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Au moment où nous nous engageons dans DIACONIA 2013 et où nous redécouvrons que « le service des pauvres » est l’une trois composantes de notre foi (annoncer, célébrer, servir) je vous propose des extraits d’une homélie du Père Joseph FOLLIET, prêtre du Prado lors des Semaines Sociales de France en 1970 :….

 

« Comme il convient à un prêtre, et particulièrement à un prêtre du Prado, disciple de ce Père Chevrier qui ne voulut connaître que l'Evangile du Christ, n'attendez de moi que l'Evangile, rien que l'Evangile, mais tout l'Evangile, pur et brûlant, dur et lumineux, dans sa déchirante douceur et ses exigences impitoyables.

Que dit l'Evangile ?

L'Evangile parle avec toute la clarté et toute la netteté voulues. II nous dit que le pauvre, c'est le Christ, et que le Christ, c'est le pauvre par excellence, le Dieu qui a voulu avoir besoin des hommes.

Sur la face de tout pauvre, la face radieuse et douloureuse du Christ, la Sainte Face se reflète.

Dans le regard de tout pauvre, je vois le regard du Christ qui rencontre mon regard.

Le regard vitreux, pierreux, terreux de ce vieillard, dont tes yeux desséchés ne trouvent même plus la ressource des larmes, c'est le regard du Christ : il rencontre mon regard et me fait baisser les yeux.

Le regard terne, délavé et détrempé de cette vieille femme que tous méprisent, c'est le regard du Christ : il rencontre mon regard et me fait baisser les yeux.

Le regard fixe et égaré de ce malade mental, envahi par ses obsessions, c'est le regard du Christ : il rencontre mon regard et me fait baisser les yeux.

Le regard furtif, timide et apeuré du chômeur, sans cesse renvoyé de porte en porte et de bureau en bureau, c'est le regard du Christ. II rencontre mon regard et me fait baisser les yeux.

Le regard déshumanisé et glacial de cette prostituée, c'est le regard du Christ : il rencontre mon regard et me fait baisser les yeux.

Le regard effronté douloureux de l'enfant sans amour, le gamin des quatre cents coups, le voyou des rues, c'est le regard du Christ; il rencontre mon regard et me fait baisser les yeux ...

Et voici que tous ces regards de pauvres se concentrent, se fondent en un seul regard, votre regard: O Christ des pauvretés, ô Christ des douleurs ; il rencontre mon regard et me fait baisser les yeux.

Jésus est en agonie jusqu'à la fin du monde, disait Blaise Pascal : il ne faut pas dormir pendant ce temps-là. Jésus souffre dans ses pauvres jusqu'à la fin du monde : il ne faut pas dormir pendant ce temps-là.

Rendons-nous cette justice, mes frères, que nous dormons bien, d'un sommeil épais et tranquille. De l'exemple de Pierre, Jacques et Jean, nous avons reconnu le sommeil au Jardin des Oliviers : nous dormons pendant l'agonie du Christ. Le Seigneur peut frapper à notre porte, comme l'ami importun ; ou cogner à nos volets, ainsi que chantait le Père Duval, nous avons le sommeil dur : nous ne nous éveillons pas.

….

Je ne pense pas seulement à ce riche de l'Evangile, qui a laissé derrière lui une nombreuse postérité. Nous l'appelons le mauvais riche ; saint Luc l'appelle le riche, tout court. Tout occupé à festoyer, il ne voit même pas Lazare étalant sa misère et ses ulcères à sa porte, disputant aux chiens errants leur nourriture. Sa richesse lui bouche les yeux et l'entendement. ….

Je ne pense pas seulement aux satisfaits qui rassurent leur conscience en se disant que, d'après l'Evangile, il y aura toujours des pauvres parmi nous et que, dans ces conditions, un de plus, un de moins ! ... Leur sécurité repose d'ailleurs sur un contre-sens, car la parole du Christ n'a jamais entendu signifier l'immortalité de certaines formes de misère, elle constate un fait : les apôtres ont toujours des pauvres avec eux. On peut cependant lui donner une signification spirituelle et universelle en ce sens que l'humanité comptera toujours des hommes qui, de façon ou d'autres, auront besoin d'aide matérielle ou morale. Tout homme est à la fois un pauvre par son besoin d'aide et un riche par ses possibilités d'aide. Bonne raison pour agir et servir au' lieu de se réfugier dans la fausse paix des consciences heureuses.

Non, ce n'est point à ces riches lourds et crasses que je pense maintenant, mais à nous, mes frères, à vous et à moi, les « gens bien », ….

La vérité c'est que, si nous aimons le Christ dans les pauvres, toute misère doit nous empêcher de dormir. Comment dormirai-je en paix quand des photos m'ont présenté les petits enfants du Biafra, incertains entre la vie et la mort ? Comment dormirai-je quand j'entends monter vers moi, dans les ténèbres, la clameur de tous ceux qu'on bafoue, qu'on humilie et qu'on torture, comme vous, ô Christ douloureux, au prétoire et sur le calvaire ? Comment prendrai-je sans remords de bons repas bien arrosés quand d'innombrables familles souffrent de la faim et quand le coût de nos exploits gastronomiques suffirait à nourrir une de ces familles pendant deux mois ?

Manquons-nous de coeur ? Je ne le pense pas, nous manquons surtout d'imagination. C'est parce que nous n'imaginons pas la misère des autres que nous reposons dans une fausse paix, la paix de l'ignorance.

…..

J'ai prononcé le grand mot chrétien de charité, mais je pourrais aussi bien parler de justice, car le partage des biens entre ceux qui ont et ceux qui n'ont pas les rétablit dans l'égalité, comme nous le dit saint Paul. Peut-être les moralistes ont-ils trop précautionneusement distingué entre la charité et la justice : il faut une telle distinction pour voir clair et je l'ai souvent faite avec eux. Mais distinction n'est pas séparation, moins encore coupure. De même que la justice poussée jusqu'au bout, jusqu'à l'équité, préfigure l'amour et monte vers, lui, de même la charité, par les partages qu'elle commande, peut être la forme la plus subtile et la plus achevée de la justice. En rigueur de termes, nous ne pouvons rien donner à autrui puisque tout appartient à Dieu et que rien ne nous appartient ; mais nous pouvons partager avec nos frères les dons de la munificence divine dans un élan du cœur où se rencontrent la justice et l'amour.

Seulement, pour partager il faut être pauvre. Seuls ceux qui ont un cœur de pauvre savent partager : nous en faisons l'expérience tous les jours depuis l'obole de la veuve. Seuls ceux qui ont une âme de pauvre savent partager sans humilier les pauvres avec lesquels ils partagent. On l'a fait justement remarquer au cours de cette Semaine les pauvres seuls peuvent parler des pauvres. Malheureusement, du fait même qu'ils sont pauvres, ils ne savent s'exprimer ni par la parole ni par la plume - et c'est encore une forme de la misère. Ils sont condamnés au silence et quand, par hasard, l'un d'eux trouve la possibilité de s'exprimer, de porter son témoignage, la littérature se met dans ses écrits comme les vers dans la viande et les snobismes s'en emparent. Pensons aux sottises entassées autour des clochards et des prostituées.

Les pauvres ne pouvant s'exprimer, il n'y a pour eux qu'un moyen de les comprendre, c'est de nous faire pauvres avec eux et comme eux, afin de sympathiser avec eux, au sens profond de ce mot qui traduit la communauté des douleurs et des passions.

C'est ici que nous retrouvons l'invitation évangélique à l'esprit de pauvreté qui ne saurait aller sans pauvreté volontaire et effective. Je l'ai dit souvent, mais il faut le répéter sans cesse, la pauvreté évangélique est !a condition indispensable de toute lutte contre la misère, que ce soit celle du Tiers-Monde extérieur ou celle du Tiers-Monde intérieur qui vit en marge de nos cités lumineuses. Comme disait le Père Lebret, il nous faut consentir à avoir moins pour être plus et pour que d'autres soient plus. C'est la définition même de l'esprit de pauvreté.

Aussi je conclurai ce rappel d'Evangile comme je l'ai commencé « bienheureux ceux qui ont une âme de pauvre, bienheureux ceux qui se font une âme de pauvre. »

 

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