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Pour la première fois, le pape s’est exprimé contre « le fétichisme de l’argent », source de la « négation du primat de l’homme ». Il a réfuté la conception de « l’être humain comme bien de consommation qu’on peut utiliser, puis jeter ».

Certains s’inquiétaient, ces derniers temps, de ne pas entendre le pape François aborder les « sujets qui fâchent », notamment en matière d’éthique, privée ou publique. C’est désormais chose faite. Dimanche 12 mars, il a d’abord rappelé l’attachement intangible de l’Église à la défense de la vie, de sa conception à sa fin naturelle. Et puis, ce jeudi 16 mai, recevant les lettres de créances de quatre nouveaux ambassadeurs près le Saint-Siège (Kirghizstan, Antigua et Barbuda, le Grand-duché de Luxembourg et le Botswana), il s’est exprimé pour la première fois, en termes très forts et très personnels, sur la crise économique, dénonçant « la négation du primat de l’homme », « le fétichisme de l’argent », « la dictature de l’économie sans visage, ni but vraiment humain ».

C’est à dessein, a expliqué le P. Federico Lombardi, directeur de la salle de presse du Saint-Siège, que le pape s’est livré à « cette première intervention, forte et explicite, en tant que pape » sur les questions économiques et sociales. Tout est résumé dans cette citation de saint Jean Chrysostome: « Ne pas faire participer les pauvres à ses propres biens, c’est les voler et leur enlever la vie. Ce ne sont pas nos biens que nous détenons, mais les leurs » (Homélie sur Lazare, 1,6: PG 48, 992D).

« L’être humain est considéré aujourd’hui comme étant lui-même un bien de consommation qu’on peut utiliser, puis jeter »

Explicitant les termes traditionnels de la doctrine sociale de l’Église, notamment la destination universelle des biens et l’attention aux pauvres, le pape François souligne d’abord les « pathologies » contemporaines: « précarité », « peur », « désespérance », « amenuisement de la joie de vivre », croissance « des violences et des indécences. » Et il situe la source de tout cela dans « l’acceptation de l’empire de l’argent sur nos êtres et sur nos sociétés »: « On s’est créé des idoles nouvelles! » s’est-il exclamé.

Plus profondément, le pape François estime que les « difformités » de l’économie mettent en lumière « la grave déficience de son orientation anthropologique qui réduit l’homme à une seule de ses nécessités: la consommation. »: « L’être humain est considéré aujourd’hui comme étant lui-même un bien de consommation qu’on peut utiliser, puis jeter. » Il s’offusque que « la solidarité soit considérée comme contre-productive », alors qu’elle est « le trésor du pauvre ». Il dénonce « l’accroissement exponentiel du revenu d’une minorité, tandis que celui de la majorité s’affaiblit », conséquences d’« une nouvelle tyrannie invisible, parfois virtuelle, qui impose unilatéralement et sans recours possible, ses lois et ses règles. » Sans oublier « une corruption tentaculaire et une évasion fiscale égoïste ».

« L’éthique conduit vers Dieu, qui, lui, se situe en dehors des catégories du marché »

Allant plus loin, ne se contentant pas de dénoncer, le pape estime qu’il faut mettre en cause « le refus de l’éthique, qui dérange! », parce que considéré, comme la solidarité, comme « contre-productive ». Or, à ses yeux, « l’éthique conduit vers Dieu, qui, lui, se situe en dehors des catégories du marché: « Dieu est considéré par ces financiers, économistes et politiques, comme étant incontrôlable, dangereux même puisqu’il appelle l’homme à sa réalisation plénière et à l’indépendance des esclavages de tout genre. ».

Dans cette perspective, il est urgent, dit le pape, de mettre en œuvre « une réforme financière qui soit éthique et qui entraînerait à son tour une réforme économique salutaire pour tous. » Et il lance un appel aux dirigeants politiques, qui « doivent courageusement changer d’attitude »: « L’argent doit servir et non pas gouverner! »

En même temps, pas question pour le pape de stigmatiser les riches: « Le pape aime tout le monde: les riches comme les pauvres. ». Mais il a « le devoir, au nom du Christ, de rappeler au riche qu’il doit aider le pauvre, le respecter, le promouvoir », d’appeler « à la solidarité désintéressée, et à un retour de l’éthique pour l’humain dans la réalité financière et économique. »

Une feuille de route qui guidera la réforme envisagée par le pape de la « banque du Vatican »

En conclusion, rappelant l’attitude traditionnelle de l’Église, pour laquelle « le bien commun ne devrait pas être un simple ajout, un simple schéma conceptuel de qualité inférieure inséré dans les programmes politiques », le pape lance un appel aux « dirigeants des entités financières à prendre en compte l’éthique et la solidarité. »: « Et pourquoi ne se tourneraient-ils pas vers Dieu pour s’inspirer de ses desseins? Il se créera alors une nouvelle mentalité politique et économique qui contribuera à transformer l’absolue dichotomie entre les sphères économique et sociale en une saine cohabitation. »

À n’en pas douter, cette feuille de route guidera la réforme envisagée par le pape de la « banque du Vatican », l’Institut pour les Œuvres de Religion (IOR), dont il a beaucoup été question ces derniers temps à Rome. De même, recevant, quelques instants avant les ambassadeurs, le comité exécutif de Caritas Internationalis avec son président, le cardinal hondurien Oscar Maradiaga, lui-même coordinateur du « groupe des huit cardinaux » chargés de conseiller le pape dans la réforme de la Curie, le pape a improvisé dans la même veine. Il s’agit donc bien d’une orientation précise donnée au pontificat.

FRÉDÉRIC MOUNIER, à Rome

 

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