Editorialiste du quotidien italien Il Fatto, vaticaniste de renom, Marco Politi en est persuadé. Ce conclave ne ressemblera en rien à celui de 2005 qui a élu Joseph Ratzinger pour succéder à Jean
Paul II. Il nous explique pourquoi les congrégations préparatoires au conclave durent
plus que prévu initialement. Quels sont les favoris, les faiseurs de Pape, le rôle des Italiens plus divisés que dominants, les blocs qui
s’opposent. Selon lui, « le clivage est entre ceux qui veulent préserver le centralisme romain et ceux qui demandent plus de
collégialité ».
En quoi ce conclave
est-il différent de celui de 2005 ?
C’est un
conclave plus fragmenté. La majorité des cardinaux a tenu à pouvoir discuter longuement durant la semaine écoulée. Pour mieux se connaître, pour approfondir les problèmes de l’Eglise, pour
identifier le profil du meilleur candidat. A la différence de 2005, il n’y a pas un candidat fort comme pouvait l’être Joseph Ratzinger, et il n’y a pas non plus un pôle réformateur uni autour
d’une personnalité comme pouvait l’être le cardinal Martini. On glose beaucoup sur le mythe de la prédominance des Italiens et sur le parti de la Curie. Il faut bien dire que les cardinaux
italiens sont surreprésentés dans le conclave, mais ils ne sont pas du tout unis. Et à la Curie il y a au moins quatre partis. Il y a le parti de Bertone, le Secrétaire d’Etat. Le parti autour du
cardinal Piacenza, préfet de la congrégation du clergé, très ratzingérien, qui était déjà prêt à remplacer le cardinal Bertone au moment de la crise de Vatileaks. Il y a le parti des diplomates,
la vieille garde des diplomates, Sodano, Re… mais, eux aussi, leurs visions ne sont pas toujours les mêmes. Et puis il y a les indépendants de la Curie, comme le cardinal Kasper. Donc, pour ce
conclave, la situation est beaucoup plus fluide. Jusqu’à aujourd’hui, un fort consensus ne s’est pas encore dégagé sur les candidats favoris.
A quoi est dû
cette volonté de prendre du temps pour discuter ?
C’est dû au
désir d’entrer en conclave avec les idées assez claires, de façon à pouvoir décider en quelques scrutins qui sont les candidats les plus probables, et à pouvoir ensuite chercher un compromis pour
ne pas avoir un conclave trop long.
Une longue
préparation pour un conclave court ?
C’est une
logique politique, électorale. Dans un moment de crise pour l’Eglise catholique, de crise de la Curie, de l’image de la Papauté, il s’agit de tisser des accords qui puissent créer un
consensus.
Certains
cardinaux ont une influence particulière, on les appelle les ‘grands électeurs’ dans le jargon romain. Qui va jouer ce rôle durant ce conclave ?
Le cardinal Secrétaire d’Etat, Tarcisio Bertone, est assurément un de ces grands électeurs. Mais il fait aussi l’objet d’une opposition qui ne cache pas son mécontentement
pour sa gestion de la Curie, aussi bien parmi les cardinaux italiens que non italiens. Le fait que le cardinal allemand Meisner, ratzingérien de fer, ait voulu raconter ces derniers jours à la
presse allemande qu’il avait imploré Benoît XVI de faire démissionner Bertone, en dit long. Bertone pèse, néanmoins. Un autre king maker, durant les congrégations, a été le cardinal
Sodano, l’ancien secrétaire d’Etat, mais il ne pourra pas entrer en conclave, et passera le témoin au cardinal Re. Ensuite, plusieurs personnalités ont un rôle. Le cardinal Schönborn, de Vienne,
par exemple, a toutes les qualités pour définir les caractéristiques d’un Pape réformateur, mais en tant que candidat ne semble pas fort. Mais il sera au cœur du groupe des réformateurs, auquel
appartient aussi le cardinal Lehman, ou le cardinal Vingt-trois.
On compte de
grands électeurs américains ou latino-américains ?
Aux Etats-Unis,
les cardinaux Wuerl et Dolan jouent certainement un rôle d’influence. Dolan est souvent donné comme papable, je ne le crois pas très probable… Mais les Américains ont été les seuls à organiser
des conférences de presse durant la semaine, pour raconter ce qui se passait, avant d’en être interdits par Sodano et Bertone.
En 2005, le
cardinal argentin Bergoglio fut le plus voté après Ratzinger. Cela laisse une trace sur le conclave qui s’ouvre ?
La trace
principale laissée par 2005, c’est que Benoît XVI lui-même a aboli la disposition que Jean Paul II avait introduite de faire passer, après 34 scrutins, le vote à la majorité simple. Ce qui
avait pour effet potentiel de favoriser un chantage sur la minorité de la part du groupe conservateur qui avait atteint la majorité simple. Maintenant, les deux tiers des suffrages sont de
nouveau nécessaires.
Les réformateurs
avaient alors échoué. Ils ont une chance cette fois ?
Par rapport à
2005, on voit bien que le projet des ultra conservateurs a échoué. On perçoit chez la plupart des cardinaux la volonté de trouver un candidat du centre. Ouvert au dialogue avec la société
moderne. Mais, sur de nombreux candidats on ignore ce qu’ils pensent sur les sujets les plus brûlants, comme le célibat des prêtres, le rôle des femmes, la question de la
sexualité dans la société moderne. On l’ignore parce qu’il y a eu un grand climat de conformisme ces dernières années. Donc personne n’a parlé, hormis quelques personnes. On ignore
combien peut peser, numériquement, le groupe réformateur. Je dirais que le clivage aujourd’hui ne se pose pas tant entre les pour ou les contre le mariage des prêtres, sur les dossiers secrets de
Vatileaks… le clivage est entre ceux qui veulent moderniser la Curie et est prêt à avoir un Pape non européen, mais veut conserver le caractère fortement centraliste de l’Eglise. On pourrait
appeler ce groupe les conservateurs du centre. Et de l’autre côté, ceux qui en revanche considèrent, à commencer par les cardinaux américains et allemands, qu’il faut commencer à mettre en
pratique la collégialité. Que le Pape ne peut plus gouverner seul un milliard de fidèles, mais doit avoir une forme de collaboration avec les évêques.
Décongestionner
le centralisme de la curie…
Oui, ils sont
tous d’accord pour moderniser la Curie et faire mieux fonctionner les organismes de la Curie. Avec Sodano, tous ces problèmes n’avaient pas explosé, donc c’est possible. Mais le problème est
plutôt la configuration de la papauté, la réforme de la Papauté elle-même. Et là, on va voir quel est le poids réel des réformateurs et quel sera le ticket Pape-Secrétaire d’Etat qui est
retenu.
Un ticket ?
Oui, si le Pape
devait être « étranger » comme on dit ici, il faut voir quel cardinal italien sera choisi. Par exemple, le nom de Mauro Piacenza est considéré comme trop conservateur par certains.
Celui de Sandri, qui a des qualités de médiateurs mais pressés par certains parce qu’il est accusé d’avoir toléré qu’on n’ouvre pas d’enquêtes sur le compte de Martial Maciel, le fondateur des
Légionnaires du Christ.
Sur quels grands
thèmes va s’opérer le choix du nouveau Pape ?
Le nouveau Pape
va devoir se confronter à plusieurs défis. La crise des prêtres. Le rôle des femmes au sein de l’Eglise. L’attitude de l’Eglise vis-à-vis de la sexualité dans le monde moderne (du divorce à la
fécondation artificielle aux couples homosexuels). Le processus œcuménique. Dans son premier discours, Ratzinger avait promis des pas concrets et ils n’ont pas été réalisés. Un
point essentiel est aussi la collégialité.
Le renoncement de Benoît XVI peut favoriser cette ouverture ?
Le geste de
Benoît XVI est la seule grande réforme de son pontificat. C’est un geste révolutionnaire, qui change la
physionomie de la papauté et cela préoccupe beaucoup les conservateurs les plus traditionnalistes. D’un côté cela permet de faire aboutir le processus de rajeunissement voulu par Paul VI (qui
avait posé la limite des 75 ans pour les évêques et de 80 pour les cardinaux entrant en conclave), de l’autre Ratzinger laisse à ses successeurs l’exemple d’un renoncement, d’une
limite.
Vous parlez de réformateurs, mais on a le sentiment d’un collège cardinalice très conservateur dans son ensemble. On peut être surpris ?
Sans aucun
doute, sous Jean Paul II comme sous Benoît XVI, hormis quelques exceptions comme le choix de Martini que fit Karol Wojtyla, ce sont des évêques fiables, selon la ligne du Vatican et la ligne
théologique de Ratzinger, qui ont été choisis et promus. Mais il ne faut jamais oublier les surprises de la liberté. Les évêques choisis par Pie XII furent ceux
qui firent les grandes réformes du Concile Vatican II, dès lors que Jean XXIII a donné pleine liberté au Concile. Quand un Pape meurt, les cardinaux se sentent brusquement très libres. Et donc,
des personnes qui se sont tues, pendant des années, peuvent avec leur vote exprimer des exigences nouvelles qui étaient restées dans le tiroir. Donc, on peut s’attendre à des surprises.
D’ailleurs, le dernier synode des évêques, en octobre, a montré une grande envie d’ouvrir une nouvelle ère de relations avec la société contemporaine. Le président du Celam, du Conseil épiscopal
latino-américain, Mgr Retes, un mexicain, a parlé d’un examen de conscience de la part de l’Eglise sur ce sujet. Et cette idée a été largement reprise. Donc on sent le besoin de refermer
la phase du repli identitaire, pour redessiner une physionomie chrétienne dans une confrontation, non agressive, avec la société moderne. C’est l’expression
qu’a utilisée le cardinal Ravasi durant le synode.
Quelques
favoris ?
Les grands
candidats en ce moment, ce sont le cardinal Ouellet, canadien, qui a trois cartes dans son jeu. Il a une expérience pastorale au Québec, une expérience à la Curie en tant que
préfet de la congrégation des évêques, et il a travaillé à plusieurs reprises, lorsqu’il était prêtre, en Amérique latine. L’autre grand candidat, c’est le brésilien Odilo
Scherer. Il a lui aussi l’expérience de la Curie, dans un domaine délicat comme la finance puisqu’il fait partie du Conseil de surveillance du IOR, la banque. Il est archevêque de Sao
Paulo et donc connaît les problèmes d’une grandes métropoles. Et en même temps il est très engagé socialement. Enfin, le cardinal Scola, archevêque de Milan, le plus grand
diocèse d’Europe, qui est un bon organisateur. Très actif sur le plan de la pastorale. Très actif sur le plan culturel, sur le dialogue avec l’Islam, avec les cultures et les religions orientales
à commencer par l’Inde et sur le plan œcuménique avec les orthodoxes. C’est un candidat fort. On n’a pas encore réussi à comprendre jusqu’ici qui pourra réussir à être le candidat idéal des
réformateurs. Le nouveau Bergoglio. Mais plusierus noms d’outsiders circulent. Le cardinal Maley de Boston, Ravasi à qui toutefois on fait noter qu’il n’a pas d’expérience pastorale. On parle
aussi beaucoup du hongrois Erdö, président du Conseil des conférences épiscopales européennes.
Lien à la Source