Jean Vilnet : un grand évêque de la génération Vatican II
23 janv. 2013
Evêque émérite de Lille et ancien président de la Conférence épiscopale, Mgr Jean Vilnet est décédé aujourd'hui. Il fut un acteur majeur de la vie de l'Eglise en France ces 30 dernières années.
Jean Vilnet qui vient de mourir laissera plus de marques que le laisserait penser à priori le souvenir de sa personnalité discrète et distante en apparence. Cet homme originaire de l'Est de la France, intimidant au premier abord, montra en effet d'éminentes qualités humaines, intellectuelles et pastorales aussi bien dans ses responsabilités nationales, comme président des évêques de France (1981-1987) qu'épiscopales à Saint-Dié (1964-1983) puis à Lille (1983-1998).
« Né dans le Concile » disait il en évoquant sa nomination épiscopale en 1964, Jean Vilnet fut profondément inspiré par sa participation aux assemblées conciliaires à Rome. Il ressourçait constamment sa réflexion et son action dans les textes de Vatican II dont il citait volontiers par coeur des passages. La corresponsabilité prêtres-laïcs, la formation théologique et pastorale de ces derniers, la promotion du diaconat permanent, l'engagement social et politique des catholiques dans la société faisaient partie des priorités naturelles de cet évêque distingué de la génération Vatican II. Spécialiste de saint Jean de La Croix à qui il avait consacré une thèse, Jean Vilnet était à la fois un grand connaisseur de la tradition vivante de l'Eglise et un pasteur sachant humer les évolutions de la société et des mentalités de son temps. Aussi dans les diocèses dont il eut la responsabilité, avec une « audace tranquille » que soulignait La Vie en 1981, Jean Vilnet n'hésita pas à procéder aux évolutions qui pouvaient, selon lui, permettre à l'Eglise catholique de garder le cap sur sa double mission : l'annonce de l'Evangile et le dialogue avec la société. Pétri de christianisme social, Jean Vilnet s'est toujours montré, à Saint-Dié comme à Lille, très à l'écoute des militants catholiques « qui dans leurs engagements concrets, n'ont cessé d'approfondir leur foi et d'être proches des plus pauvres ». Quand il parlait d'eux, c'était toujours avec une pointe sincère de reconnaissance et de fierté.
C'est donc cet « homme complet » et simple au dire de ses confrères qui succède au cardinal Roger Etchégaray à la tête de l'épiscopat français en 1981. Sa présidence coïncida avec l'arrivée historique de l'union de la gauche au pouvoir. Ses débuts furent troublés par les vives tensions soulevées par le projet du gouvernement de François Mitterrand de faire de l'Education nationale un service unifié aux dépens de l'Enseignement privé. Ce projet fut retiré après l'imposant succès de la manifestation de ses opposants, soutenu par les évêques, en 1984. Peu à peu les relations avec le pouvoir socialiste s'apaisèrent selon le vœu du triumvirat qui dirigeait l'épiscopat et que formaient Jean Vilnet, son vice-président Albert Decourtray et son secrétaire général Gérard Defois. Leur souci commun était de toujours privilégier la concertation et la négociation sur l'épreuve de force ; éviter à tout prix un choc frontal qui, pensaient-ils, serait préjudiciable dans l'avenir à la place et à l'action de l'Eglise catholique dans la société.
Cette recherche de compromis ne fut pas toujours bien admise dans certains milieux romains qu'inquiétait l'accélération de la sécularisation de la société française. Le pape Jean Paul II, qui avait entamé son tour du monde pastoral par une visite mémorable à Paris, en 1980, commençait alors à charpenter sa vision d'une « nouvelle évangélisation » à l'approche du IIIème millénaire. Des courants de l'Eglise de France cherchèrent à opposer cette nouvelle dynamique pastorale insufflée par le pape et relayée par de nouveaux mouvements (charismatiques notamment) au soutien que l'épiscopat français apportait aux mouvements d'action catholique qui dominaient la scène depuis le début du XXème siècle. Des organismes de l'épiscopat, comme le CCFD qui était très actif en Amérique latine où les chrétiens se dressaient alors contre des dictatures militaires, firent alors l'objet d'accusations de connivences politiques. D'autres affaires épineuses compliquèrent la présidence de Jean Vilnet : les remous créés par les déclarations jugées hétérodoxes de l'évêque d'Evreux Jacques Gaillot (dont Jean Vilnet avait été le professeur au séminaire de Langres) ; le refus du Vatican d'agréer les méthodes catéchétiques promues par la conférence épiscopale ; la rebellion traditionnaliste menée par Mgr Marcel Lefevbre... Face aux difficultés et aux critiques, Jean Vilnet se montra imperturbablement calme et ferme, défendant une ligne majoritairement soutenue par ses pairs, ce qui ne facilita pas toujours ses relations avec le cardinal Lustiger qui bénéficiait de l'oreille attentive du Vatican et d'une influence médiatique importante dans le pays.
Jean Vilnet, fut selon la formule forte de Bernard Podvin, porte-parole des évêques de France, « un mystique de l'action pastorale ». L'évêque émerite de Lille avait en effet le sens de l'action. La réforme ne lui faisait pas peur, lui qui avait particpé au concile, à ce qu'elle devienne un outil pastoral au service de la mission de l'Eglise dans le monde. Mais son action de prêtre puis d'évêque n'avait de sens, pour cet ami de sainte Thérèse de Lisieux et de sainte Bernadette de Lourdes, que si elle avait été plongée longuement dans la prière, dans un « cœur à cœur quotidien avec Dieu », disait-il.
La Providence aura voulu que Jean Vilnet disparaisse pendant l'année du centième anniversaire du diocèse de Lille : pour les Lillois, il restera en effet le pasteur venu de l'Est qui acheva leur cathédrale inachevée, Notre-Dame de la Treille, en parant sa façade d'un ouvrage d'art digne ce nom.
Michel Cool