Homélie du dimanche 9 décembre 2018
05 déc. 2018Saint Luc, l’évangéliste de cette année liturgique, se présente lui-même comme un historien, puisant dans diverses sources quelque 50 ans après la mort de Jésus, pour raconter l’événement qu’a été sa venue, pour transmettre son message et annoncer son œuvre de salut. Il a rassemblé les signes qui ont marqué sa naissance, sa vie, sa mort, sa résurrection, ainsi que les signes des commencements de l’Eglise dans son Livre des Actes des apôtres. Dans son Evangile, après les récits de l’enfance de Jésus, nous lisons le prologue inaugural de sa vie publique. C’est en pleine histoire humaine et pas seulement celle d’Israël que se manifestent les signes du salut. Ce texte donne le ton aux écrits de saint Luc.
« L’an quinze du règne de l’empereur Tibère,
Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée,
Hérode étant alors au pouvoir en Galilée,
son frère Philippe dans le pays d’Iturée et de Traconitide, Lysanias en Abilène,
les grands prêtres étant Hanne et Caïphe,
la parole de Dieu fut adressée dans le désert à Jean, le fils de Zacharie.
Il parcourut toute la région du Jourdain,
en proclamant un baptême de conversion pour le pardon des péchés,
comme il est écrit dans le livre des oracles d’Isaïe, le prophète :
Voix de celui qui crie dans le désert :
Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers.
Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées ;
les passages tortueux deviendront droits, les chemins rocailleux seront aplanis ;
et tout être vivant verra le salut de Dieu. »
Luc pense à ses lecteurs. Ils pourront vérifier que son récit porte sur des événements réels qui se sont produits à une époque connue, dans un contexte historique précis. Il note trois types de personnages investis d’un pouvoir : l’empereur et le gouverneur romains, le roi Hérode et Philippe, princes de provinces, puis les grands prêtres Anne et Caïphe. Tous ces acteurs ont joué ou joueront des rôles importants dans les récits qui vont suivre. L’intention de l’évangéliste n’est pas seulement de faire œuvre d’historien, mais aussi de catéchète*. Démarche courante dans les évangiles : on enseigne en racontant, plus qu’en tenant des discours abstraits.
En son prologue, Luc note d’emblée que ce qui advient dans l’humanité s’inscrit dans un contexte de rivalité de pouvoirs : celui de l’occupant, celui de princes régionaux, celui de grands-prêtres gardiens du Temple et de la Loi mais soucieux aussi de marquer leur autorité religieuse. Le contexte est celui d’une crise politique et religieuse dont souffre beaucoup le peuple. Dans le prologue de son récit, Luc ne parle pas encore de Jésus mais de Jean dont la vocation s’inscrit dans la lignée des prophètes. Jean cite les paroles d’Isaïe, des paroles d’espérance et de consolation, mais aussi des appels à la conversion. Prédicateur itinérant, il voit les foules venir vers lui ; le changement de mœurs qu’il proclame et le baptême qu’il administre correspondent à l’attente du peuple.
En exhortant ses auditeurs à se décider pour Dieu, le Baptiste leur fait en effet une annonce étonnante : il proclame un baptême de conversion pour le pardon des péchés, indépendamment des sacrifices prévus par le rituel du Temple. Cette proclamation s’accompagne d’une simple plongée dans les eaux vives du Jourdain, ce fleuve traversé par Israël lors de son entrée en terre de liberté. Ces propos de Jean ne peuvent qu’exaspérer le pouvoir religieux en place. Ce qui se passe dans la région du Jourdain entre en concurrence avec le culte dont Jérusalem est le centre. A quoi serviront les prêtres, s’il n’est plus besoin de se rendre au Temple pour obtenir le pardon des péchés, en se soumettant aux rituels des sacrifices ? Ce que Jean inaugure, Jésus l’accomplira lui aussi, mais non plus par le bain dans les eaux du Jourdain ou dans le Temple, mais en tous lieux et en toutes circonstances. Le nouveau Temple sera son corps d’où jailliront les eaux vives du pardon pour ceux qui croiront en lui et qu’il guérira. (Jn 7, 38-39).
Le ministère du Baptiste accomplit de manière explicite la première étape de la réalisation de la consolation d’Israël annoncée par Isaïe et attendue par les croyants. A Qumran, les esséniens se référant à la même prophétie pensaient que, pour préparer le chemin du Seigneur, il leur fallait s’isoler en plein désert de Juda, y étudier et pratiquer la Loi de la façon la plus stricte. Jean, lui, crie à travers le désert en y annonçant le salut qui va venir et le nécessaire changement de mentalité, dont il évoque l’importance en choisissant l’image de travaux gigantesques nécessaires semblables à ceux de la construction d’une « autoroute » aujourd’hui. En recourant à Isaïe 40, comme Matthieu et Marc, Luc se conforme à la Tradition.
Il innove en revanche en concluant sa citation, au verset 6, par l’affirmation de l’universalisme du salut puisé en Is 40, 6 : tout être humain aura part au salut de Dieu. Paradoxalement c’est en déportation qu’Israël, par la voix d’Isaïe, avait repris conscience de la dimension universelle de sa mission. C’est aussi en pleines crises internes qu’Israël, par la voix de Jean, puis par la vie et la mort de Jésus va s’ouvrir complètement à l’universalité du salut. De même, c’est par la voix de Vatican 2, en pleins bouleversements mondiaux du 20e siècle, que le salut ne sera plus déclaré comme réservé seulement aux membres de l’Eglise. « [Le salut] ne vaut pas seulement pour ceux qui croient au Christ, mais bien pour tous les hommes de bonne volonté, dans le cœur desquels, invisiblement, agit la grâce. En effet, puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associés au mystère pascal. » (Gaudium et Spes 22)…..
Michel SCOUARNEC, Prêtre du Diocèse de Quimper et Léon