Pape François : l’homélie-hommage du cardinal Aveline

Dans une cathédrale comble, l’archevêque de Marseille a présidé une messe pour le pape François, en action de grâce pour son pontificat. Dans son homélie, le cardinal Jean-Marc Aveline a rendu hommage à ce pape avec qui le diocèse de Marseille avait un lien si particulier, depuis sa venue dans la cité phocéenne en septembre 2023.

 « En ce temps-là, quand les femmes eurent entendu les paroles de l’ange, vite, elles quittèrent le tombeau, remplies à la fois de crainte et d’une grande joie, et elles coururent porter la nouvelle à ses disciples. Et voici que Jésus vint à leur rencontre et leur dit : “Je vous salue” »

Toi aussi, cher pape François, tu as entendu avec toute l’Église l’heureuse nouvelle du matin de Pâques, et toi aussi, tu as bravé les contraintes de ton infirmité et de ta maladie pour venir au-devant des fidèles, partager avec eux la bonne nouvelle, comme les femmes l’avaient fait envers les disciples. Toi aussi – on le devinait sur ton visage dimanche – tu étais, comme elles, habité « à la fois de crainte et d’une grande joie », le corps douloureux mais l’âme missionnaire, les gestes à l’étroit mais le cœur grand ouvert. Et après ta bénédiction pascale, urbi et orbi, tout empreinte de ton inlassable sollicitude envers les victimes de tous les malheurs du monde, tu as voulu, comme si tu avais su que ce serait là ton dernier geste pastoral, t’avancer place Saint-Pierre à la rencontre du peuple, communier avec lui dans la foi, dans la charité et dans l’espérance, te tenir à ses côtés en tournant dans les allées, te retrouvant parfois devant, parfois au milieu et parfois derrière, comme tu avais appris à le faire aux prêtres, aux évêques et à tous ceux, hommes et femmes, qui partageaient ta charge pastorale.

Et puis tu es rentré chez toi, dans la solitude de ta chambre médicalisée. Et là, permets-moi de penser que, comme pour les femmes du matin de Pâques, Jésus est venu à ta rencontre pour t’entraîner avec lui dans sa Pâque, et comme aux femmes, il t’a dit : « Je te salue ». Et j’imagine qu’alors, dans le secret d’un face-à-face avec notre Sauveur, ton cœur a tressailli.

Frères et sœurs, souvenez-vous : quand le pape François nous avait fait la joie de venir dans notre ville, les 22 et 23 septembre 2023, il avait commenté pour nous, lors de son homélie au cours de la messe au Stade Vélodrome, la rencontre entre Marie et Élisabeth, la Visitation, cet autre face-à-face, à la charnière de l’histoire du salut, non seulement entre deux mères, mais aussi entre leurs deux enfants. Après que Marie eut salué sa cousine Élisabeth, l’enfant que celle-ci portait en son sein avait tressailli de joie en reconnaissant l’arrivée du Messie.

« Tressaillir – nous avait dit le Pape – c’est être “touché à l’intérieur”, avoir un frémissement intérieur, sentir que quelque chose bouge dans notre cœur. C’est le contraire d’un cœur plat, froid, installé dans la vie, tranquille, qui se blinde dans l’indifférence et devient imperméable, qui s’endurcit, insensible à toute chose et à tout le monde, même au tragique rejet de la vie humaine, qui est aujourd’hui refusée à nombre de personnes qui émigrent, à nombre d’enfants qui ne sont pas encore nés, et à nombre de personnes âgées abandonnées. »

Et nous avions reconnu dans ces paroles comme le cœur du message de cet immense pontificat, cette sensibilité à la douleur des autres, à la clameur de la terre et à la clameur des pauvres, cette joie toute franciscaine qui sait se réjouir, en dépit de toutes les vicissitudes et les souffrances de la vie, du beau trésor de la foi : quoi qu’il arrive, Dieu est, et cela suffit, comme aimait à le dire saint François d’Assise. Dieu est, il est présent même quand on le croit absent, il ne se lasse jamais de venir à notre rencontre pour nous dire et nous montrer qu’il nous aime et qu’il nous aimera jusqu’au bout. Le pontificat du pape François a voulu témoigner de cette attention aux marges du monde, de cette tendresse paternelle, aimante mais exigeante, ne craignant pas de dénoncer les faux-semblants et de donner voix aux oubliés et à tous les vaincus de l’histoire. « Nous voulons être des chrétiens qui rencontrent Dieu par la prière et nos frères par l’amour – nous avait dit le Pape au Stade – des chrétiens qui tressaillent, vibrent, accueillent le feu de l’Esprit pour se laisser brûler par les questions d’aujourd’hui, par les défis de la Méditerranée, par le cri des pauvres, par les “saintes utopies” de fraternité et de paix, qui attendent d’être réalisées. »

Il y a quelques jours, au soir du Jeudi saint – que le pape François avait tenu à vivre, comme à son habitude, dans une prison de Rome – nous avons entendu cette phrase solennelle de l’Évangile selon saint Jean, qui résume toute la vie du Christ : « Quand approcha la fête de la Pâque, sachant que son heure était venue de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout » (Jn 13, 1).

On peut dire que le pape François, à l’école du Christ, nous a aimés jusqu’au bout de ses forces, à cause de l’Évangile. Tout au long de son pontificat, il fut un serviteur de l’Église et un messager de la paix. « J’embrasse toute l’Église de Marseille – avait conclu le Pape avant de quitter notre ville – avec ses communautés paroissiales et religieuses, ses nombreux établissements scolaires et ses œuvres caritatives. Cet archidiocèse a été le premier au monde à avoir été consacré au Sacré-Cœur de Jésus, en1720, au cours d’une épidémie de peste ; vous avez donc à cœur d’être aussi des signes de la tendresse de Dieu dans l’épidémie de l’indifférence actuelle. Merci pour votre service, doux et déterminé, qui témoigne de la proximité et de la compassion du Seigneur ! »

Ce soir, c’est nous qui te disons merci, cher pape François. Tu as eu le courage, à l’appel du Christ, de prendre ta croix à sa suite, et cette croix fut ton chemin de vie. Que ta voix, courageuse et libre, continue d’éclairer nos consciences. Notre prière t’accompagne, pour que le pardon de Dieu te soit accordé largement, comme toi-même invitait tous les confesseurs à le faire, non pour faire comme si le mal n’existait pas, mais pour témoigner de notre espérance selon laquelle, comme le dit l’apôtre saint Jean, même « si notre cœur nous condamne, Dieu est plus grand que notre cœur, et il connaît toute chose » (I Jn 3, 20). Ce soir, nous sommes tous un peu orphelins. Ce soir, l’Église veille dans la confiance, l’action de grâces et l’espérance. Ils sont finis, les jours de la Passion du Sauveur du monde. Christ est ressuscité ! Et l’Église, l’épouse bien-aimée du Christ, sait que l’Esprit du Christ veille sur elle et ne l’abandonnera jamais !

« Et voici que Jésus vint à la rencontre des femmes qui quittaient le tombeau vide et leur dit : “Je vous salue” ». Ces premiers mots du Ressuscité résonnent, à nos oreilles de Marseillais, enfants de la Bonne Mère, avec ceux que l’ange Gabriel avait adressés à la Vierge Marie au jour de l’Annonciation : « je te salue, Marie, comblée de grâces, le Seigneur est avec toi. » L’essentiel de nos vies se joue dans des rencontres.

« Chers frères et sœurs – nous avait dit le Pape en quittant le Stade – je porterai dans mon cœur les rencontres de ces journées. Que Notre-Dame de la Garde veille sur cette ville, mosaïque d’espérance, sur toutes vos familles et sur chacun de vous. Je vous bénis. Et s’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi. »

Frères et sœurs, je vous propose de prier pour lui et pour tous ceux qui souffrent, tous ceux qui s’apprêtent à vivre leur propre passage vers la Vie, en reprenant ensemble, si vous le voulez bien, les paroles de l’ange à Marie :

« Je vous salue Marie, pleine de grâces, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes, et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni. Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort. Amen ! »

 + Jean-Marc Aveline
Cardinal archevêque de Marseille
Lundi 21 avril 2025, cathédrale Sainte-Marie-Majeure

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