Lettre de Taizé 2012
02 janv. 2012
Voici la lettre de la communauté de Taizé qui a été remise aux 30.000 jeunes participants à la rencontre Européenne de Berlin du 28 décembre au 1er janvier derniers :
Vers une nouvelle solidarité
Pour qu'une nouvelle solidarité entre les humains s'épanouisse à tous les niveaux, dans les familles, les communautés, les villes et les villages, entre les pays et les continents, des décisions courageuses sont nécessaires.
Conscients des périls et des souffrances qui pèsent sur l'humanité et sur la planète, nous ne voudrions pas nous laisser aller à la peur et à la résignation.
Pourtant le bel espoir humain est sans cesse menacé par le désenchantement. Les difficultés économiques de plus en plus lourdes, la complexité parfois écrasante des sociétés, l'impuissance face aux catastrophes naturelles, tendent à étouffer les pousses d'espérance.
Pour créer de nouvelles solidarités, le temps n'est-il pas venu de dégager davantage les sources de la confiance ?
Aucun être humain, aucune société ne peut vivre sans confiance.
Les blessures d'une confiance trahie laissent des traces profondes.
La confiance n'est pas une naïveté aveugle, elle n'est pas un mot facile, elle provient d'un choix, elle est le fruit d'un combat intérieur. Chaque jour nous sommes appelés à refaire le chemin de l'inquiétude vers la confiance.
CONFIANCE ENTRE LES HUMAINS
Ouvrir des chemins de confiance répond à une urgence : malgré les communications de plus en plus faciles, nos sociétés humaines restent cloisonnées et morcelées.
Des murs existent non seulement entre peuples et continents, mais aussi tout près de nous, et jusque dans le cœur humain. Pensons aux préjugés entre peuples différents. Pensons aux immigrés si proches et pourtant souvent si loin. Entre religions demeure une ignorance réciproque, et les chrétiens eux-mêmes sont séparés en de multiples confessions.
La paix mondiale commence dans les cœurs.
Pour amorcer une solidarité, allons vers l'autre, parfois les mains vides, écoutons, essayons de comprendre celui ou celle qui ne pense pas comme nous... et déjà une situation bloquée peut se transformer.
Cherchons à être attentifs aux plus faibles, à ceux qui ne trouvent pas de travail... Notre attention aux plus pauvres peut s'exprimer dans un engagement social. Elle est, plus profondément, une attitude d'ouverture envers tous : nos proches sont aussi, en un certain sens, des pauvres qui ont besoin de nous.
Face à la pauvreté et aux injustices, certains sont gagnés par la révolte, ou même tentés par la violence aveugle. La violence ne peut pas être un moyen de changer les sociétés. Mais soyons à l'écoute des jeunes qui expriment leur indignation, pour en comprendre les raisons essentielles.
L'élan vers une nouvelle solidarité se nourrit de convictions enracinées : la nécessité du partage en est une. C'est un impératif qui peut unir les croyants des différentes religions, et aussi les croyants et les non croyants.
CON FIANCE EN DIEU
La solidarité entre humains pourrait trouver dans une référence à Dieu un solide fondement, mais voici que la confiance en Dieu est souvent mise en question. Beaucoup de croyants en font l'expérience difficile dans leurs lieux de travail ou d'étude, parfois dans leur famille.
Nombreux sont ceux qui ne peuvent pas croire en un Dieu qui les aime personnellement. Nombreux aussi ceux qui, avec grande honnêteté, se posent cette question : comment savoir si j'ai la foi ?
La foi se présente aujourd'hui comme un risque, le risque de la confiance.
Elle n'est pas en premier lieu l'adhésion à des vérités, mais une relation avec Dieu. Elle nous appelle à nous tourner vers la lumière de Dieu.
Loin de rendre servile ou d'étouffer l'épanouissement personnel, la foi en Dieu rend libre : libre de la crainte, libre pour une vie au service de ceux que Dieu nous confie.
Plus grandit la confiance en Dieu, plus le cœur s'élargit à tout ce qui est humain, partout dans le monde, dans toutes les cultures. Il devient accueillant aussi envers les sciences et les techniques qui permettent d'alléger les souffrances et de développer les sociétés.
Dieu, comme le soleil, est trop éblouissant pour que nous puissions le regarder. Mais Jésus laisse transparaître la lumière de Dieu. Toute la Bible nous entraîne vers cette confiance : le Dieu absolument transcendant entre dans notre réalité humaine et vient nous parler en un langage accessible.
Quelle est la spécificité de la foi chrétienne ? La personne de Jésus, et une relation vivante avec lui. Nous n'aurons jamais fini de le comprendre.
LE CH RIST DE COMMUNION
Tous nous sommes des pèlerins, chercheurs de la vérité. Croire au Christ ne signifie pas posséder la vérité, mais se laisser saisir par lui, qui est la vérité, et cheminer vers sa pleine révélation.
Ce qui est et restera la grande nouveauté, surprenante, c'est que Jésus a communiqué la lumière de Dieu à travers une vie toute simple. La vie divine le rendait encore plus humain. En s'exprimant pleinement dans la simplicité d'une vie humaine, Dieu renouvelle sa confiance en l'humanité, il nous donne de croire en l'homme. Depuis lors, nous ne pouvons plus désespérer ni du monde ni de nous-mêmes.
En acceptant la mort violente sans répondre par la violence, Jésus a porté l'amour de Dieu là où il n'y avait que la haine. Sur la croix, il a refusé le fatalisme et la passivité. Jusqu'au bout il a aimé et, malgré le caractère absurde et incompréhensible de la souffrance, il a gardé confiance que Dieu est plus grand que le mal et que la mort n'aura pas le dernier mot. Paradoxalement sa souffrance sur la croix est devenue le signe de son amour infini.
Et Dieu l'a ressuscité. Le Christ n'appartient pas seulement au passé, il est là pour nous dans chaque aujourd'hui. Il nous communique l'Esprit Saint qui nous fait vivre de la vie de Dieu.
Le centre de notre foi, c'est le Ressuscité, présent au milieu de nous, qui a un lien personnel d'amour avec chacun. Regarder vers lui éveille un émerveillement et une compréhension plus profonde de notre existence.
Quand, dans la prière, nous regardons vers sa lumière, elle nous devient peu à peu intérieure. Le mystère du Christ devient le mystère de notre vie. Nos contradictions intérieures, nos peurs, ne se dissolvent peut-être pas. Mais, par l'Esprit Saint, le Christ pénètre ce qui nous inquiète de nous-mêmes, au point que les obscurités sont illuminées.
La prière nous conduit vers Dieu et vers le monde en même temps.
Comme Marie-Madeleine qui, au matin de Pâques, voit le Christ vivant, nous sommes appelés à partager cette bonne nouvelle avec d'autres.
La vocation de l'Église, c'est de rassembler dans la paix du Christ des femmes et des hommes et des enfants de toutes langues, de tous peuples, à travers le monde. Elle est le signe que l'Évangile dit vrai, elle est le Corps du Christ, tout animé par l'Esprit Saint. Elle rend présent le « Christ de communion ».
« Quand inlassablement l'Église écoute, guérit, réconcilie, elle devient ce qu'elle est au plus lumineux d'elle-même, une communion d'amour, de compassion, de consolation, limpide reflet du Christ ressuscité. Jamais distante, jamais sur la défensive, libérée des sévérités, elle peut rayonner l'humble confiance de la foi jusque dans nos cœurs humains. »
CHERCHER À ÊTRE « SEL DE LA TERRE »
Le Christ de communion n'est pas venu pour constituer les chrétiens en une société isolée et mise à part, il les envoie servir l'humanité comme ferment de confiance et de paix. Une communion visible entre chrétiens n'est pas un but en soi mais un signe dans l'humanité : « Vous êtes le sel de la terre. »
Par sa croix et sa résurrection le Christ a instauré une nouvelle solidarité entre tous les humains. En lui la fragmentation de l'humanité en groupes opposés est déjà dépassée, en lui tous constituent une seule famille. La réconciliation avec Dieu implique la réconciliation entre les hommes.
Mais si le sel perdait sa saveur. Nous devons reconnaître que nous les chrétiens, nous obscurcissons souvent ce message du Christ. En particulier, comment pouvons-nous rayonner la paix en restant divisés entre nous ?
Nous sommes à un moment de l'histoire où il s'agit de revivifier ce message d'amour et de paix. Ferons-nous tout pour qu'il soit libéré des malentendus et resplendisse dans sa simplicité première ?
Pourrons-nous, sans imposer quoi que ce soit, cheminer avec ceux qui ne partagent pas notre foi mais qui cherchent de tout leur cœur la vérité ?
Frère Aloïs