Guyane : L’évêque de Cayenne réagit à la grève générale

La Guyane vit au ralenti depuis jeudi dernier, paralysée par un conflit social de forte ampleur motivé par de graves problèmes de chômage et d'immigration. Mgr Emmanuel Lafont, évêque de Cayenne, réagit.

Aleteia : Quel est votre regard sur la situation ? Peut-on la qualifier de chaotique ?
Mgr Emmanuel Lafont : Non, pas chaotique, mais littéralement bloquée, on ne peut pas bouger. Pourtant le mouvement reste « propre », très serein. Chacun fait « contre mauvaise fortune bon cœur ». En dépit des barrages, les messages et un certain nombre de marchandises parviennent à passer, certains grévistes assurent le relai, la transmission.

La solution est-elle entre les mains du Gouvernement, à Paris ?
Nous attendons que le gouvernement signe un certain nombre de dispositions. Il ne peut pas tout mais il faut une réelle prise de conscience et une prise de conscience globale. En effet, le problème est français ou européen pour ce qui concerne les lois et les règlements, mais il est aussi mondial : ici, la moitié des hommes est sans travail. Autour, c’est pire. En dépit de la situation économique très difficile, la Guyane est un îlot de mieux-être en Amérique latine qui attire bon nombre de ses voisins (les pays proches ou limitrophes : Guyana, Suriname, provinces du nord du Brésil, sont frappés par une pauvreté endémique, Ndlr). Face au délabrement économique mondial, la Guyane, comme la Métropole, doit prendre sa part de responsabilités.

Les gens d’ici aussi sont attirés par l’argent facile, par l’argent de la drogue. Les filières sont très bien organisées. On estime que chaque semaine, une soixantaine de « mules » transitent par l’aéroport pour transporter leur marchandise dans le reste du monde (dans le jargon policier, des passeurs qui ingèrent d’importantes quantités de drogues pour échapper au contrôle, Ndlr). Chaque voyage peut rapporter jusqu’à 5 000 euros. Les gens pauvres, ceux qui vivent au bord des fleuves, des mères de famille même, demandent aux chefs coutumiers comment passer de la drogue à leur tour, pour s’en sortir. Sur le total, une quinzaine seulement est repérée, arrêtée, conduite à l’hôpital, jugée, etc. Mais c’est une opération coûteuse – il faut deux policiers pour chaque escorte – gourmande en hommes et en temps. Y faire face est très compliqué.

Comment l’Église prend-elle sa part de responsabilité dans le conflit ?
J’ai envoyé une lettre aux élus il y a 5 semaines qui est restée sans effet. Il faut croire que nos responsables politiques ne connaissent pas l’adage « mieux vaut prévenir que guérir ». Les chrétiens sont présents partout, ils font partie intégrante du mouvement. Les paroissiens aussi sont sur les barrages, avec les grévistes : ils prient tous ensemble publiquement. En effet, la plupart des manifestants sont croyants. Les chrétiens œuvrent à la conscientisation du mouvement, lui donnent du fond et une espérance.

Comment jugez-vous les groupes comme les « 500 frères », qui portent la plupart des revendications des grévistes ?
L’action de ce collectif exprime le ras-le-bol de tout la communauté (un mouvement qui affiche les codes vestimentaires et le mode opératoire d’une milice, mais revendique une action non violente, Ndlr). Sans tomber dans le piège de la caricature qu’ils tendent involontairement avec leurs cagoules, il faut les entendre. Ce sont des gens responsables. Dans leur action se cristallise pacifiquement la colère des gens.

Propos recueillis par Alexandre Meyer.

 

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