Homélie du dimanche 5 août 2018

Exode 16, 2-4. 12-15 ; Psaume 77 ; Ephésiens 4, 17. 20-24 ; Jean 6, 24-35

Des besoins à n’en plus finir… La société de consommation, ce n’est pas d’aujourd’hui : elle est déjà présente dans les textes d’aujourd’hui (aussi bien dans l’ancien que dans le nouveau Testament). Des besoins à n’en plus finir, sauf quand le pain devient quelqu’un. Car alors, il ne s’agit plus de consommer seul dans son coin, mais de communier, d’entrer en relation.

Jésus, aujourd’hui, se présente comme le pain véritable qui s’offre à notre faim véritable. Mais cette faim spirituelle qui nous creuse, nous la trompons souvent avec des produits de consommation qui étouffent en nous le désir. Comme les fils d’Israël, dans leur traversée du désert, nous sommes tentés de préférer le confort des installés, même esclaves, à la liberté des nomades. Le livre de l’Exode raconte que pour faire taire les récriminations des Hébreux, le Seigneur fit pleuvoir un pain étrange, une fine croûte, dit le texte, quelque chose de fin comme du givre. Une manne comme nous disons. Un mot qui nous vient de la réaction des Hébreux qui se disaient entre eux : “Man hou”, c’est-à-dire “Qu’est-ce que c’est ?” On se posera un jour la même question au sujet de Jésus :“Quel est donc cet homme” qui prétend être une nourriture de vie et nous combler au-delà de tout désir ? Et quel est ce pain que l’Église continue de nous donner en son nom ?

Oh ! Nous savons, ou plutôt nous croyons qu’à travers ce pain et cette coupe nous communions à l’amour dont Dieu nous a aimés. Nous le croyons et pourtant le pain que Jésus nous offre, comme la manne, demeure une question : man hou, qu’est-ce que c’est ? Comme si nos cœurs de croyants n’étaient jamais assez grands pour l’accueillir, tellement Jésus n’est pas venu nous gaver de certitudes mais nous combler de son amour. Et c’est bien différent : les certitudes durcissent le cœur, tandis que l’amour lui donne des ailes et creuse le désir d’aimer.

Le livre de l’Exode raconte que Moïse interdit aux fils d’Israël de faire provision de la manne que le ciel donnait chaque jour. Certains le firent quand même. Mais la manne dont ils avaient rempli leurs sacs devint vite immangeable. Et si ça signifiait que le chrétien ne peut pas être un homme aux poches bourrées de provisions ! Péguy disait : “Jésus nous a donnés des paroles vivantes [...] nullement conservées moisies dans de petites boîtes [...] des paroles vivantes qui ne peuvent se conserver que vivantes.” Le croyant ne possède pas la vérité, il s’en nourrit comme d’un pain qui donne faim d’un avenir toujours plus grand. Le croyant est un nomade qui voyage léger parce qu’il compte chaque jour sur Dieu qui s’est fait pour lui parole et pain. Le croyant est homme de désir qui, comme dit saint Paul, se laisse “guider intérieurement par un esprit renouvelé.

Des besoins à n’en plus finir… sauf quand le pain devient quelqu’un. On a souvent le choix entre consommation et communion. C’est la saison des vacances. On y va avec un désir bien légitime de tranquillité et de repos. On rêve de consommer du repos, et on en revient avec, comme souvenirs les plus riches, les rencontres et les découvertes, c’est à dire les moments où il y a eu communion, relation avec d’autres personnes, d’autres formes de vie. Ils sont bien malheureux ceux qui s’enferment dans une solitude de vacances, même somptueuse. Quand le pain devient quelqu’un, il ne s’agit plus de consommer, mais d’entrer en relation, d’entrer en communion.

Des besoins à n’en plus finir… sauf quand le pain devient quelqu’un. Soyons heureux nous autres d’être sur ce chemin humain de la rencontre de notre Dieu, sur ce chemin où le pain devient quelqu’un. La rencontre, la relation, la communion, l’amitié, toutes ces valeurs qui ne rouillent pas en prenant de l’âge. Le reste, il faut petit à petit apprendre à s’en détachercomme le raconte avec humour cette petite histoire de touriste américain visitant un rabbin célèbre au siècle dernier. Le touriste est étonné de voir que le rabbin n’a pour tout logement qu’une simple pièce remplie de livres. Et pour seul mobilier, une table et un banc.

- “Où sont vos meubles ?” demande le touriste.

- “Où sont les vôtres ?” rétorque le rabbin.

- “Les miens ? Mais je ne suis qu’un visiteur, ici ; je ne fais que passer”, dit l’Américain.

- “Moi-aussi”, réplique le rabbin.

Robert Tireau

Prêtre du Diocèse de Rennes

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