Nietzsche

Le mensonge dont il est question ici n’est pas « l’arrangement de la vérité » que fait un enfant par peur de la réprimande de ses parents (même s’il y a bien entendu déjà mensonge ) mais un acte délibéré qui porte un grave préjudice aux autres et dont on a conscience qu’il pourrait totalement nous discréditer mais que l’on pose « froidement » en espérant ne pas être « démasqué ».

 

« Le mensonge lance son venin, ruinant l'essence même de la parole qu'est la confiance.

 

Le mensonge tord la vérité, interdit la relation, la divise. Il insinue de la confusion, du chaos, là où les humains tentent laborieusement de rendre possible un monde habitable, avec des balises qui pointent où aller pour vivre.

Le mensonge met tout à l'envers. Nous pensions pouvoir nous appuyer sur une parole de respect, et c'est la terre qui se dérobe. Rappelez-vous nos « parents » à tous : 1'homme et la femme des commencements (Genèse 2-3).  Ils devaient obéir à une parole de Dieu pour vivre en paix dans le monde qui leur était confié. Un serpent sort de nulle part, il siffle à leurs oreilles : et si Dieu vous racontait des histoires pour préserver avec jalousie son pouvoir.  Il sème le trouble.  Si Dieu nous mentait? se disent-ils, et « ils mangèrent du fruit de l'arbre » : et ce fut alors la défiance et la peur, non la toute-puissance promise, qui s'invitèrent.  Là où il doit honorer sa parole par l'engagement de son être, l'homme se déclare absent de lui-même.

« J'ai menti » donc, disait une jeune femme.  En 1999, à l'âge de 14 ans, Virginie accuse son père d'abus sexuels pour « se rendre intéressante ». Sept années plus tard, dont six passées en prison pour cet homme, Virginie écrit J'ai menti, pour le faire innocenter. « Le but n'est pas de me montrer mais de blanchir mon père. [...]  II n'a jamais rien fait. »  Elle termine : « Je sais que je peux me retrouver à mon tour devant un tribunal, poursuivie pour délit de dénonciation calomnieuse.  Mais je veux aujourd'hui dire la vérité. »  Louable volonté, bien tardive. Mais son mensonge provoque un désastre au-delà des siens. Nos paroles agissent, elles n'engagent pas uniquement nos existences privées : elles ont des répercussions sociales, un jour ou l'autre.

Celles et ceux qui furent violentés en leur chair, jusqu'au coeur de leurs affections, eux aussi sont touchés de plein fouet par cette parodie. Nous connaissons les sentiments mélangés qui habitent ces personnes, dont le déni, la culpabilité, parfois une forme d'incrédulité devant ce qui [leur] est arrivé. Entendant les propos de cette jeune femme, combien se diront : « Si moi aussi j'avais inventé? »

Il y a de quoi être en colère devant l'instrumentalisation de ce crime comme c'est aussi le cas, cyniquement, dans des procédures de divorce, par exemple.

Le mensonge lance son venin, ruinant l'essence même de la parole qu'est la confiance. Tout acte de parole promet la vérité, même - et surtout! - l'acte de parole trompeur, qui peut aller jusqu'à jurer qu'il dit vrai, alors qu'il ment. C'est pourquoi il est une meurtrière déflagration. Du sein de nos failles, ordinairement, tentons de faire honneur à nos paroles en les habitant de notre existence, celle qui se sait redevable pour d'autres, y compris inconnus. »

Véronique Margron, religieuse et théologienne

 

La vie, le 5 octobre 2006

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