peer-gynt-photo-adeline-dhermy-e1337300445252

 

Trois pièces, trois regards sur l'amour : loin des contes de fée, la complexité de ce sentiment prend toute son ampleur.

Trois pièces radicalement différentes, et un même cri, celui qui jaillit des lèvres de Juliette Binoche dans la pièce de Strindberg : « Dis-moi que tu m’aimes, sinon qu’est-ce que je suis ? » Sans l’amour de l’autre, sans son regard aimant, nous ne sommes rien. Dans Mademoiselle Julie, c’est une quête désespérée qui croise la détresse de Job.

La pièce de Strindberg peut se lire comme le récit de l’impossibilité de sortir de sa condition sociale, mais la mise en scène glaciale de Frédéric Fisbach ne trouve malheureusement pas le ton juste pour faire raisonner ce texte profond.

La même question traverse l’étonnante Voix humaine, de Jean Cocteau. Une fem­me, au téléphone, chez elle, avec l’homme qui l’a quittée. De ce dialogue, nous n’avons que sa voix. Admirablement interprétée par Martine Chevallier, cette femme n’est retenue à la vie que par le fil de cette conversation qu’elle cherche désespérément à prolonger. Il est parti, il s’en va, elle ne veut pas le perdre, sa tentative de le retenir, de le rattraper, est une agonie…le mensonge et la fantaisie L’amour ne serait-il qu’une tragédie, qu’un échec ? Plutôt une assomption, semble répondre Ibsen. Peer Gynt est un chef-d’œuvre qu’il ne faut pas manquer dans la truculente mise en scène qu’en donne Éric Ruf avec la Comédie Française.

Gynt, le héros, fabuleusement porté par Hervé Pierre, est un homme qui va passer sa vie à se chercher. Il s’invente des histoires, se joue la comédie et la sert aux autres, vit dans le mensonge et la fantaisie. Paysan, homme d’affaires, prophète, époux de la fille du roi des Trolls : il ne sait pas, ou feint de ne pas savoir qu’il est aimé, qu’il est attendu… par sa mère d’abord (merveilleuse Catherine Samie), par la douce et pure Solvejg (parfaite Suliane Brahim), ensuite.

Gynt nous emporte dans sa course folle à la re­cherche de lui-mê­me, ne cessant d’emprun­ter des fausses pis­tes, de se bercer de toutes les illusions de ce monde. Retrouvant Solvejg au terme de sa cavalcade, notre héros la supplie : « Peux-tu me dire qui était Peer Gynt, où était Peer Gynt, depuis qu’il est parti ? […] Oui Peer Gynt lui-même, tel que Dieu l’a mis au monde, en tant que vérité. Dis le moi, sinon je vais me diluer dans d’éternelles brumes. » Éblouissante réponse : « Tu étais dans ma foi, dans mon espoir, mon amour… »

Dès lors, la mort absurde est désarmée, la vie est rédimée… Puisque Gynt est aimé, il existe enfin et va pouvoir s’endormir dans les bras de l’aimante. Sa vie, si folle, valait d’être vécue, puisqu’il était aimé.

Peer Gynt, de Henrik Ibsen, mise en scène d’Éric Ruf au Salon d’honneur du Grand Palais (Paris) jusqu’au 14 juin.La Voix humaine, de Jean Cocteau, mise en scène de Marc Paquien au Studio Théâtre (Paris) jusqu’au 3 juin.Mademoiselle Julie, d’Auguste Strindberg, mise en scène de Frédéric Fisbach au Théâtre de l’Odéon (Paris) jusqu’au 24 juin.

 

Jean-François Bouthors

 

Lien à la Source

Retour à l'accueil