Premier Octobre, Fête de Sainte Thérèse de Lisieux
30 sept. 2013Je vous propose l’une des onze lettres que Thérèse a écrite depuis le Carmel de Lisieux à l'abbé Maurice Bellière le 21 juin 1897 (trois mois et demi avant sa mort, le 30 septembre 1897). Cette lettre exprime le témoignage de l’Amour et de la Miséricorde du Père céleste qu’elle reçoit dans sa foi !
Né à Caen en 1874, Maurice Bellière perd très tôt sa mère et semble abandonné par son père. Il restera marqué par ce drame, même s'il est élevé avec affection par une tante. Séminariste de vingt et un ans, il demanda l’aide d’une carmélite pour favoriser sa vocation. Il sera Père Blanc et partira au Nyassaland (aujourd’hui Malawi). Il reviendra en France et mourra, hospitalisé, au Bon Sauveur de Caen en 1907 à trente trois ans. Thérèse l’aidera beaucoup par sa correspondance.
« Mon cher petit Frère,
Avec vous j'ai remercié Notre Seigneur de la grande grâce qu'Il a daigné vous accorder le jour de la Pentecôte, c'est aussi le jour de cette belle fête (il y a 10 ans) que j'ai obtenu, non de mon directeur, mais de mon père la permission de me faire apôtre au Carmel. C'est encore un rapprochement de plus entre nos âmes.
O mon cher petit frère, je vous en prie ne croyez jamais «m'ennuyer, ni me distraire» en me parlant beaucoup de vous. Serait-il possible qu'une soeur ne prît pas d'intérêt à tout ce qui touche son frère ? Pour ce qui est de me distraire, vous n'avez rien à craindre, vos lettres au contraire m'unissent davantage au bon Dieu, en me faisant contempler de près les merveilles de sa miséricorde et de son amour.
Quelquefois Jésus se plaît «à révéler ses secrets aux plus petits», la preuve, c'est qu'après avoir lu votre première lettre du 15 oct. 95, j'ai pensé la même chose que votre Directeur : Vous ne pourrez être un saint à demi, il vous faudra l'être tout à fait ou pas du tout. J'ai senti que vous deviez avoir une âme énergique et c'est pour cela que je fus heureuse de devenir votre soeur.
Ne croyez pas m'effrayer en me parlant «de vos belles années gaspillées». Moi je remercie Jésus qui vous a regardé d'un regard d'amour comme autrefois le jeune homme de l'Evangile. Plus heureux que lui vous avez répondu fidèlement à l'appel du Maître, vous avez tout quitté pour Le suivre, et cela au plus bel âge de la vie, à 18 ans. Ah ! mon frère, comme moi vous pouvez chanter les miséricordes du Seigneur, elles brillent en vous dans toute leur splendeur... Vous aimez St Augustin, Ste Madeleine, ces âmes auxquelles «Beaucoup de péchés ont été remis parce qu'elles ont beaucoup aimé». Moi aussi je les aime, j'aime leur repentir, et surtout... leur amoureuse audace ! Lorsque je vois Madeleine s'avancer devant les nombreux convives, arroser de ses larmes les pieds de son Maître adoré, qu'elle touche pour la première fois ; je sens que son coeur a compris les abîmes d'amour et de miséricorde du Coeur de Jésus, et que toute pécheresse qu'elle est ce Coeur d'amour est non seulement disposé à lui pardonner, mais encore à lui prodiguer les bienfaits de son intimité divine, à l'élever jusqu'aux plus hauts sommets de la contemplation.
Ah ! mon cher petit Frère, depuis qu'il m'a été donné de comprendre aussi l'amour du Coeur de Jésus, je vous avoue qu'il a chassé de mon coeur toute crainte. Le souvenir de mes fautes m'humilie, me porte à ne jamais m'appuyer sur ma force qui n'est que faiblesse, mais plus encore ce souvenir me parle de miséricorde et d'amour.
Comment lorsqu'on jette ses fautes avec une confiance toute filiale dans le brasier dévorant de l'Amour, comment ne seraient-elles pas consumées sans retour ?
Je sais qu'il y a des saints qui passèrent leur vie à pratiquer d'étonnantes mortifications pour expier leurs péchés ; mais que voulez-vous, «Il y plusieurs demeures dans la maison du Père Céleste», Jésus l'a dit et c'est pour cela que je suis la voie qu'Il me trace. Je tâche de ne plus m'occuper de moi-même en rien, et ce que Jésus daigne opérer en mon âme je le lui abandonne, car je n'ai pas choisi une vie austère pour expier mes fautes, mais celles des autres.
Je viens de relire mon petit mot et je me demande si vous allez me comprendre, car je me suis très mal expliquée. Ne croyez pas que je blâme le repentir que vous avez de vos fautes et votre désir de les expier. Oh non ! j'en suis bien loin, mais vous savez : maintenant nous sommes deux, l'ouvrage se fera plus vite (et moi avec ma manière je ferai plus de besogne que vous), aussi j'espère qu'un jour Jésus vous fera marcher par la même voie que moi.
Pardon, cher petit frère, je ne sais pas ce que j'ai aujourd'hui, car je dis vraiment ce que je ne voudrais pas dire. Je n'ai plus de place pour répondre à votre lettre, je le ferai une autre fois. Merci pour vos dates, j'ai déjà fêté vos 23 ans. Je prie pour vos chers parents que Dieu a retirés de ce monde et je n'oublie pas la mère que vous aimez.
Votre indigne petite Sœur
Thérèse de l'Enfant Jésus de la Sainte Face
Religieuse Carmélite »