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Au nom d'une certaine idée de la probité, le gouvernement s'est lancé dans une opération transparence sur le patrimoine de nos ministres. Cet épisode de notre vie politique risque de laisser derrière elle un goût amer. Certes, on a obtenu un inventaire de biens immobiliers, de placements, de fortunes, plus ou moins grandes, et un palmarès : ce ministre est plus riche que celui- là. Quoi de plus ? Une certitude : les riches sont riches et les pauvres, invités à la comparaison, préféreraient l'être moins. Pour le reste, c'est bien connu, ce que l'on montre détourne l'attention de ce qui ne doit pas être vu. On dévoile pour mieux cacher. Personne n'est dupe.

Mais attention, ceux qui se sont  prêtés en toute bonne foi à la publication de leur patrimoine ont-ils conscience de l'arrogance de ce qui apparaît finalement comme un étalage de richesses ? Une telle ostentation est pour le moins un affront pour les pauvres, une insulte à leur propre situation. Que veut dire avoir plusieurs maisons pour celui qui n'en a pas ? Des placements boursiers quand on requiert l'aide sociale pour payer ses factures d'électricité ?

La pauvreté des riches, se dévoile alors que se révèle la richesse des pauvres

Un accord de découvert bancaire de plusieurs milliers d'euros quand on est soi-même interdit de chéquier ? La transparence sur le patrimoine des élites jette une lumière crue sur la pauvreté des plus démunis. L'opération n'atteint pas son but d'estomper l'affaire Cahuzac. En revanche, elle suscite l'envie, l'incompréhension et même, on peut l'imaginer, un sentiment de révolte.

En pleine crise économique, après l'effet médiatique escompté, l'opération risque d'exacerber un peu plus les tensions sociales et de faire passer ses promoteurs pour hypocrites. Car l'essentiel n'est évidemment pas là. Au bilan, elle ne nous dit rien de plus de ces hommes et de ces femmes chargés d'administrer notre pays en pleine tourmente. Et pourtant, notre intérêt ne porte-t-il pas d'abord sur qui ils sont plutôt que de combien est doté leur portefeuille? Notre attention ne porte-t-elle pas plus sur l'être de l'homme ou de la femme politique plutôt que sur son avoir ? Au-delà de ton nom, de ton argent, de ta famille, de tes habitudes, qu'apportes-tu dans l'échange? Que mets-tu en jeu? Qu'acceptes-tu de montrer? Pourquoi t'es-tu engagé en politique? Oui, c'est de ce dévoilement que nous avons besoin pour avoir confiance et non pas de cette transparence de circonstance sous le feu des projecteurs. Mais cette opération vérité-là ne se fait pas sur commande à l'heure du « 20 heures ». Elle est d'abord un choix personnel : si je me présente au suffrage universel, que suis-je capable de montrer de moi-même ? Il ne s'agit pas bien sûr de patrimoine ou de compte en banque. Il s'agit de soi-même. Une des voies les plus sages pour aller vers cette vérité est la rencontre avec plus pauvre que soi. Elle invite à cette vraie transparence. Nos élus en sont capables et beaucoup peuvent en témoigner. Nombre d'entre eux font cette expérience. Lorsqu'ils vont sur le terrain, dans leur commune, dans leur département, dans leur circonscription, ils savent se laisser toucher par les situations vécues par les pauvres. Certains, en parallèle de leur mandat, s'engagent dans des actions de solidarité, dans des relais discrets pour soutenir les acteurs du terrain. Ils vont à la rencontre des pauvres et écoutent ce qu'ils ont à dire. Car la pauvreté, au contraire de la richesse, ne s'étale pas, elle se cache car elle fait honte. Pour la connaître, il faut la rencontrer. Cette démarche est celle vécue par des dizaines de milliers de bénévoles engagés sous de multiples formes auprès des pauvres. Confrontés dans leur propre vie à la pauvreté, ou ayant choisi d'aller vers les pauvres après une rencontre déterminante avec l'un d'eux, ils se trouvent invités, qu'ils le veuillent ou non, à une opération transparence. Riches de leur avoir, de leur savoir, de leur expérience professionnelle, de leur nom éventuellement, de leur patrimoine, ils se trouvent soudain touchés par le paradoxe de la rencontre avec les pauvres : la pauvreté des riches se dévoile alors que se révèle la richesse des pauvres. Dans ce dévoilement, qui ne se fait pas sur la place publique, les rôles s'inversent. « Les pauvres sont nos maîtres », disait Monsieur Vincent. La période que traverse notre pays invite nos hommes politiques à se mettre à leur école, qui concerne plus le cœur que le portefeuille. La transparence prendra vraiment son sens quand elle cherchera d'abord à mettre en lumière l'être plutôt que l'avoir, les convictions plutôt que les possessions. Ceci dans une démarche personnelle plutôt que dans une opération programmée. La politique y gagnera et les pauvres s'y retrouveront. 

BERTRAND OUSSET

Le Figaro, 3 mai 2013

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