Anina Ciuciu, une ROM à contre-clichés
02 nov. 2013
Anina Ciuciu, 23 ans, est l’une des premières Roms à être entrée à la Sorbonne après avoir connu, enfant, les camps et la mendicité.
« Cela n'a rien d'exceptionnel qu'un enfant rom réussisse, pourvu qu'on lui permette d'accéder à l'éducation. »
Vous l'avez peut-être découverte sur une chaîne d'information continue ou sur le plateau du Grand Journal de Canal +, tenant tête à Eric Ciotti de l'UMP. Depuis les propos du ministre de l'Intérieur selon lesquels «seule une minorité de Roms veut s'intégrer en France», les médias s'arrachent Anina Ciuciu, jeune femme au caractère bien trempé. Mais elle qui a publié en avril un livre qui raconte son histoire (1), refuse d'être l'arbre qui cacherait la forêt. Au contraire, assure-t-elle, «cela n'a rien d'exceptionnel qu'un enfantrom réussisse, pour peu qu'on lui permette d'accéder à l'éducation». Anina Ciuciu a toujours revendiqué ses origines avec fierté, dit-elle, même quand sa mère la poussait à les cacher. Elle s'assume «profondément française», mais reste fidèle à la culturerom, conserve son attachement aux valeurs familiales et à la religion orthodoxe, aime la musique traditionnelle tsigane qui «parle au cœur», mais aussi Adèle et Stromae.
Anina a 7 ans lorsque sa famille quitte la Roumanie pour la France. Elle connaît l'exil, entassée dans des camionnettes de fortune, l'enfer des campements, la mendicité, les insultes et des débuts difficiles à son arrivée. Déboutés de leur demande d'asile, les Ciuciu survivent comme ils peuvent à Bourg-en-Bresse (Ain), jusqu'à ce qu'une institutrice, «leur bienfaitrice», les aiguille vers une assistante sociale. Les parents obtiennent enfin un appartement en HLM et une carte de séjour, trouvent du travail, les trois filles sont scolarisées, une petite dernière vient au monde. Bac S mention Bien en poche, Anina, qui souhaite devenir magistrate, entre en fac de droit à Lyon, avant d'être admise à la Sorbonne en 2012. Cette volonté farouche de réussir, Anina la tire du soutien des siens, originaires de Craiova. Boana, son grand-père, était un homme qui lisait beaucoup et avait réussi - parce qu'il ressemblait à un Roumain - à prendre la direction d'un commerce alimentaire, mais il est dénoncé comme Rom et perd sa place. Sa mère, infirmière et son père, comptable, ont également perdu leur poste après une dénonciation. Depuis, Anina est devenue leur fierté. Lors du voyage en Roumanie de Jean-Marc Ayrault qu'elle accompagnait en juillet dernier, elle a rencontré l'ambassadeur de France et des membres du gouvernement roumain. Elle qui s'enflamme pour le droit européen, «instrument privilégié pour faire évoluer la situation», a prononcé en septembre le discours d'ouverture de la 4e Conférence des Femmes roms du Conseil de l'Europe, à Helsinki, en Finlande. Courtisée, elle tente de tenir la politique à l'écart, a au départ hésité à critiquer le ministère de l'Intérieur qui l'a aidée à obtenir sa naturalisation. Mais aujourd'hui, Anina multiplie les interviews et fait le tour des librairies. La politique l'a rattrapée…
Véronique VALENTINO
Témoignage Chrétien
Supplément au n° 3560 Page 4
« Je suis Tzigane et je le reste: des camps de réfugiés Roms jusqu'à la Sorbonne »
Anina avec Frédéric Veille, éditions City, 2013,256 p., 14,90 €