Les islamologues catholiques veulent conjurer la montée des « peurs »
18 janv. 2013
Les enseignants en islamologie des instituts catholiques constatent une progression simultanée de l’intérêt pour l’islam et de l’inquiétude que cette religion suscite.
Qu’ils enseignent à l’université catholique ou répondent à l’invitation d’une paroisse, d’un séminaire ou d’un centre de formation, tous font le même constat : l’islam « fait peur ». En témoignent ce prêtre de paroisse en colère après la conversion à l’islam de plusieurs de « ses » jeunes, ou cet étudiant assurant au milieu d’un cours que « si l’islam est aussi efficace, c’est parce qu’il utilise le glaive » et sous-entendant que le catholicisme ferait bien de l’imiter… En témoignent aussi ces conférences données dans des paroisses par des chrétiens d’Orient venus exposer la situation de leurs pays, et dont les fidèles français sortent convaincus que « ce n’est pas la peine d’aller parler à leur voisin musulman, parce que de toute façon ils vont se faire avoir ».
« Répondre aux chrétiens qui contestent la démarche de dialogue ».
Rassemblés vendredi 11 janvier à l’Université catholique de Lyon pour leur réunion annuelle, les spécialistes de l’islam et du dialogue interreligieux des cinq instituts catholiques – Paris, Lyon, Toulouse, Angers et Lille –, de l’Institut catholique de la Méditerranée à Marseille et du Centre théologique de Meylan (Isère), ont choisi d’aborder le sujet de front. Ils ont réfléchi au moyen de « répondre aux chrétiens qui contestent la démarche de dialogue ».
Plusieurs intervenants ont souligné la nécessité d’abord de « reconnaître les peurs », d’autant que certaines « sont fondées ». Sœur Colette Hamza, de l’Institut de sciences et de théologie des religions (ISTR) de Marseille, démarre ainsi chacune des sessions qu’elle anime en questionnant les participants sur les idées ou notions auxquelles ils associent l’islam. « Parfois, ce n’est pas triste, mais au moins, ils se sentent écoutés », précise-t-elle.
Jean-Jacques Rouchi, son collègue de la faculté de théologie et de l’ISTR de Toulouse, juge tout aussi utile de « dégonfler quelques baudruches », sur « la bonne santé de l’islam » notamment. « Son durcissement, la réduction de ses sources comme ses dérives terroristes sont des preuves qu’il va très mal au contraire », juge-t-il.
Ne pas laisser la discussion dériver sur l’islam lui-même
Plusieurs écueils ont été identifiés. « Ne pas laisser la discussion dériver sur l’islam lui-même, mais plutôt rappeler pourquoi l’exigence du dialogue est inconditionnelle, en renvoyant à la figure du Christ pour répondre à l’accusation de naïveté », affirme Anne-Sophie Vivier-Muresan, directrice adjointe de l’ISTR de Paris. Elle rappelle que « la peur n’est pas un sentiment chrétien ».
Il faut contextualiser les faits, ajoute le P. Marc Botzung, spiritain et lui aussi enseignant à l’Institut catholique de Paris. « La désaffection à l’égard de la foi catholique en France, les changements intervenus à l’intérieur de l’islam depuis la révolution iranienne de 1979, l’immigration… ce qui nous arrive aujourd’hui est lié aussi à des phénomènes historiques », a-t-il souligné.
Victime collatérale de cette inquiétude croissante, le dialogue interreligieux lui-même est contesté, au nom de « l’absence de résultats malgré cinquante ans d’efforts » ou de la supposée « naïveté » de ceux qui le pratiquent. « Il apparaît comme une position de faiblesse, le refus d’affirmer la foi chrétienne, le renoncement à l’évangélisation des musulmans », résume le P. Christophe Roucou, directeur du service des relations avec l’islam de la Conférence des évêques et enseignant à l’Institut catholique de Paris. D’où la nécessité pour ses spécialistes de rappeler sans relâche en quoi il consiste… et en quoi il ne consiste pas.
« L’objectif n’est pas de se mettre d’accord sur un minimum », a insisté Michel Younès, directeur du Centre d’études des cultures et des religions, à l’université catholique de Lyon. La discussion laisse parfois place au débat. Si pour le P. Roucou, citant Vatican II et le pape Paul VI, « le dialogue est, pour le christianisme, un lieu de la révélation de Dieu », pour Samir Arbache, son collègue à Lille, il est une « attitude encore neuve dans l’Église, à laquelle on peut adhérer ou pas ». Dans ses cours, ce Syrien d’origine développe d’ailleurs « les arguments pour et contre ».
Plus que tout, c’est l’ampleur du travail théologique encore nécessaire qui se révèle en filigrane. Car « après le temps de l’apprivoisement, durant lequel il ne fallait pas parler de ce qui fâche », tous sont désormais confrontés « au retour des questions dogmatiques : ‘‘avons-nous le même Dieu ?’’ ‘‘Avons-nous le même Abraham’’ ? etc. », égrène Jean-Jacques Rouchi. « La réponse est à la fois oui et non, et il nous faut dire en quoi c’est oui et non. La bonne façon de les traiter, c’est de présenter les choses en tension. »
Le P. François Jourdan, qui vient d’arriver à la tête de l’ISTR de Toulouse, ne cache pas son regret que, « par affectivisme, on se contente parfois de dire ce qui nous rapproche ». « Mais il y a des questions taboues, sur lesquelles nous ne sommes pas d’accord : un chrétien peut-il ou doit-il reconnaître Mohammed comme prophète, le Coran comme parole de Dieu et l’islam comme religion révélée ? Ce travail de clarification est nécessaire sous peine d’entretenir les peurs », affirme-t-il.
Ces interrogations rejoignent celle ressortie de tous les ateliers d’évêques organisés en novembre à Lourdes, alors qu’ils avaient choisi de placer à nouveau l’islam à l’ordre du jour de leur Assemblée plénière. « ‘‘Dites-nous quelque chose de l’islam dans le dessein de Dieu’’, voici ce qu’ils nous ont demandé », a rappelé le P. Henri de la Hougue, directeur de l’ISTR de Paris.
ANNE-BENEDICTE HOFFNER, La Croix, 17/0/2013