"Il faut à la fois témoigner notre solidarité aux chrétiens d’Orient

et poursuivre le dialogue avec les croyants musulmans. "

 Justice

Interview de Mgr Michel Santier, Evêque de Créteil et Président du Conseil pour les relations interreligieuses de la Conférence des évêques catholiques  de France.

 

 Beaucoup d'émotion, le vendredi 19 novembre en fin de matinée, dans la cathédrale de Créteil (Val-de-Marne) où avait lieu une célébration eucharistique « en lien avec les chrétiens d'Irak ». Au premier rang de l'assemblée se trouvaient des parents de victimes du massacre du 31 octobre dans l'église Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours à Bagdad - notamment la mère et la sœur d'un jeune prêtre tué - ainsi que des blessés qui ne sont plus hospitalisés. C'est en effet à Créteil qu'avaient été accueillis les 150 victimes et proches de victimes de l'attentat, invitées par le gouvernement français.

L'évêque de Créteil, Michel Santier, présidait la concélébration à laquelle ont participé des prêtres du diocèse et d'autres venus de paroisses catholiques orientales de la région parisienne. La cathédrale était pratiquement pleine. Bien que cette messe ait été célébrée un jour de semaine, de nombreux chrétiens irakiens et proche-orientaux résidant en Région parisienne, ainsi que beaucoup de catholiques du diocèse, avaient tenu à prier avec leurs frères martyrs et persécutés. L'iman de la mosquée de Créteil a adressé un message de solidarité aux participants.

Dans l'interview qu'il a bien voulu nous accorder, le Père Santier explique pourquoi il a organisé cette célébration  et pourquoi la solidarité active avec les chrétiens du Proche-Orient n'est pas en contradiction avec ce dialogue en vérité qu'il entend continuer à promouvoir avec les croyants musulmans. Un dialogue dont il est expressément en charge au sein de l'épiscopat français. Précisons que depuis l'an dernier, le Père Santier est membre du réseau Chrétiens de la Méditerranée.

 

Pourquoi avez-vous organisé cette célébration dans votre cathédrale de Créteil ? Quelle signification avez-vous voulu lui donner ?

 

Lorsque j’ai appris que des chrétiens, des catholiques de Bagdad qui avaient vécu le massacre dans l’Eglise de Notre Dame du Perpétuel Secours, étaient arrivés à Créteil, je me suis dit aussitôt en mon nom personnel et au nom de tous les évêques de France, et donc de tous les catholiques : « ils sont nos frères, nous ne pouvons les laisser seuls, je vais allez les visiter ».

Le samedi 13 novembre au matin, je leur ai rendu visite au centre d’accueil pour demandeurs d’asile de Créteil. Le mercredi après-midi 17 novembre, à l’hôpital Henri Mondor de Créteil,  je suis allé visiter la maman du Père Taer qui a été assassiné, ainsi  qu’un autre de ses fils. Je me suis rendu ensuite au chevet d’un jeune catéchiste de 19 ans, très affecté par le décès du Père Taer, qui vivait un ministère en proximité avec les familles les plus pauvres.

En réponse à la question « Que pouvons nous faire pour vous ? » par l’intermédiaire d’un interprète, ils ont répondu qu’il voulaient venir prier pour leurs martyrs et blessés avec les catholiques de Créteil. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de célébrer une eucharistie en leur présence à la Cathédrale de Créteil le 19 novembre au matin. Pourquoi le matin ? Pour leur permettre de pouvoir visiter les membres de leurs familles encore hospitalisés. C’est une manière pour nous, chrétiens d’Occident, de montrer que nous comprenons leur souffrance insoutenable, que nous sommes en communion avec eux par la prière.

 

 Plus largement, comment les chrétiens et les communautés chrétiennes de France peuvent-ils manifester leur solidarité avec leurs frères chrétiens du Proche-Orient aujourd’hui menacés ?

 

Nos frères Irakiens sont traumatisés par ce qu’ils viennent  de vivre. Nous avons à être proches d’eux ; mais n’avons pas de leçon à leur donner sur un éventuel retour au pays. Ce sont eux qui nous donnent des leçons de courage et de foi. Pour qu'ils aient la possibilité de  retourner à Bagdad, il faut que la communauté internationale puisse leur assurer la sécurité dans leur propre pays.  La situation créée par les deux guerres en Irak, menées par l’Occident, qui aboutit à un conflit violent entre musulmans chiites et sunnites, se retourne contre les chrétiens en Irak et ailleurs. La communauté internationale, selon les différents appels du pape Benoît XVI et du récent Synode des évêques du Moyen-Orient, doit dépasser des intérêts économiques et financiers pour faire pression sur les gouvernements de cette région afin que la liberté de conscience, la liberté religieuse et pas seulement de culte, soient assurée à tous les chrétiens et aux croyants des autres religions.

 

Au sein de l’épiscopat français, vous êtes chargé du dialogue interreligieux et en conséquence d’accompagner le dialogue avec les musulmans ; comment concilier notre solidarité avec les chrétiens eu Proche-Orient et un dialogue vrai avec les musulmans ?

 

La solidarité avec les chrétiens du Proche-Orient est une obligation pour les catholiques d’Occident car ils sont situés à la source de la révélation évangélique. Ils nous l’ont transmise à travers la vie des différentes Eglises depuis 2000 ans. Si nous les abandonnons, les Eglises de ces pays vont devenir des musées, car leurs fidèles sont conduits par désespoir à quitter la région. Cette solidarité s’exerce aussi chez nous en France, comme par exemple dans le diocèse de Créteil nous avons créé des liens de fraternité forte avec les responsables et les membres de la communauté copte de Villejuif. Comme évêque, que j’ai aussi reconnu comme association privée de fidèles, l’Association Notre-Dame-de-Kabylie qui regroupe des nouveaux chrétiens venant de la Kabylie et issus de la religion musulmane.

Cela n’est pas en contradiction avec le dialogue avec les croyants musulmans, car nous ne dialoguons pas avec un système mais avec des personnes. Dans sa récente exhortation synodale Verbum Domini au n° 118, le Pape Benoît XVI, dit ceci : « le Synode demande aux conférences épiscopales là ou cela apparaît opportun et probable de favoriser des rencontres pour que chrétiens et musulmans se connaissent mutuellement afin de promouvoir les valeurs dont la société a besoin pour une coexistence pacifique et positive ».

Je ne nie pas que depuis quelques temps, ce dialogue est devenu plus difficile, car des durcissements venus de certains courants, se font jour ainsi que des peurs chez nos concitoyens.

Le dialogue suppose de se situer en vérité, de ne pas cacher ce qui nous fait vivre comme croyants ; mais il est nécessaire que les religions participent à la construction de la paix toutes ensemble, sinon elles apparaissent comme facteurs de guerre et fabriquent des incroyants, alors qu’elles peuvent témoigner de l’importance de la foi en  Dieu et de la vie spirituelle dans une société sécularisée.

 

Propos recueillis par Aimé Savard, ancien rédacteur en Chef au journal La Vie, le 24 novembre 2010

 

http://www.chretiensdelamediterranee.com

 

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