Pardonner, "l'Acte" par excellence du Chrétien
15 juin 2010
Le pardon devrait être l'acte par
excellence du chrétien, à cause de
l'insistance avec laquelle le Christ en a parlé.
Dans d'autres religions, on va parler de pardon, mais jamais avec un tel
radicalisme. Lorsque Pierre a demandé à Jésus : "Est-ce qu'on doit pardonner jusqu'à sept fois ?", Jésus ne dit pas sept fois mais soixante-dix fois sept fois (Evangile de Matthieu ch.
18 v. 21-22). La tâche est à priori difficile !
Qui n’a pas bataillé ardemment pour lutter contre la haine, la rancune ? La vengeance n’est-elle pas suave après avoir été humilié ou
trompé ? Et pourtant combien de fois récitons-nous (machinalement ?) « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous offensés ». Qui est capable de
pardonner à ses bourreaux, comme le Christ sur la croix ?
Pourquoi pardonner ? Littéralement, le pardon est un don parfait. Le pardon, c’est l’attitude de celui qui, ayant été offensé, prend l’initiative d’annuler la date morale contractée par
celui qui l’a offensé. C’est bien un don parfait car sur un plan juridique et humain, le pardon ne se justifie pas. L’équité impose plutôt d’exiger le règlement des dettes morales pour faire
respecter et soutenir un ordre de droit et de justice. Tu m'as fait mal ; je vais te faire mal de la même façon. Les Juifs ont voulu qu'il y ait une sorte de modération dans la vengeance et ils ont créé la loi du talion : œil pour œil, dent pour dent. Si tu me crèves
un œil, je vais devoir te crever un œil, mais je n'irai pas plus loin. C'est la loi des équivalences pour ne pas aller dans l'exagération de la vengeance.
Mais alors, au nom de quoi pardonner ? Jusqu’où pardonner ? Quand est-on sûr d’avoir pardonné ? Le chrétien peut-il, doit-il, tout
pardonner ?
Le danger de la vengeance, c'est la spirale de violence qu'elle engendre. On se demande pourquoi certains peuples se battent depuis
parfois des siècles. La réalité c'est qu'un peuple a attaqué un autre et l'a humilié. Il existe alors ce qu'on appelle une mémoire collective. On se raconte de génération en génération les
outrages faits par les "ennemis" et l'on entretient la haine. Parfois même l'identité nationale est basée sur les tortures, les humiliations, les
guerres qui ont été faites.
Jean Paul II enseignait à l’occasion de la journée de la paix en 2001 : « Parce que la justice humaine est toujours fragile et imparfaite, exposée qu’elle est aux limites et
aux égoïsmes des personnes et des groupes, elle doit s’exercer et, en un sens, être complétée par le pardon qui guérit les blessures et qui rétablit en profondeur les rapports humains perturbés.
Le pardon ne s’oppose d’aucune manière à la justice car il ne consiste pas à sursoir aux exigences légitimes de réparation de l’ordre lésé. Le pardon vise plutôt cette plénitude de justice qui
mène à la tranquillité de l’ordre, celle-ci étant bien plus qu’une cessation fragile et temporaire des hostilités : c’est la guérison en profondeur des blessures qui ensanglantent les
esprits. Pour cette guérison, la justice et le pardon sont tous les 2 essentiels. » Mais alors, est-il nécessaire qu’il y ait justice pour pardonner (ce qui n’est souvent pas le cas
?).
En Afrique du Sud, il y a eu une commission "Vérité et Réconciliation" devant laquelle environ
15.000 victimes se sont présentées devant leurs bourreaux pour parler des injustices et des tortures qu'elles avaient subies. Plus de 5.000 tortionnaires étaient présents. Ils ont admis leurs
crimes et ont été amnistiés. C'est la première fois dans l'Histoire que le pardon a été établi à un niveau national. Il y a là quelque chose d'extraordinaire. C'était l'évêque Desmond Tutu qui
était derrière cette initiative. Il est convaincu que si on ne se pardonne pas, on va se détruire mutuellement et c'en sera la fin de l'existence
humaine.
Mais par ailleurs, ne peut-on pas voir simplement dans le pardon une saine pratique humaine (et non exclusivement spirituelle), favorisant une meilleure socialisation de la vie ? Selon
certains psychologues, il y aurait 2 fois moins de monde en hôpital psychiatrique si les gens se savaient pardonnés. Le pardon, celui qu'on donne et
celui qu'on reçoit, est au cœur de la santé mentale de l'homme. Tu ressens une colère dont tu ne peux pas te débarrasser, tu es stressé, énervé ? Est-ce que tu t'es déjà demandé si tu avais à pardonner quelqu'un ? Ou même à te faire pardonner ? C'est la réponse qu'avancent de nombreux sociologues et
psychologues contemporains à nombre de nos maux.
Quelles sont nos options si nous ne pardonnons pas ? Si l'on ne pardonne pas et si l'on maintient en soi un ressentiment, on vit un stress
continuel. Le ressentiment, c'est le pire sentiment que vous pouvez vivre. Il peut être à l'origine de l'hypertension, de l'arthrite et même de certains cancers. C'est tellement vrai qu'il
y a une clinique de cancérologie aux Etats-Unis où les médecins se sont aperçus que les traitements de chimiothérapie ne marchaient pas, parce que les malades concernés avaient de la rancœur.
Donc, avant de faire la chimiothérapie, ils demandèrent aux malades de pardonner. Et ça marchait mieux, pour ceux qui acceptaient ! Beaucoup de
dépressions viennent aussi de l'amertume. La blessure a été enfouie ; on croit être passé par dessus. Mais on a un mal de vivre dont on ne connaît
pas la cause. On ne sait plus vivre le présent et l'on n'a plus de projets d'avenir. En réalité, ce qui ne va pas, c'est notre blessure non guérie : inconsciemment, notre perception du monde
passe toujours par cette blessure.
Mais alors, le pardon n'est-il pas l'oubli ? Souvent les gens disent : "Allez, trace un trait, tourne la page, dans peu de temps tu ne t'en
souviendras plus. Ce n'est pas si important. Laisse tomber.". Les professionnels de la psychothérapie savent combien on n'oublie jamais. Les
blessures dites "oubliées" ont été enfouies dans l'inconscient et elles continuent de travailler les personnes. On est obligé de les faire émerger
à nouveau pour être capable de les traiter. Le pardon ne veut pas dire oublier, mais notre mémoire émotionnelle va se cicatriser. On va se
souvenir de l'événement et l'on n'aura plus de ressentiment intérieur. C'est un peu comme une cicatrice dans la chair. Quand on touche une cicatrice, elle ne fait plus mal. C'est ce qui arrive
lorsqu'on pardonne : on ne souffre plus. Le Christ est ressuscité avec la marque des clous dans ses mains. Il ne souffre plus, mais son corps a été marqué à jamais.
Le pardon n’est-il pas un acte de la volonté ? On entend aussi souvent dire : "Si tu n'es pas rancunier, tu lui pardonneras tout de suite".
Les chrétiens, qui veulent bien faire, croient souvent que cela doit se passer ainsi. Ils culpabilisent quand ils ressentent encore de la colère ou
culpabilisent les autres qui ne pardonnent pas instantanément. Mais le pardon n'est pas un acte héroïque de la volonté dans lequel on bride ses
émotions.
Il engage tout notre être, demande toutes nos facultés : cœur, intelligence, et même notre physiologie. Vouloir
brûler les étapes de la gestion des émotions et de la guérison, c'est recoudre une plaie infectée.
(....)
" Si Dieu cessait de pardonner une seconde, notre terre volerait en éclats" Julien Green
" Celui à qui on pardonne peu aime peu" Saint Luc
Jean-Renaud d'Elissagaray