Un gendarme se tient devant un feu lors d'un rassemblement à Paris, le 23 mars 2023

Un gendarme se tient devant un feu lors d'un rassemblement à Paris, le 23 mars 2023

Les forces de l’ordre devraient connaître une nouvelle semaine de forte tension avec l’organisation mardi 28 mars d’une nouvelle journée de mobilisation contre la réforme des retraites. Des dérapages violents se multiplient depuis le recours au 49.3.
De la violence encore et toujours. Mais cette fois, loin des grands centres urbains et des manifestations contre la réforme des retraites. Ce week-end, c’est Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres qui a été l’épicentre d’affrontements d’une extrême dureté entre les gendarmes mobiles et des groupes d’individus très déterminés.
Les policiers, et plus particulièrement les CRS, savent que, dès cette semaine, ils seront de nouveau sur le pont. Avec comme point d’orgue la nouvelle journée de mobilisation organisée mardi 28 mars partout en France. La question sera dans toutes les têtes : comment assurer un maintien de l’ordre efficace dans un climat de haute tension tout en faisant un usage proportionné de la force et en respectant des règles élémentaires de déontologie policière ?
« Le maintien de l’ordre à la française »
Au début de la contestation de la réforme des retraites, tout semblait sous contrôle. Les premières manifestations s’étaient déroulées sans accroc majeur avec une bonne maîtrise des forces de l’ordre. Et certains se réjouissaient du changement opéré par Laurent Nunez, présenté comme bien plus modéré que son prédécesseur Didier Lallement à la tête de la préfecture de police de Paris. En fait, c’est principalement qu’avec ces manifestations syndicales les policiers agissaient en terrain connu. « Les cortèges étaient encadrés par les syndicats avec un parcours annoncé à l’avance. Et surtout, il était possible de dialoguer avant et pendant la manifestation avec les organisateurs », indique Denis Jacob, secrétaire général d’Alternative police-CFDT.
Lors des manifestations, la stratégie était claire : positionner les forces de l’ordre dans les rues adjacentes pour qu’elles soient le moins visibles possible des manifestants. Et éviter tout ce qui aurait pu donner le « sentiment d’une provocation policière », ajoute ce responsable syndical. « On a pu appliquer ce qu’on appelle le maintien de l’ordre à la française », précise Denis Jacob.
C’est dès le début du XXe siècle qu’est née cette stratégie sous l’impulsion du préfet de police Louis Lépine, favorable à un maintien à distance des manifestants par les forces de l’ordre. L’idée de cette stratégie est d’éviter au maximum le contact entre les uns et les autres en utilisant, comme aujourd’hui, des canons à eau ou des gaz lacrymogènes. « On montre sa force pour ne pas avoir à l’utiliser. Et pour éviter au maximum d’avoir des blessés parmi les manifestants, on accepte un minimum de “casse”, c’est-à-dire de dégradation d’un certain nombre de biens matériels : vitrines, abribus, voitures… », explique Jacques de Maillard (1), professeur à l’université de Saint-Quentin-en-Yvelines et directeur du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip).
Cette approche rencontre certaines limites face à l’émergence de nouvelles formes de mobilisation non déclarées à l’avance et animées par des individus venus pour en découdre avec les forces de l’ordre. Un tournant s’est ainsi produit avec l’émergence des mouvements zadistes et, en 2016, avec les manifestations contre la loi travail. Des « black blocs » ont alors fait leur apparition en tête des cortèges syndicaux. Dans ce cas, la stratégie du maintien à distance devient plus compliquée. « Si vous restez immobile à attendre que les pavés vous tombent sur la tête, là, vous pouvez être sûr que les gars vont tomber comme des mouches », explique un CRS.
La consigne d’aller « au contact »
Dans le mouvement contre la réforme des retraites, un changement majeur est intervenu le 16 mars, jour de l’utilisation du 49.3 pour faire adopter le texte. Le soir même, des regroupements spontanés ont eu lieu à Paris et dans de nombreuses villes de France, sans aucun encadrement syndical. Les policiers se sont retrouvés face à des groupes se déplaçant très vite pour se livrer à des actes de violence ou incendier des poubelles. Et là, fini le maintien de l’ordre à la française. Les policiers ont reçu la consigne d’aller « au contact » pour disperser les fauteurs de troubles et tenter de les interpeller. C’est là qu’on a vu se multiplier des arrestations dont de nombreux avocats ont dénoncé le caractère « arbitraire » et sans fondement.
Ce changement de stratégie s’est appuyé sur l’entrée en scène des Brav-M, ces unités de policiers se déplaçant sur des motos et aujourd’hui montrées du doigt. Il y a d’abord eu une vidéo montrant un membre de ces Brav-M décocher un violent coup de poing à un jeune homme. Vendredi 24 mars, Le Monde et le site Loopsider ont aussi dévoilé un enregistrement où l’on peut entendre des policiers tenir des propos menaçants et humiliants contre de jeunes manifestants. « Face à ces dérives, la stratégie des autorités est toujours la même : soit on dit que les images ont été sorties de leur contexte, soit on dit ce que ce sont des dérives individuelles et isolées. Alors qu’on devrait avoir une réflexion collective sur la manière dont ces unités se comportent », indique Olivier Cahn, chercheur au Cesdip.
Une radicalité qui touche les villes moyennes
Les policiers, eux, insistent sur la violence dont ils font l’objet. « Jeudi dernier, on a vu des gens vouloir incendier le commissariat de Lorient. C’est quand même assez inimaginable dans une ville qui n’est pas connue pour la radicalité d’extrême gauche qu’on voit habituellement à Nantes ou Rennes. Ce qui est nouveau, c’est que cette radicalité et cette haine des “flics” touchent même des villes moyennes. Jeudi, des collègues ont ainsi été blessés à Angers », explique Maxime Mettot, délégué du syndicat Alliance dans l’ouest de la France. «Il faut condamner certains actes inacceptables. Mais il n’est pas normal de jeter le discrédit sur des milliers de fonctionnaires qui, depuis des semaines, ont un comportement exemplaire lors de manifestations d’une très grande violence », indique Grégory Joron, secrétaire national du syndicat SGP-Police.
Pour Olivier Cahn, il est faux de dire que les violences actuelles atteignent un niveau jamais atteint par le passé. « Les autorités policières qui véhiculent cet élément de langage savent bien que, dans les années 1970, il y a aussi eu des mouvements sociaux d’une extrême violence avec des sidérurgistes, des agriculteurs ou des pêcheurs, explique-t-il. La différence avec aujourd’hui ? Ces manifestations étaient encadrées par des organisations syndicales avec lesquelles les forces de l’ordre pouvaient quand même négocier au bout d’un moment. »
Autre différence : les manifestations se déroulent désormais sous le regard des dizaines de caméras ou de smartphones. Ce qui, selon les policiers, peut créer une certaine forme de surenchère sur les réseaux sociaux, où peuvent être valorisés les actes de violences « anti-flics » ou les images de poubelles en feu. Des images, aussi, qui peuvent documenter certains actes de violences physiques ou verbales des garants du maintien de l’ordre.

---------------
Le maintien de l’ordre en France
L’armée. Jusqu’au XXe siècle, le maintien de l’ordre était principalement assuré par l’armée, qui avait parfois recours à une violence extrême. Le 1er mai 1891, à Fourmies (Nord), neuf personnes ont été tuées par balles à l’occasion d’une manifestation ouvrière pour la journée de huit heures. À Narbonne (Aude), en 1907, on a recensé sept morts en deux jours lors d’une manifestation de viticulteurs.
La gendarmerie. Créés en 1921, les escadrons de gendarmerie mobile (EGM) ont pris le relais pour assurer le maintien de l’ordre.
La police. En zone urbaine, les interventions sont assurées par les compagnies républicaines de sécurité (CRS), mises en place en 1945.
(1) Auteur avec Wesley Skogan de Police et société en France, Presses de Sciences Po, 2023.

Pierre Bienvault

Lien à la Source

 

Retour à l'accueil