Homélie du Dimanche 25 août 2013
23 août 2013
Imperturbablement, de dimanche en dimanche nous continuons en l’évangile selon saint Luc d'accompagner le Christ dans sa marche vers Jérusalem. Aujourd'hui une question redoutable concernant le salut lui est posée par « quelqu’un » dont nous ne savons rien. Pour bénéficier du salut, il faut passer par une porte. Mais est-elle large ou étroite, réservée à quelques uns ou grande ouverte à tous ?
Dans sa marche vers Jérusalem, Jésus passait par les villes et les villages en enseignant.
Quelqu'un lui demanda: « Seigneur, n'y aura-t-il que peu de gens à être sauvés ? »
Jésus leur dit: « Efforcez-vous d'entrer par la porte étroite, car, je vous le déclare, beaucoup chercheront à entrer et ne le pourront pas. »
Jésus ne semble pas très satisfait de la manière dont la question lui est posée ; n’y aura-t-il que peu à être sauvés ? Cette question s’est posée à toutes les religions fondées sur une foi en un salut, et elles lui ont apporté et apportent encore des réponses diverses. Ou bien ne seront sauvés que les élus, les fervents, les purs, ceux qui confessent leur foi jusqu’au martyre, ceux qui mettent scrupuleusement en pratique tous les commandements et préceptes. Ce qui peut les conduire à constituer des sectes de purs dans un monde où règne le mal. Ou bien le salut est proposé à tous - voire imposé -, parce que lié à la citoyenneté, que l’on soit fervent pratiquant ou pas. L’Eglise a été tiraillée entre ces deux modèles depuis ses origines notamment en ce qui concerne la pratique du baptême, sacrement par excellence nécessaire au salut. Le premier modèle a été dominant jusqu’au 4ème siècle quand il était demandé et reçu par des adultes souvent rejetés et persécutés. Le second lui a succédé durant les siècles de chrétienté. Nécessaire au salut, il fallut à partir du 5ème siècle le recevoir dès la naissance (saint Augustin). A cette nécessité s’ajouta en France à partir du XVIème siècle une obligation assignée par les rois à l’Eglise catholique siècle, de le conférer dans les 24 heures, pour l’utiliser comme un moyen de recensement. Avec le concordat de Napoléon, baptême et état civil ont été dissociés. Aujourd’hui se pose encore pour le baptême de manière neuve dans un monde sécularisé la question du rapport entre la foi et le salut.
Jésus répond au « quidam » qui l’interroge, comme c’est souvent le cas, non pas de manière directe mais en déplaçant la perspective. Il y a dans sa réponse trois types de portes : l’une est étroite, l’autre close et la troisième largement ouverte. La question était posée au futur, Jésus répond au présent d'abord, et prend l'image de la porte étroite. Deux expériences peuvent nous aider à l’interpréter.
D’abord une expérience parlante en ce temps de rentrée. Les autoroutes sont piégées par les bouchons quand se produit un rétrécissement et qu'on ne circule plus que sur une seule voie. On se bouscule au portillon d'autant plus qu'on a peut-être attendu le dernier moment pour prendre le départ. Ne remettez pas à demain de prendre la route du salut, dit Jésus. Sans attendre prenez au sérieux votre existence. Chercher à entrer dans la cohue au dernier moment, c'est risquer de trouver porte close. Il y a urgence de vivre l'évangile chaque jour. L’éternité est déjà commencée pour chacun. Le temps du salut, c’est aujourd’hui. Etre sauvé, c’est vivre l’évangile, dès maintenant et à chaque instant.
Et puis encore une autre expérience. Que se passe-t-il quand on perd quelque chose dans un espace réduit, derrière un meuble par exemple ? On fait souvent appel aux petits. Une petite main, un corps d’enfant ça passe plus facilement. Cela correspond bien au message de Jésus : « Celui qui n’accueille pas le royaume de Dieu comme un enfant n’y entrera pas. » Seuls peuvent passer par la porte étroite ceux qui ont suivi un régime, celui de l’évangile, pour se désenfler d’eux-mêmes, se vider de leurs poches et de leurs mains pleines, apprendre la petitesse et la simplicité de cœur. Faisant suite à l’image de la porte étroite, voici celle de la porte close.
« Quand le maître de la maison se sera levé et aura fermé la porte, si vous, du dehors, vous vous mettez à frapper à la porte, en disant: ´Seigneur, ouvre-nous´, il vous répondra: ´Je ne sais pas d'où vous êtes.´
Alors vous vous mettrez à dire :´Nous avons mangé et bu en ta présence, et tu as enseigné sur nos places.´ Il vous répondra: ´Je ne sais pas d'où vous êtes.
Éloignez-vous de moi, vous tous qui faites le mal.´ Il y aura des pleurs et des grincements de dents quand vous verrez Abraham, Isaac et Jacob et tous les prophètes dans le royaume de Dieu, et que vous serez jetés dehors. »
Le deuxième point de la réponse est un avertissement sévère. On peut considérer qu’il concerne non plus la foule des gens plus ou moins fervents, mais ceux qui affirment et vivent leur foi et sont des pratiquants fidèles, ou peut-être sont théologiens, prêtres ou religieux. N'allez pas vous imaginer, leur dit Jésus, quand vous frapperez à la porte, que le fait de vous réclamer de Dieu ou du Christ sera un argument décisif pour qu’on vous ouvre. Vous serez jugés d'abord sur vos actes. C'est de faire le mal ou le bien qui rapproche ou non de Dieu. Inutile de vous prévaloir d'être son ami ou son représentant, d'être son peuple élu ou son Eglise. Se gargariser du nom de Dieu ne donne aucun droit au salut. Auprès de lui il n'y a ni passe-droit, ni copinage. Si vous avez prôné le mal, la haine ou l'oppression en son nom, alors vous vous entendrez dire : « Je ne sais pas d'où vous êtes... ». Parler de Dieu, en son nom, sans lui ressembler dans sa manière de vivre son humanité, c’est s’éloigner de lui et non se préparer à entrer dans son Royaume. Si vous avez pris prétexte de votre foi en Dieu pour vous évader de vos responsabilités terrestres, il vous révélera que vous vous êtes éloignés de lui, alors que vous pensiez vivre en son intimité.
Après cette double parabole de la porte, Jésus revient à la question du début et y répond encore en changeant de perspective. La porte étroite ou close se fait porte grande ouverte.
« Alors on viendra de l'orient et de l'occident, du nord et du midi, prendre place au festin dans le royaume de Dieu. Oui, il y a des derniers qui seront premiers, et des premiers qui seront derniers. »
La volonté de Dieu est que tous soient sauvés. Le festin qu’il prépare dans son royaume est ouvert à tous les peuples : est-ouest-nord-midi, toute la terre est invitée et pas seulement le petit nombre des membres d'Israël, pas seulement les parfaits. Ceux-ci risquent d'être surpris et de grincer des dents, quand ils vont découvrir qu'ils sont derniers à entrer par la porte alors qu'ils se croyaient les premiers. Nous reconnaissons bien là la dimension universelle du salut que Jésus vient annoncer, et sur laquelle l'évangéliste Luc insiste sans relâche. Il y a dans ce passage d'Evangile comme un agacement et un ton agressif dans les paroles du Christ. Aux membres du peuple d’Israël qui s’enferment dans des pratiques sclérosées, légalistes, qui refusent de se convertir à l’Evangile, qui s’estiment assurés d’être sauvés et méprisent les païens ou les pécheurs, il annonce que les peuples de toute la terre lui feront meilleur accueil et que la porte du Royaume leur sera grande ouverte.
Les avertissements du Christ sont toujours d’actualité. On peut se réclamer de lui à tort et à travers, se présenter comme plus proche de lui que d'autres, que l’on a droit au salut puisque on parle sans cesse de lui. « Hors de l’Eglise point de salut » a-t-on dit durant des siècles. « L’Église est, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » a proclamé le concile Vatican 2. L’appel du Christ à vivre l’Evangile du salut s’adresse à tous les peuples, à tous les humains qui, sans distinction, s’efforcent de lutter pour la justice et la paix. Ces propos de Jésus sont en parfaite harmonie avec ce qu’annonçait déjà le prophète Isaïe rappelant à Israël sa vocation à l’universalité.
« Parole du Seigneur. Je viens rassembler les hommes de toute nation et de toute langue.
Ils viendront et ils verront ma gloire: je mettrai un signe au milieu d'eux ! J'enverrai des rescapés de mon peuple vers les nations les plus éloignées, vers les îles lointaines qui n'ont pas entendu parler de moi et qui n'ont pas vu ma gloire : ces messagers de mon peuple annonceront ma gloire parmi les nations. Et, de toutes les nations, ils ramèneront tous vos frères, en offrande au Seigneur, sur des chevaux ou dans des chariots, en litière, à dos de mulets ou de dromadaires.
Ils les conduiront jusqu'à ma montagne sainte, à Jérusalem, comme les fils d'Israël apportent l'offrande, dans des vases purs, au temple du Seigneur. Et même je prendrai des prêtres et des lévites parmi eux. »
Michel SCOUARNEC