Max Gallo : "Je ne crains plus d’affirmer mon identité chrétienne"

Pèlerin : Chaque jour, vous vous levez avant l’aube pour écrire. Cette voix qui vous réveille dans l’intimité de la nuit et vous pousse à votre bureau, d’où émane-t-elle ?

Max Gallo : C’est une voix d’en haut qui m’oblige à me lever. Si je ne lui obéis pas, ma tête tambourine jusqu’à ce que je lui cède. Cette voix me dit : « Va, va, va. » Elle m’intime d’aller de l’avant. Comme celle qui pousse Jésus dans L’homme qui était Dieu à accomplir son destin.

Pèlerin : Faire un livre sur Jésus, c’est écrire ou méditer ?

M.G. : Toute écriture est une forme de méditation. Mais écrire sur Jésus fut une méditation extrême. J’ai longtemps hésité avant de m’attaquer au personnage, de trouver le ton juste, la première phrase. Le tempo d’un livre doit être donné dès les premiers mots. J’ai fini par les tracer : « Moi, Flavius, centurion de Rome, j’ai entendu la voix de celui que Pilate, procurateur de Judée, avait appelé Jésus de Nazareth, roi des juifs. »

Pèlerin : Pourquoi décrire Jésus avec les yeux d’un centurion romain ?

M.G. : Avec ce « Moi, Flavius », je me situe d’emblée dans la peau d’un être simple. Un centurion chargé d’exécuter une tâche qu’il n’a pas choisie : ordonner à ses légionnaires de clouer sur une croix deux brigands et le juif de Nazareth au sommet du Golgotha. Flavius appartient au camp de ceux qui martyrisent Jésus. Il ne lui est pas hostile mais il obéit aux ordres. Il se trouve plongé malgré lui au cœur d’un événement qui va changer la face du monde et sa propre vie. C’est le témoin idéal, sans passion, le premier converti devant la Croix.

Pèlerin : Qui a écrit ce livre ? L’historien, l’exégète des Évangiles, le croyant ?

M.G. : Je ne suis pas un historien du christianisme, je ne confronte pas les Évangiles à d’autres textes, ce n’est pas mon propos. Je ne fais pas non plus un travail d’archéologue, je ne cherche ni les traces ni les preuves. Je ne suis ni un théologien ni un prêtre. Enfin, je ne joue pas les journalistes, même si le centurion Flavius, sur ordre de Pilate, part sur les traces de Jésus pour enquêter « sur les onze fous et quelques femmes » qui se disent ses disciples. Ce qui me passionne, c’est le rapport du Christ avec le témoin, avec celui qui ne sait pas qu’il est Dieu. Finalement, j’ai écrit cette vie du Christ avec la foi du charbonnier. Je ne me suis pas demandé si Jésus avait vraiment transformé l’eau en vin à Cana, multiplié les pains et les poissons à Tibériade. J’ai accepté le Mystère dans son entier.

Pèlerin : Dans Jésus, l’homme qui était Dieu, c’est bien l’historien qui parle à l’imparfait.

M.G. : Le verbe « Était » replace l’histoire à l’époque de Jésus. Avec cet imparfait de narration, je plonge le lecteur dans un autre temps et je donne de la crédibilité à mon récit. « Était », ça veut dire aussi que cet homme a vraiment existé, qu’il était Dieu. De même, dans mon livre, Jésus est toujours entouré. Ce portrait en groupe est volontaire. Il renforce encore la légitimité du personnage en le reliant à d’autres dans un contexte donné.

Pèlerin : Vous ne vous êtes jamais senti dépassé par votre sujet ?

M.G. : Sans cesse. D’ailleurs, je cite, en exergue de mon livre, François Mauriac : « Sans doute, une vie de Jésus, il faudrait l’écrire à genoux, dans un sentiment d’indignité, propre à nous faire tomber la plume des mains. » Mais j’avais besoin d’écrire ce récit, de comprendre comment les Évangiles avaient permis à la foi de traverser le temps et de se diffuser.

Pèlerin : Flavius, le converti, c’est vous ?

M.G. : C’est moi et ce n’est pas moi. Le terme de conversion est trop fort. Je n’ai jamais été athée. Je n’ai pas non plus été foudroyé - comme Paul Claudel, par le Dieu d’amour, à Notre-Dame de Paris. Je suis issu d’une famille catholique d’origine italienne, avec une grand-mère très pieuse qui me faisait réciter mes prières. Je ne les ai pas oubliées ; même quand mon ciel est devenu vide, à l’âge adulte, cette habitude apaisante de la petite enfance de réciter le Notre Père et le Je vous salue Marie avant d’entrer dans l’ordre de la nuit, ne m’a jamais quitté. En 1972, une peine immense - la perte de ma fille - a réanimé ma foi. Tétanisé de douleur, je me suis réfugié dans l’église Saint-Sulpice. Trente ans plus tard, un baptême dans ce même lieu m’a causé un choc intime. La blessure s’est réouverte et le « Verbe » est revenu en moi. De ce jour, je me suis senti chrétien et catholique.

Pèlerin : Dans le titre de votre récit, Jésus, l’homme qui était Dieu, vous mettez en avant l’humanité de Jésus…

M.G. : J’ai voulu montrer que Jésus était pleinement homme. Cette condition humaine, il l’assume jusqu’à la crucifixion, réservée aux esclaves. Il appelle son père à l’aide mais il refuse l’éponge, imbibée de vin et de myrrhe, tendue par Flavius pour soulager sa douleur, car il veut assumer sa souffrance jusqu’au bout. Entre la plainte et le courage, il y a cette volonté d’être un homme, dans sa douleur et sa grandeur. C’est la spécificité et la beauté du christianisme.

Pèlerin : Jésus est pleinement homme mais il est aussi pleinement Dieu.

M.G. : Je m’attache au Jésus humain pour faire avancer la compréhension de son message. Je suis un homme et en tant qu’homme, je peux comprendre le cheminement de Jésus et ses doutes. Cela n’enlève rien à sa nature divine ! Avec Jésus, le « verbe s’est fait chair », écrit Jean. Le catholicisme est la religion de l’Incarnation.

Pèlerin : Fallait-il que Jésus meure sur la Croix pour sauver l’humanité ?

M.G. : L’incarnation de Jésus prend tout son sens durant sa Passion. Étant incarné, Dieu devait souffrir comme les autres hommes et ressentir la douleur et l’angoisse. Oui, il fallait qu’il meure sur la Croix pour tuer la haine et sauver l’humanité. La clé de voûte de la foi chrétienne, c’est la mort et la Résurrection, c’est pour cela que je commence mon livre par la mort de Jésus.

Pèlerin : Quel est le sens de sa résurrection ?

M.G. : Si la vie du Christ s’était vraiment terminée sur la Croix, le mouvement spirituel qu’il avait créé aurait pris fin avec lui. C’est sa tombe vide et sa Résurrection qui convainquent ses disciples de continuer à prêcher. « Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant ? » disent les anges aux femmes qui se rendent au tombeau. La résurrection du Christ est la preuve de sa divinité. Celui qui a vaincu la mort rend vainqueurs ceux qui croient en lui. Sa Résurrection nous engendre à nouveau.

Pèlerin : Qu’est-ce qui vous touche le plus dans la personnalité du Christ ?

M.G. : Tant de choses humaines. Ses hésitations et sa volonté d’abord. Il est obligé de se fustiger, de se dire : « Va, va, va » pour aller au bout de son destin. Et il lui en a fallu, du courage, pour accomplir la volonté de son Père quand est venu le temps de mourir. Son dépouillement aussi : Jésus est un souverain qui ne veut ni la fortune ni la gloire, qui refuse d’exercer une puissance autre que celle de la Parole, qui ne souhaite rien posséder et tout partager. Il se dépouille pour mieux avancer. Sa liberté est contagieuse. Il bouscule les traditions, les préjugés. Il va vers les exclus, les malades, les pécheurs. Il n’indique pas des routes déjà tracées. En disant : « Je suis le chemin », il invite à vivre de sa liberté. Sa fraternité, enfin : toute sa force réside dans son amour du prochain. Il s’adresse à l’autre comme à un égal, à un frère. Il nous révèle que chacun porte en lui une étincelle divine. Sa Parole nous élève tous.

Pèlerin : Jésus crée-t-il la religion de l’amour ?

M.G. : Oui, l’amour est au centre des prédications de Jésus. L’amour est la preuve qu’il donne à Flavius et à tous ceux qui quêtent Dieu. Seul l’amour permet d’échapper à l’absurdité de la vie, à l’incompréhensible. Face à sa puissance, la mort n’est plus une limite. Je suis croyant parce que j’aime, que j’ai aimé et que je suis aimé. Je fonde ma foi sur l’amour du Christ, qui donne un sens à nos amours terrestres, maladroites et trop souvent brisées par la vie.

Pèlerin : à Noël, les croyants célèbrent la naissance d’un enfant. Le christianisme est-il la religion de la vie ?

M.G. : La nativité, c’est le triomphe de la vie au cœur de l’hiver, la promesse de l’amour dans le dénuement d’une étable. L’amour, c’est ce qui nous rend vivant, qui transcende la mort et demeure pour l’éternité. L’amour est ce miracle humain qui me fait croire en Dieu.

Pèlerin : Quelle est la parole de Jésus qui résonne le plus en vous ?

M.G. : « Le ciel et la terre passeront mais mes paroles ne passeront pas. » Ses propos traversent le temps parce qu’ils vont à l’essentiel. Ce qui m’a frappé en relisant les Évangiles, c’est leur limpidité, leur modernité. Ce sont des textes transhistoriques. La parole du Christ est toujours extraordinairement vivante, elle est contemporaine.

Pèlerin : Ce livre sur Jésus, c’est un peu le manifeste de votre foi ?

M.G. : C’est ma façon de dire l’apport du christianisme à notre culture. Je ne crains plus d’affirmer mon identité chrétienne ; je pense même que je dois le faire pour qu’elle perdure. Selon moi, cette religion qui prône l’amour est la plus aboutie. C’est aussi la religion de la conscience. Car croire est un acte de foi et de raison. Croire, ce n’est pas tourner le dos à la raison, c’est s’élever pour mieux comprendre le Mystère.

Pèlerin : Aujourd’hui, vous sentez-vous un disciple de Jésus ?

M.G. : Je suis dans son sillage, comme Flavius. Un peu à l’écart, de part mon destin d’écrivain solitaire, mais maillon de cette civilisation chrétienne à laquelle je suis si attaché. J’ai écrit Jésus, l’homme qui était Dieu pour diffuser mes convictions au plus grand nombre. Je viens d’en publier une nouvelle édition*, illustrée par les grands peintres. Grâce à Dürer, Rubens, da Messina, Rembrandt… les étapes de la vie du Christ s’animent. Son regard est au centre de chaque œuvre. La peinture a joué un rôle majeur dans la création et la manifestation de la civilisation chrétienne. Grâce soit rendue aux artistes. Ils font vivre la foi. S’ils ferment leurs yeux, notre civilisation entre dans la nuit.

Recueilli par Catherine Lalanne

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