Homélie du dimanche 23 janvier 2022
16 janv. 2022Evangile de Jésus-Christ selon saint Luc (1, 1-4; 4, 14-21)
« Plusieurs ont entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous, tels que nous les ont transmis ceux qui, dès le début, furent les témoins oculaires et sont devenus les serviteurs de la Parole. C'est pourquoi j'ai décidé, moi aussi, après m'être informé soigneusement de tout depuis les origines, d'en écrire pour toi, cher Théophile, un exposé suivi, afin que tu te rendes bien compte de la solidité des enseignements que tu as reçus. Lorsque Jésus, avec la puissance de l'Esprit, revint en Galilée, sa renommée se répandit dans toute la région. Il enseignait dans les synagogues des Juifs, et tout le monde faisait son éloge. Il vint à Nazareth, où il avait grandi. Comme il en avait l'habitude, il entra dans la synagogue le jour du sabbat, et il se leva pour faire la lecture. On lui présenta le livre du prophète Isaïe. Il ouvrit le livre et trouva le passage où il est écrit : L'Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m'a consacré par l'onction. Il m'a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux prisonniers qu'ils sont libres, et aux aveugles qu'ils verront la lumière, apporter aux opprimés la libération, annoncer une année de bienfaits accordée par le Seigneur. Jésus referma le livre, le rendit au servant et s'assit. Tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui. Alors il se mit à leur dire : « Cette parole de l'Écriture, que vous venez d'entendre, c'est aujourd'hui qu'elle s'accomplit. »
HOMÉLIE
En ce dimanche de prière pour l'Unité des Chrétiens je vous propose l'homélie d'un pasteur de l'Eglise Protestante Unie de France :
« Après avoir accompagné Jean-Baptiste jusqu’à son emprisonnement, nous retrouvons, dans le passage d’aujourd’hui, Jésus au début de son propre ministère.
Et pour ce début de ministère, Luc choisit de nous montrer Jésus non pas en train de faire un miracle ou une guérison, mais dans un acte beaucoup moins spectaculaire : il nous montre Jésus en train de prêcher.
Oui, Jésus commence son ministère et l’accent est mis non sur un miracle ou une guérison, mais sur un acte de parole. Jésus commence son ministère par une prédication.
Et contrairement à Jean-Baptiste qui prêchait en pleine nature, au bord du Jourdain, son acte de parole à lui se déroule dans un espace et dans un temps spécialement réservés à cet effet : une synagogue un jour de sabbat.
Epouser l’espace et le temps, reprendre à son compte les usages en vigueur et s’inscrire ainsi dans la tradition de ses contemporains, c’est aussi cela, rejoindre la condition humaine.
D’ailleurs, bien que la renommée de Jésus se répande déjà dans la Galilée, cette scène se passe non pas dans la capitale religieuse de Jérusalem, mais dans la petite ville de Nazareth où Jésus a grandi. Cet acte de parole a donc lieu dans un univers qui lui est familier, devant des personnes qu’il connaît. Jésus est ici chez lui.
Oui, pour Jésus, chacun est important. Ce qui compte, ce n’est pas sa renommée, c’est pourquoi il ne parle pas d’abord à des responsables religieux bien en vue, mais à ceux qui sont autour de lui, dans son environnement immédiat.
Et Luc nous montre Jésus en train de lire un passage d’Esaïe. Ce passage, il ne l’a pas choisi lui-même : c’est le passage du jour. Là aussi, c’est la plus grande simplicité qui prévaut, et aussi le bon sens.
Et malgré cela, bien qu’il n’ait pas été choisi par Jésus, ce passage vient à propos. D’emblée, Luc nous montre que même Jésus ne maîtrise pas tout, mais que tout concourt au bien de sa mission.
Un autre point est intéressant à propos de ce passage : en citant ce passage, Luc prend des libertés avec le texte biblique : il ne reproduit pas la phrase dans sa totalité, il en omet une partie. Le prophète Esaïe parle d’une année de bienfaits accordée par le seigneur, mais aussi d’un jour de vengeance pour notre Dieu.
Si Luc a fait disparaître ce jour de vengeance, ce n’est pas pour faire plus court, mais c’est parce qu’il a une intention théologique : Luc fait disparaître la seule phrase de ce passage qui contient une condamnation.
En supprimant cette condamnation, Luc souligne que le message de Jésus est un message de grâce, et rien d’autre qu’un message de grâce. Oui, le message de Jésus est uniquement et seulement miséricordieux.
On voit ainsi que mettre en avant la parole en faisant commencer le ministère de Jésus par un acte de parole, ce n’est pas mettre en avant la lettre du texte : c’est mettre en avant ce que Dieu nous dit à travers ces textes qui nous sont parvenus après avoir traversé les siècles. C’est pourquoi chaque prédication doit actualiser ces textes bibliques pour les rendre à nouveau vivants.
Et nous en arrivons à ce point essentiel : convient de faire une distinction entre la Bible et la Parole de Dieu. Le texte biblique peut devenir une Parole de Dieu pour nous seulement dans la mesure où l’Esprit-Saint les rend vivantes ici et maintenant.
C’est cela qui se passe pour les auditeurs qui sont venus dans la synagogue de Nazareth ce matin-là. En choisissant pour son acte de parole un lieu et un temps spécialement réservés à cet effet, Jésus n’a pas cherché à être le plus efficace possible, et pourtant il est tout de même là au bon endroit et au bon moment. A cet instant, son impact est limité, mais on sait qu’il ne faut pas mépriser les petits commencements.
C’est pourquoi cet acte de parole est un acte de parole décisif, un acte de parole qui prend une dimension existentielle, c’est-à-dire qu’il est susceptible d’avoir un impact sur la vie des auditeurs.
Et cette réalité s’exprime par cette phrase de Jésus, la seule que Luc a choisi de retenir, en essayant de garder la quintessence de sa prédication de cette prédication qui dans la réalité a certainement duré plus longtemps, la substantifique moelle, comme aurait dit Montaigne, une phrase unique mais qui résume tout : Cette parole de l'Écriture, que vous venez d'entendre, c'est aujourd'hui qu'elle s'accomplit.
Oui, cette parole s’accomplit au moment à l’instant même où Jésus parle. Elle n’est pas indépendante des événements qui l’accompagnent. Elle n’est pas non plus un bavardage en l’air sans importance, mais elle devient créatrice et liée au réel, comme les premières paroles de la Genèse.
Paradoxalement, dans ce lieu et ce temps convenus et sans surprise, Jésus fait quelque chose de complètement nouveau : avant lui, aucun prophète, absolument personne n’avait pu prononcer cette phrase de manière existentielle. Jusque-là, jamais cette phrase n’avait pu correspondre avec la réalité.
Oui, avec cette prise de parole dans la petite synagogue de Nazareth, quelque chose se passe, quelque chose susceptible de changer la vie de ceux qui écoutent Jésus.
Ce texte d’Esaïe qui était lu année après année dans le cycle liturgique, Jésus l’actualise pour en faire un texte existentiel, un texte susceptible de toucher tous les auditeurs, dans leur existence même.
Alors que nous dit ce passage ? Eh bien il nous dit trois choses :
il nous dit que la parole est première ;
il nous dit que cette parole n’est pas déconnectée de la réalité ;
il nous dit enfin que Jésus adopte une attitude de confiance sans chercher à tout maîtriser, ce qui le conduit à être là au bon endroit et au bon moment.
Amen. »
Bernard Mourou
Pasteur à la Paroisse du Chablais (Haute Savoie)
Eglise Protestante Unie de France