez pas l'hospitalité, dira à son tour la lettre aux Hébreux (13, 1-2), car grâce à elle, certains, sans le savoir, ont accueilli des anges. » L'exigence d'accueil ne vaut-elle pas encore, tout spécialement durant ces mois d'été ? Le temps des vacances peut donner l’occasion d’ouvrir nos portes pour accueillir, écouter ou se confier. Des portes qui souvent restent closes, ou même verrouillées durant le temps du travail. Des portes qui s'entrebâillent parfois à la va-vite, et se referment aussitôt faute de temps, mais qui peuvent s'ouvrir toutes grandes pendant le temps des vacances. Trois femmes sont présentes dans les textes bibliques. Dans le livre de la Genèse d’abord, Sara, l’épouse stérile d’Abraham.
Aux chênes de Mambré, le Seigneur apparut à Abraham, qui était assis à l'entrée de la tente.
C'était
l'heure la plus chaude du jour.
Abraham
leva les yeux, et il vit trois hommes qui se tenaient debout près de lui.
Aussitôt,
il courut à leur rencontre, se prosterna jusqu'à terre et dit :
« Seigneur,
si j'ai pu trouver grâce à tes yeux,
ne
passe pas sans t'arrêter près de ton serviteur.
On
va vous apporter un peu d'eau, vous vous laverez les pieds,
et
vous vous étendrez sous cet arbre.
Je
vais chercher du pain, et vous reprendrez des forces avant d'aller plus loin,
puisque
vous êtes passés près de votre serviteur ! »
Ils
répondirent: « C'est bien. Fais ce que tu as dit. »
Abraham
se hâta d'aller trouver Sara dans sa tente, et il lui dit :
« Prends
vite trois grandes mesures de farine, pétris la pâte et fais des galettes. »
Puis
Abraham courut au troupeau, il prit un veau gras et tendre,
et
le donna à un serviteur, qui se hâta de le préparer.
Il
prit du fromage blanc, du lait, le veau qu'on avait apprêté, et les déposa devant eux ;
il
se tenait debout près d'eux, sous l'arbre, pendant qu'ils mangeaient.
Ils
lui demandèrent: « Où est Sara, ta femme ? »
Il
répondit: « Elle est à l'intérieur de la tente. » Le voyageur reprit :
« Je
reviendrai chez toi dans un an, et à ce moment-là, Sara, ta femme, aura un fils. »
Abraham a vu trois hommes et pourtant il s’adresse à eux comme à un seul. Il s’agit sans doute du Seigneur entouré des deux anges qui sont sur le chemin de Sodome, et Dieu fait un détour pour consulter le partenaire de son Alliance. Ce récit montre l’importance du devoir d’hospitalité dans la Bible. L’attitude d’Abraham lui permet de recevoir Dieu lui-même en la personne des trois étrangers. Sa prière d’invitation est émouvante : « Seigneur, si j'ai pu trouver grâce à tes yeux, ne passe pas sans t'arrêter près de ton serviteur". Elle annonce déjà la prière des marcheurs d'Emmaüs: "Jésus fit semblant d'aller plus loin". Ils lui dirent alors: "reste avec nous... et il entra pour rester avec eux... " Et voilà que l’hôte de passage annonce à Abraham que son épouse âgée et stérile va enfanter. Dommage que l’on ait coupé dans les missels la fin savoureuse du récit de la Genèse. Mais rien n’empêche de la lire.
Or, Sara écoutait par derrière, à l’entrée de la tente.
Abraham
et Sara étaient vieux et avancés en âge,
et
Sara avait cessé d’avoir ce qu’ont les femmes.
Sara
se mit à rire en elle-même et dit :
« J’ai
pourtant passé l’âge de l’amour et mon maître est un vieillard ! »
Le
Seigneur dit à Abraham : « Pourquoi Sara a-t-elle ri ?,
en
disant : Est-ce que vraiment j’aurais un enfant, vieille comme je suis ? »
Y
a-t-il une merveille que le Seigneur ne puisse accomplir ?
Au
moment fixé, je reviendrai chez toi, et dans un an, Sara aura un fils. »
Saisie
de crainte, Sara se défendit en disant : « Je n’ai pas ri ».
Mais
le Seigneur répliqua : « Si, tu as ri ! »
Grand branle-bas dans la maisonnée. Abraham court au troupeau, prend le veau gras, le donne à un serviteur, qui se hâte de le préparer. Sara prend trois grandes mesures de
farine, pétrit la pâte et fait des galettes. Trois mesures de farine, ce qui équivaut à 135 litres, un chiffre qui exprime la surabondance et que prendra Jésus dans une parabole du Royaume (Lc
13, 17-21).
On
peut noter que Sara est à l’intérieur de la tente. Elle écoute ce que disent les hommes à son sujet. Elle est bien concernée cependant, puisque il vient d’être annoncé à son époux qu’elle sera
mère. Sa réaction d’éclater de rire est intérieure et cependant le Seigneur l’a entendue ou devinée et il en semble contrarié. Quand le Seigneur en demande la raison à Abraham, elle se défend
d’avoir ri. Il ne s’adresse plus alors à Abraham mais à elle en personne et lui dit : « Si ! tu as ri ». Décidément les premières fois que Dieu s’adresse directement aux
femmes dans la Bible, c’est pour les accuser de péché ! Il avait reproché à Eve d’avoir écouté le serpent et il reproche à Sara de n’avoir pas pris au sérieux ses
promesses !
Dans
l’évangile, encore un récit de Luc - comme celui du bon samaritain -, qu’il est le seul à rapporter. Jésus est invité chez deux sœurs, Marthe et Marie, dont il ne nous est pas dit si elles sont
épouses, mères ou célibataires. Dans l'univers palestinien du temps de Jésus, les Douze, comme les hommes de leur temps, ne parlaient guère aux femmes, du moins en public. Ils étaient choqués de
voir Jésus s’entretenir avec la samaritaine (Jn 4,27), comme l’était Simon quand il s’adressait chez lui à une pécheresse publique. Une seule exception, la réponse de Pierre à la servante qui le
reconnaît au soir du jeudi saint : « Je ne sais pas ce que tu veux dire ». Dans les évangiles, Jésus quant à lui, dialogue couramment et en diverses circonstances avec les femmes.
C’est là une grande nouveauté. Il entend leurs questions, écoute leurs réponses et souvent reconnaît en elles la force de l'Esprit. Elles sont les premières à entendre, recueillir et annoncer son
message de ressuscité, nous l’avons déjà signalé à Pâques.
Dans
l'évangile de Luc, Jésus est reçu chez Marthe et sa sœur Marie. Marthe s'affaire au moins autant qu'Abraham, Sara et leur serviteur.
Alors qu'il était en route avec ses disciples, Jésus entra dans un village.
Une
femme appelée Marthe le reçut dans sa maison.
Elle
avait une sœur nommée Marie qui,
se
tenant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole.
Marthe
était accaparée par les multiples occupations du service.
Elle
intervint et dit : « Seigneur, cela ne te fait rien ?
Ma
sœur me laisse seule à faire le service. Dis-lui donc de m'aider. »
Le
Seigneur lui répondit: « Marthe, Marthe,
tu
t'inquiètes et tu t'agites pour bien des choses.
Une
seule est nécessaire.
Marie
a choisi la meilleure part : elle ne lui sera pas enlevée. »
Comment comprendre l'agacement de Marthe ? Jésus est accueilli par deux femmes, et l'une d'entre elles, Marie, assise aux pieds du Seigneur, en écoutant son enseignement, contrevient aux
règles les plus élémentaires de la religion au temps de Jésus : les femmes sont exclues en effet de l'enseignement religieux. « Apprendre la loi à sa fille est comme lui apprendre la
débauche », lit-on dans la Mishna à la fin du premier siècle. Or Jésus encourage une femme à suivre son enseignement, alors que la place des femmes est celle de Marthe, celle du service aux
cuisines. Nous avons peine à percevoir aujourd'hui l'aspect provoquant de ce récit. Il témoigne d’une nouveauté chrétienne attestée surtout dans les écrits de Luc et certaines lettres de Paul. Le
fait que les femmes aussi seront baptisées, recevront un enseignement et se verront confier de grandes responsabilités dans les Eglises des commencements. Marie est une femme, elle a choisi la
meilleure part, celle jusque là réservée aux hommes. Elle ne lui sera pas enlevée, dit Jésus. L’histoire de l’Eglise ne lui donnera guère raison !
Trois
belles figures de femmes dans ces récits. Sara, âgée et stérile, par qui va naître Isaac, « l’enfant du rire » et de la promesse. Lorsque survient l’alliance entre Dieu et l’humanité,
cela donne lieu à un éclat de rire ! Marthe la maîtresse de maison besogneuse et attentionnée, et enfin Marie sa sœur, en qui toutes les femmes sont appelées à l’égal des hommes à être
disciples du Christ.
Michel Scouarnec