26 - Père Matagrin

En ce 4 février 2013 voilà 35 ans jour pour jour que j’ai été ordonné prêtre à Grenoble, et ce redis ces mots que j’ai exprimés le 31 janvier 1998 pour la messe d’action de grâce » de mes vingt ans !

Le ministère de prêtre est pour moi une passion pour la Bonne Nouvelle de l’Evangile ; pour l’Evangile à hauteur d’homme comme on aime dire à la Mission de France et une passion pour l’Homme : Croire que nous sommes aimés et que c’est l’Amour qui nous fait vivre.

Prêtre n’est pas un métier, même si cela réclame des compétences multiples, dont nous découvrons qu’elles nous font souvent cruellement défaut. Prêtre c’est d’abord une passion. Une passion comme celle des artistes ou des chercheurs, des amoureux, des voyageurs ou des ermites : La passion de ce qui est neuf, de ce qui commence – Le prêtre n’est pas un croque-mort ou un fossoyeur ; pour moi le prêtre est un accoucheur, un passionné de la naissance. Mais pour voir la pointe du jour, il faut accepter de traverser la nuit . Pour voir percer la vie au printemps, il faut s'engager à passer l’hiver. Pour découvrir les premières traces d’humanité, il faut consentir à les chercher au milieu des galères (et de bien des douleurs d’enfantement) de notre monde !

Le prêtre est un accoucheur d’Eglise. Et la vocation de l’Eglise c’est d’être le printemps, le printemps de la Parole de Dieu ! Oui je crois que l’Eglise a pour mission d’enfanter la Parole de Dieu, Parole de vie. Et l’Evangile est une naissance, un commencement. Ce n’est pas par hasard que les deux premiers mots de l’Evangile de Jean sont «au commencement » ! Mais attention, à tout instant tout peut basculer : l’Eglise peut devenir une mère acariâtre, possessive, jalouse : C’est alors que la parole de vie devient lettre morte quand nous l’enfermons, comme les pharisiens, dans un code, des interdits ou des faux-semblants. Au contraire l’Eglise peut donner la vie, ouvrir une route à l’Esprit : l’Esprit qui fait de nous des hommes libres, affranchis de l’esclavage des idoles, du vertige du néant ou de la peur de vivre !

Pour ne pas être lettre morte dans nos livres de messe, dans nos célébrations, ou même dans nos maisons, l’Evangile doit à chaque instant prendre sève, comme une branche greffée, à notre propre vie. Nous devons en permanence le découvrir comme une nouveauté, une naissance, un commencement. L’homélie, si ce mot pouvait trouver un sens, ne devrait jamais nous endormir, mais toujours nous éveiller.

En ce jour de mes 20 ans, mes 20 ans d’ordination de prêtre, j’ai envie de vous faire partager ma prière pour l’Eglise :

Pardon Seigneur pour tant de célébrations tristes, ennuyeuses, pour tant d’attitudes arrogantes et suffisantes de tes pasteurs, alors que les premiers gestes que tu nous apprends sont accueil, miséricorde, tendresse, humilité et service.

Merci Seigneur pour tous ceux qui m’ont éveillé à cette liberté et à ce service de l’Evangile et de mes frères, et parmi eux : mes parents, Jo Laurent prêtre en Ardèche, l’Abbé Pierre à Esteville, Jacques Sommet et Marie-Dominique Chenu à Paris, Marcel Légaut aux granges de Lesches en Diois, Dom Helder Camara à Recife au Brésil, Michel Quoist au Havre, Jean Marais à Evreux, Pierre Nicolas en cette église de Vernonnet, Geneviève au monastère de Chalais, sur les contreforts de la Chartreuse, Marie-Thérèse au Carmel de Mazille.

Pardon Seigneur pour cette langue de bois de trop de discours ecclésiastiques, et pour ces morales éteignoirs, rétrogrades où l’on juge avant d’accueillir et où l’on condamne avant d’écouter. C’est ainsi que l’on fait fuir de l’Eglise tant d’hommes et de femmes et tant de jeunes de bonne volonté.

Merci Seigneur pour le courage et la lucidité d’un certain nombre d’évêques français : je pense aux prises de position sur le chômage et sur « l’écart social », sur le SIDA, sur les soins palliatifs, sur l’accueil et le dialogue avec les étrangers. Je pense également à la lettre aux catholiques de France de Lourdes 1996.

Pardon Seigneur lorsque Rome condamne, exclue, par peur du risque et de la « nouveauté » ! Je pense bien sûr à cette grave blessure qu’est pour bon nombre d’entre nous la révocation de Jacques Gaillot, apôtre des pauvres et des exclus, homme de l’Evangile et de la prière. Je pense aussi à ces blocages autour des questions de discipline : du célibat, de l’appel des femmes aux ministères ordonnés, et de la responsabilité de tous les baptisés dans l’Eglise.

Merci Seigneur, lorsque, après le départ de Jacques Gaillot, Rome nous envoie Jacques David, homme de foi, plein d’humour et de simplicité, qui vient nous accompagner et nous encourager à poursuivre la tâche engagée.

Merci Seigneur pour cette belle parole de Jean-Paul II au début de son ministère : « n’ayez pas peur » ! Parole de confiance et de liberté !

Merci Seigneur lorsque Jean-Paul II va prier pour la paix à Assise, un parmi les représentants de toutes les religions de la planète.

Pardon Seigneur lorsque les chrétiens sont si timorés face aux scandales de l’argent et aux lois aveugles du profit. Nous dénonçons si peu la nocivité et la gangrène qui atteint tous les milieux et qui fait que les pauvres sont toujours plus pauvres et les riches toujours plus riches.

Pardon Seigneur quand les chrétiens oublient que la sexualité et l’Amour sont d’abord les signes de la création, le lieu où l’homme peut se dépasser, se donner et donner la vie.

Pardon Seigneur pour nous les pasteurs lorsque nous agissons comme des « propriétaires » dans l’Eglise : avec « nos » jeunes, « nos œuvres », « nos » laïcs, « nos » communautés et « nos » paroisses. Pardon de faire de notre ministère un pouvoir, un privilège ou bien une chasse gardée !

Merci Seigneur pour les prêtres qui accueillent et partagent la vie des gens : au travail, dans les associations ou la vie de quartier.

Merci Seigneur pour nos frères qui sont diacres. Par leur vie de famille et leurs engagements, ils renouvellent dans notre diocèse le visage du ministère et ils remettent à l’honneur cette mission du service qui est la base de toute responsabilité dans l’Eglise.

Je te rends grâce Seigneur pour l’Eglise : tous ceux qui font grandir en eux et dans tous ces actes d’amour et de fraternité, la foi de l’Eglise. C’est auprès d’eux que je puise chaque jour dans ma vie, dans ma foi et dans mon ministère, la nourriture pour la route.

Je te rends grâce Seigneur pour tant de bienfaits. Garde mon âme dans la paix.

 

Denis Chautard, Vernonnet le 31 Janvier 1998

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