Michaet Lonsdale : "François est un cadeau pour l'Église"
24 août 2014INTERVIEW - Quand il parle de sa foi, Michael Lonsdale ne joue pas la comédie. Il la vit. Pour le JDD, il témoigne aussi de son admiration pour l’évêque de Rome.
Il n'a pas peur de la mort. À 83 ans, au seuil de sa vie, Michael Lonsdale se dit serein, parce qu'il "remet les choses entre les mains de Dieu". Comédien, peintre, écrivain, l'homme de mots a la foi chevillée à l'âme depuis sa jeunesse. Une foi à toute épreuve renforcée par des rencontres, des lectures de Thérèse de Lisieux, de Sœur Emmanuelle, de l'Évangile - "le plus vrai de tous les textes". Des rôles aussi, celui de frère Luc, l'un des moines trappistes assassinés à Tibéhirine en Algérie en 1996, qui lui colle encore au cœur. La prière l'accompagne au quotidien, une prière "baladeuse". Dans la rue, dans le métro, les trains, au milieu de la foule… Michael Lonsdale est de ces chrétiens qui ne supportent pas les traditionalismes, qui prônent une Église ouverte sur le monde, c'est pourquoi il s'enthousiasme pour le pape François.
Vous publiez un livre sur Charles Péguy*, pourquoi?
Péguy était un grand poète et un grand chrétien, les artistes sont les témoins de l'invisible, associer la beauté et la foi est l'élément moteur de mon métier de comédien… Je pense que l'œuvre de Péguy dépasse parfois les thèses de savants théologiens. Il donne des raisons d'espérer dans un monde démoralisé. Il faut aider les gens à respirer, pour cela il faut puiser dans la poésie. Et puis en tant que chrétien, il est un précurseur de l'esprit de Vatican II. Pour lui déjà, l'Église était trop souvent repliée sur elle-même, recroquevillée. Péguy, comme le pape François d'ailleurs, refuse les catholiques qui mettent une barrière stérile entre l'Église et le monde, ce besoin d'ouvrir l'Église au monde est un appel urgent et pressant, une Église servante et pauvre, comme disait Congar…
C'est exactement la vision partagée par le pape François…
Oui, François est formidable, parce qu'il s'attaque de façon frontale à l'argent, au matérialisme, aux dérives de la société de consommation. Il souhaite une Église pauvre parmi les pauvres. Le Christ a dit : "Je suis venu pour les pauvres et les prostituées…" Quand je l'ai entendu le jour de son élection prononcer ses premières paroles : "Priez pour moi", j'ai compris à qui nous avions affaire, c'est la première fois qu'un pape dit cela. Je ne connaissais pas ce Bergoglio, il est tombé du ciel. François est un cadeau pour l'Église. Puis il est devenu François, comme François d'Assise. Saint François est celui qui s'est le plus rapproché du Christ, c'est vraiment un signe de modestie.
Quels sont les temps forts de ce début de pontificat?
Je ne connais pas toutes les paroles et homélies du pape, mais pour moi tout a commencé quand il est apparu à la fenêtre place Saint-Pierre. On a découvert un pape venu du bout du monde, sa voix m'a touché, et je me suis dit : ça y est, on passe à autre chose, quelque chose de très simple et de très pauvre… Je l'attendais depuis longtemps. Son absence de solennité m'a tout de suite plu. Mais je ne cherche pas à le comparer avec les autres papes, chaque pape a sa personnalité, son temps, sa façon d'être. Puis, lors de son premier déplacement, il s'est rendu à Lampedusa. Il va là où l'on ne s'attend pas à voir un pape, là où il y a de la misère, de la tragédie. Il est tout de suite concerné. C'est très enthousiasmant. La présence du pape sur cette île sicilienne où il y a tant de naufrages de clandestins revêt une dimension essentielle. Cela veut dire que l'Église est solidaire de ces gens qui ont fui dans la désolation et la peur pour sauver leur vie : il faut entendre ces cris. Il faut retrouver le partage et l'amour du prochain.
«LÉglise n'a pas besoin de se donner ainsi en représentation : ce n'est ni du théâtre ni du spectacle»
Le pape n'est pas tendre envers le clergé…
François veut faire sortir l'Église de son image surannée. Il faut arrêter avec les apparats et les déguisements des évêques, tout ce faste qui impose une représentation riche de Dieu, François veut en finir avec tous ces signes extérieurs de richesse. Il a déjà rectifié le tir en écartant par exemple cet évêque allemand qui s'était fait construire un palais avec une baignoire en marbre de 15.000 euros… J'ai souvent dit aux évêques qu'il était temps d'arrêter les mitres et les beaux costumes ; cela valait du temps où il fallait impressionner les foules, mais l'Église n'a pas besoin de se donner ainsi en représentation : ce n'est ni du théâtre ni du spectacle.
Un pape qui tweete, cela vous plaît?
Oui il a raison, il est vraiment moderne, en accord avec l'époque.
Le pape est-il un révolutionnaire?
Non, cela me gêne, la révolution c'est pour abattre quelque chose, le pape François n'est pas un guerrier, ou alors sa guerre à lui c'est l'amour.
Benoît XVI aussi a quelque part bouleversé l'Église en renonçant...
Benoît XVI a bien fait, il y avait tellement de secousses au Vatican, et tous ces scandales de pédophilie. On a étouffé cela pendant des années, c'est honteux. Benoît XVI avait commencé à faire le nettoyage. Mais il ne tenait plus physiquement. C'est un homme avant d'être un pape. François a dit tout récemment qu'il se donnait le droit de renoncer, cela me semble normal, quelle responsabilité vous vous rendez compte! Souvenez-vous de ces images de Jean-Paul II, le marathonien de la foi, à bout de souffle à la fin de son pontificat, c'était triste de le voir décliner ainsi, sa voix si fragile, mais il a été héroïque, jusqu'à n'en plus pouvoir.
Le pape François s'est dit prêt à se rendre en Irak…
Cela ne m'étonne pas, sa place est auprès des gens qui souffrent. Ce qui se passe là-bas est scandaleux, on tue au nom de Dieu, on tue pour convertir, c'est effrayant, c'est honteux pour l'humanité. Des chrétiens doivent s'exiler, ils ne peuvent plus vivre leur foi dans leur pays, des peuples sont déplacés. Le pape n'est pas totalement d'accord avec les bombardements américains, mais il est conscient du fait qu'il faille faire quelque chose, il a affirmé qu'il est "licite d'arrêter l'agresseur injuste", c'est même un "droit de l'humanité", avant de préciser aussitôt qu'"arrêter" ne signifie pas automatiquement "faire la guerre, bombarder".
Face à tant de souffrance, votre foi a-t-elle été mise à rude épreuve?
Non, je n'ai jamais eu l'occasion de douter. Parfois, on m'interroge, face aux malheurs du monde. Mais cela ne me fait pas douter de la parole de Dieu : Dieu ne veut le mal de personne et il n'est pas le surveillant général qui agit pour rétablir la bonté.
* Entre ciel et terre, Péguy, (Cerf, 19 euros).
Propos recueillis Par Adeline Fleury - Le Journal du Dimanche