Des jeunes du service militaire volontaire à l’entraînement sur la base aérienne de Saint-Agnant, à Rochefort (Charente-Maritime), en mars 2016. / Yohan Bonnet/Hans Lucas

Des jeunes du service militaire volontaire à l’entraînement sur la base aérienne de Saint-Agnant, à Rochefort (Charente-Maritime), en mars 2016. / Yohan Bonnet/Hans Lucas

Les différences sociales et ethniques sont lissées dans l’institution militaire, qui assume un rôle social auprès de jeunes en situation de précarité. Certains d’entre eux trouvent le chemin de l’insertion au sein du service militaire volontaire (SMV), dispositif militaire et de formation professionnelle. Identités, en parler sans se fâcher : insérer.
Intégration, le savoir-faire de l’armée française
À l’écran, l’image est arrêtée sur le port de la ceinture de sécurité. En treillis, assis derrière leur table comme en classe, seize stagiaires du 2e régiment du service militaire volontaire (SMV) de Brétigny-sur-Orge (Essonne) suivent une formation pour obtenir le permis de conduire. Leur chef de section et les personnels encadrants accompagnent leur progrès, au cas par cas, au jour le jour. Ils font de « la dentelle », assurent-ils, afin que ces jeunes obtiennent le précieux sésame, nécessaire à une recherche d’emploi.
Dans la salle d’à côté, ils sont huit autres, penchés sur des exercices de pourcentages, ou de périmètres et aires de triangles. Deux professeurs de l’éducation nationale et deux volontaires du service civique les aident dans leur remise à niveau scolaire. L’objectif est de décrocher le certificat de formation générale ouvrant les portes d’une formation qualifiante. Un diplôme pour prendre de l’assurance. « J’ai arrêté l’école à 16 ans. Je suis venue ici pour avoir une expérience, avoir confiance en moi », explique Élisabeth, 21 ans, qui veut être bagagiste aéroportuaire.

Comme elle, 66 % des 18-25 ans intégrant le SMV pour huit à douze mois n’ont aucun diplôme. Et 20 % sont illettrés. « Ce sont des jeunes de tous les horizons : des décrocheurs sociaux ou familiaux, des bacheliers ou titulaires de BTS tombés dans une spirale, des jeunes au passif judiciaire léger. Le premier défi est de créer l’alchimie entre eux. Chacun est assuré qu’on lui propose un, deux voire trois emplois. Plus de 70 % sont insérés à la sortie », décrit le général Benoît Brulon, commandant le SMV, qui a formé 1 200 volontaires par an depuis sa création en 2015.

« Je n’étais pas la personne que je suis aujourd’hui »
Quand ils se présentent dans les cinq régiments et centres hexagonaux du SMV, la plupart de ces jeunes sont en situation de précarité voire d’isolement. Certains n’ont pas eu de rendez-vous chez un médecin ou un dentiste depuis l’enfance. D’autres souffrent de dyslexie ou dyspraxie. Tous restent discrets sur leur parcours cabossé.

« Avant, je me foutais de beaucoup de choses. J’habitais en Guyane, dans un quartier où on ne faisait rien, raconte Cathy, 20 ans, mère d’un enfant depuis un an. Au début, c’était dur car on n’a pas l’habitude des ordres, et on est obligé de les respecter. On apprend à bien se tenir, ne serait-ce que physiquement, à vivre en communauté et à se respecter. J’aime bien, ça change de mon quotidien. »

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Dur aussi de « se lever à 4 h 30 », renchérit Landry, 19 ans, venant de Toulouse et originaire de la Guyane aussi. « La discipline, dit-il, c’est ce qui change en nous en un mois. » Un temps durant lequel, dès leur incorporation, les jeunes volontaires reçoivent une formation militaire qui les confronte à l’autre et d’abord à eux-mêmes.

« Je n’étais pas très droit. Je ne savais pas m’exprimer. Je me traînais. Je n’étais pas la personne que je suis aujourd’hui, physiquement, mentalement, reconnaît à son tour Régis, 22 ans. Porter un treillis, jamais je ne l’aurais imaginé quand j’étais plus jeune en Guadeloupe ! »

« On leur donne un savoir-être, on en refait des citoyens »
La « militarité » est la valeur ajoutée du dispositif. « C’est quand ils sont en treillis qu’ils prennent conscience des choses », explique le directeur général de la formation, le chef de bataillon Jean-Louis Guitard. La coupe de cheveux et l’uniforme lissent les différences,l’assiduité et la discipline cassent les cercles vicieux et les addictions. À ce premier moment décisif s’en ajoute un autre : la cérémonie de remise des calots aux volontaires qui réveille alors la « fierté » des parents.
« On accueille des jeunes les plus éloignés de l’intégration et on les ramène vers la société. On leur donne un savoir-être, on en refait des citoyens. On est vraiment au cœur de l’utilité sociale des armées », insiste le général Brulon, s’appuyant sur la « vision stratégique » du nouveau chef d’état-major des armées.
Présentée en octobre, cette feuille de route du général Thierry Burkhard confirme que « les armées participent aux projets menés au profit de la cohésion nationale et en particulier de la jeunesse ».
« Les différences, le racisme, ce n’est pas une question »
Depuis la suspension de l’appel sous les drapeaux, annoncée par Jacques Chirac, en 1996, et après les émeutes dans les banlieues, en 2005, l’État a multiplié les programmes pour l’insertion des publics défavorisés et discriminés. Parmi eux, le plan pour « l’égalité des chances », lancé par le ministre de la défense Hervé Morin en 2007, avait vocation à diversifier la composition sociologique des grandes écoles militaires.
Un an plus tôt, le chef d’état-major de l’armée de terre, Bruno Cuche, avait déploré l’absence d’officiers issus des « minorités visibles ». Aujourd’hui, elles restent encore peu représentées au sein du haut commandement, mais forment une part importante des soldats du rang et croissante des sous-officiers.
Identités : « Il existe en chacun une singularité énigmatique »
Au SMV, les minorités sont visibles. « Même si on est physiquement différent, on se comprend tous et on s’entraide », témoigne Cathy. « Les différences, le racisme, ce n’est pas une question, tranche le général Brulon. Ce n’est pas un enjeu et on est attentif à ce qu’il ne le devienne pas. L’armée est un gros melting-pot. »
La collecte de statistiques ethniques étant interdite en France, il n’existe pas d’étude pour analyser cette évolution sociologique, en particulier la présence d’enfants de l’immigration. Les visages des soldats morts pour la France viennent de temps en temps illustrer cette diversité, comme celui du sergent Yvonne Huynh, première femme tuée depuis le début de l’intervention au Mali.

« L’armée réussit à créer du “nous” »
« L’armée a des fortes capacités intégratives, estime Elyamine Settoul, maître de conférences au Conservatoire national des arts et métiers. Elle recrute de manière relativement méritocratique. Que vous soyez issu de l’immigration, des DOM ou du milieu rural, les centres d’information et de recrutement (Cirfa) vous accueillent et vous évaluent objectivement sur la base de tests physiques et psychotechniques. C’est un élément positifcar bien des jeunes qui ont le teint basané ou habitent à des adresses de banlieue n’obtiennent même pas un premier rendez-vous d’entretien. »
Ensuite, poursuit-il, « dans la phase de l’engagement, d’apprentissage du métier, les différences tendent à disparaître ». C’est ensemble que les militaires s’entraînent et font face à l’adversité. « Cela formate la confiance du groupe. C’est ce que le philosophe Max Weber appelait “le processus de communalisation”. Un groupe de personnes ne se connaissant pas au départ va développer des liens affectifs très forts, au point d’avoir le sentiment d’être une famille », explique Elyamine Settoul. Avant d’ajouter : « L’armée réussit à créer du “nous”. »

Au régiment du SMV de Brétigny-sur-Orge, Régis dit avoir « appris la cohésion ». D’abord volontaire stagiaire, il est désormais volontaire expert à un poste d’encadrement, avec un contrat militaire d’un an. Ensuite, il aimerait s’engager. Il n’ignore pas que seuls 3 % des volontaires experts parviennent à devenir un soldat professionnel. Pourtant, intégrer un régiment du train ou d’artillerie est un rêve qu’il pense à sa portée.

Corinne Laurent

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