Famille Moulin Fournier   

Comme tous les enfants, ils ont voulu "des frites", a raconté leur père, Tanguy Moulin-Fournier, avec un rire dans la voix. Mais ces enfants-là, Eloi, 12 ans, Andéol, 10 ans, Maël, 8 ans, Clarence, 5 ans, venaient de subir deux mois de captivité, otages de la secte fondamentaliste nigériane Boko Haram, avec leurs parents et leur oncle Cyril Moulin-Fournier. Enlevés dans le nord du Cameroun, le 19 février, après la visite d'un parc naturel, les quatre fils du couple Moulin-Fournier ont dû vivre, comme les adultes, dans des conditions extrêmes. Mais ils avaient peut-être, ajoute leur père, "un petit quelque chose" qui leur a permis de tenir bon.

                   Tanguy Moulin-Fournier (à gauche), sa femme Albane et son frère Cyril, à l'ambassade de Yaoundé (Camroun) après leur libération. | AFP/Reinnier KAZE

A coup sûr une famille unie, une éducation où comptent la foi catholique et les principes, une bonne réserve d'optimisme aussi : "Ils sont éduqués d'une façon simple, dans le sens où il n'y a pas de plaisirs matériels faciles. Cela va de pair avec un grand respect pour autrui", témoigne un Français qui les côtoie à Yaoundé, où ils vivent depuis septembre 2011. Les Camerounais qui travaillaient pour eux, raconte-t-il, étaient effondrés, après leur enlèvement. Pour leur chauffeur en particulier, ce fut "une souffrance terrible".

Tanguy Moulin-Fournier, qui a eu 41 ans pendant sa séquestration, s'était installé au Cameroun avec les siens, pour contribuer, comme cadre de GDF, à un projet d'usine de liquéfaction de gaz. Chargé des relations avec l'extérieur, il avait développé, selon un collègue qui tient à rester anonyme, comme tous ceux qui ont accepté de s'exprimer, "de très bons contacts avec tous les protagonistes du projet, avec les citoyens lambda, avec les autorités". Loin de la vie habituelle des expatriés qui vivent en ghetto, la famille se mêle à la vie quotidienne camerounaise, participe aux fêtes, aux mariages et développe un vaste réseau d'amis et de connaissances.

CRÉATIF, AVEC "DES SOLUTIONS RAPIDES DANS L'ACTION"

Albane Moulin-Fournier, une jolie femme brune et souriante apporte discrètement son aide à des associations locales. Quand les Moulin-Fournier disent qu'ils veulent rentrer chez eux, c'est à Yaoundé. A la date de leur libération, le 19 avril, plusieurs milliers de messages de soutien et de solidarité étaient arrivés sur l'intranet de l'entreprise.

Et quelques heures à peine après son retour à la liberté, son mari assurait au chef de projet avec lequel il travaille : "Voilà, c'est fini. Je serai à mon poste la semaine prochaine." Il sera sans doute un peu tôt, mais pour ceux qui le connaissent, la force morale de Tanguy Moulin-Fournier ne fait aucun doute. Réputé débrouillard, créatif, avec "des solutions rapides dans l'action", l'ex-otage avait gagné un surnom parlant : "le couteau suisse". Selon un proche, la famille a réussi à développer des relations humaines avec ses ravisseurs et revient - ce que seul le temps peut confirmer - sans traumatisme important.

L'ouverture d'esprit, la curiosité du monde, ne leur ont, en tout cas, jamais fait défaut. Et l'argent n'a jamais pris la première place dans leurs valeurs. "Tanguy a toujours été passionné de géopolitique. Quand nous étions jeunes, nous jouions à Risk [un jeu stratégique], pas au Monopoly", raconte un cousin. Un ami de la période d'études, à Lyon, lorsque Tanguy Moulin-Fournier était à l'Ecole de management, se souvient d'un dévoreur de journaux, passionné d'actualité internationale. Tous deux ont monté une association et accompagné des convois humanitaires en Bosnie et au Kosovo. "Il était très volontaire, très investi. C'est lui qui avait la vision la plus géopolitiques des conflits", témoigne cet ingénieur.Doué pour le contact, un peu moins pour l'organisation, Tanguy devait trouver des subventions. Un été, les deux amis font le tour de la Syrie en voiture.

"CE SONT DES GENS TRÈS SOLIDES"

Dans la petite bande, il y a Albane, née Striffling, une fille de viticulteurs aisés de Régnié-Durette, dans le Beaujolais au nord de Lyon. Une famille catholique pratiquante là aussi. La jeune fille arrête ses études de biologieet va apprendre la dorure sur bois à Florence, en Italie, tandis qu'il choisit la Russie pour sa troisième année d'école et fait son premier stage en République tchèque. A chaque fois, il apprend la langue. Le jeune homme parle couramment l'italien, pour avoir fait ses études secondaires au Lycée français de Milan.

Ils se marieront en 2000, à Beaune (Côte-d'Or). Une belle cérémonie "très priante", comme dit un ami "mais pas trop coincée". La famille, au sens large, est très unie : 18 petits-enfants dans la génération de Tanguy, qui ont passé leurs vacances dans des maisons de famille, à Grenoble ou dans la Creuse. Le couple continue de sillonner la planèteavec un, deux, trois, puis quatre enfants, et habite pendant quelques années en Roumanie, avant que le pays n'entre dans l'Union européenne.

"Ce sont des gens très solides", témoigne Bernard Matyjasik le président du comité de soutien qui a fait leur connaissance par le biais de l'école maternelle d'Eloi, lorsqu'ils habitaient Paris. "Ils ont certainement su dédramatiser auprès des enfants", croit un membre de la famille. "Souvent, dit-il, pendant ces jours terribles, j'ai pensé au film de Roberto Begnini "La vie est belle" [1998]."

Béatrice Gurrey 

www.lemonde.fr 

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