Jean Vanier partage avec le Pape l'amour des plus faibles
21 mars 2014Le fondateur des communautés de l'Arche, Jean Vanier, 85 ans, a été reçu par le Pape François ce midi. Engagé depuis 50 ans dans le service des plus exclus, le philosophe d'origine canadienne partage avec le Pape la même vision d'un christianisme incarné, qui touche les réalités humaines les plus difficiles.
A l'occasion de sa visite à Rome, Jean Vanier, fondateur des communautés de l'Arche a répondu aux questions d'Antonino Galofaro.
Les origines de l'Arche
J’ai pris conscience, en visitant un aumônier d’un petit centre, que les personnes avec un handicap étaient parmi les gens les plus opprimés et les plus rejetés. Et encore aujourd’hui, ils gênent. Alors, on a eu tous les noms qu’on connaît : les idiots, les imbéciles, les handicapés, les inadaptés...toutes des choses négatives. Donc, j’ai découvert en 1964, une institution épouvantable où il y avait 80 hommes enfermés, sans travail. Il y avait deux dortoirs de 40 lits avec les lits côte à côte. C’était une institution qui servait les parents quand les parents ne savaient plus quoi faire, quand ils étaient débordés parce que leur enfant avait un handicap assez lourd. Les parents demandaient à la directrice : « Est-ce que vous pouvez prendre mon enfant ? ». Je dirais que la directrice avait du cœur mais pas beaucoup de tête, c’est-à-dire qu’elle ne cherchait pas le bien des personnes avec un handicap, elle cherchait à soulager les parents. Et on comprend, mais la critique que je ferais si je dois en faire, c’est qu’ils ne traitaient pas les personnes avec un handicap comme des personnes humaines qui ont le droit à la parole, le droit d’avoir des projets et des désirs, etc.
Et qu’est-ce qui a provoqué la naissance de l’Arche ?
L’Arche a commencé parce que j’ai découvert deux hommes avec un handicap mental dans cette institution et je les ai invités à venir vivre avec moi. En France, j’ai crée une association et j’ai acheté avec des amis une maison un peu délabrée et nous avons commencé à vivre à trois et puis, des gens sont venus m’aider. C’était essentiellement « vivre avec » et pas « faire pour ». Ce qui me frappe quand je pense à beaucoup dans ma communauté et dans d’autres communautés de l’Arche, c’est qu’ils ont été humiliés, pas écoutés, pas respectés.
Il y a cinquante ans, est-ce que vous imaginiez qu’il y aurait autant de monde autour de vous pour vous aider, pour vous soutenir ?
L’histoire de l’Arche, c’est une histoire d’émerveillement parce que l’Arche a grandi parce qu’untel est venu aider. Et elle a été changée. On a découvert que la personne avec un handicap est un messager de Dieu. Alors, il faut que des gens découvrent cela. Le fait qu’un nombre important l’ont découvert fait qu’aujourd’hui, à travers le monde, on doit être 4 000 personnes avec un handicap, avec 4 000 assistants. Et tous, dans un esprit de joie, de célébration. Ca ne veut pas dire qu’il n’y a pas quelque fois des problèmes et des difficultés. Mais le cœur de l’Arche est un lieu de célébration et je reste étonné parce que ce sont les personnes avec un handicap qui ont attiré des gens .Ce sont les personnes avec un handicap qui nous forment et nous rendent plus humain.
50 ans d'évolutions sociétales
Il y a certainement des éléments qui ont progressé. Pour les gens qui ne marchent pas, on peut plus facilement entrer dans les églises. Mais d’autre part aussi, il y a l’avortement qui prend une place énorme. Par exemple, une jeune femme que je connais vient de découvrir dans l’échographie que son enfant aura un réel handicap physique et mental. La première chose que le médecin dit : « Vous pouvez avoir une IVG ». C’est entré dans les mœurs. Pour elle, il n’en était pas question. Mais quand on dit « est-ce que ça va bien ou est-ce que ça va moins bien » sous cet angle, les personnes avec un handicap mental qui ont une réelle capacité, sont peut-être aidées mais il reste que pour beaucoup de personnes, ca gêne.
Aujourd’hui, il y a de nouvelles formes de handicap.
Je dirais la même chose avec la vieillesse. Nous entrons dans une époque très particulière où le nombre de gens faibles devient beaucoup plus grand que le nombre de gens actifs qui peuvent payer pour les faibles. Nous avons maintenant dans notre monde, un pourcentage important de gens qui souffrent d’Alzheimer. Nous découvrons la même chose où nous nous disons qu’en vivant avec les personnes avec un handicap, ils nous apprennent que l’essentiel, c’est la relation, c’est l’écoute, c’est le respect profond, c’est aimer. Je dirais que c’est la même chose pour ceux qui souffrent d’Alzheimer. Pour beaucoup de gens, ils ont l’impression que la personne est partie, mais elle n’est pas partie. Elle est là, cachée. Et ça implique de prendre du temps, de créer la relation, de tenir la main, beaucoup de tendresse. Alors, nous sommes dans un monde où le nombre de fragiles augmentent.
Le regard de la société sur ces personnes n’a pas vraiment changé ?
En réalité, il a changé et il n’a pas changé. Nous avons des para-olympiques et c’est super que des gens qui n’ont qu’une jambe puissent gagner des prix ! Mais le problème n’est pas simplement qu’il n’y en a que quelques uns qui doivent gagner dans des courses mais il y a une masse d’hommes et de femmes fragiles, humiliées, mises de coté et aujourd’hui avortées.
Les personnes handicapées et l'Église de François
Les plus fragiles et les plus faibles sont nécessaires à l’Église qui est le corps du Christ. Aujourd’hui, l’Église a tendance à aider les gens pour avoir une meilleure connaissance de la foi, c’est-à-dire d’augmenter la tête. Parce que quand il s’agit de vivre avec les personnes ayant un handicap, il ne s’agit pas d’avoir trop de tête, il faut surtout beaucoup d’écoute, beaucoup de simplicité et le désir de la rencontre.
Comment expliquez-vous le fait qu’on ait tendance à penser que l'Église catholique est l'institution qui est la plus proche d’eux ?
C’est vrai quand il s’agit des ordres religieux. Par exemple, les sœurs de mère Teresa sont super ! Ils sont devenus des groupes spécialisés et quelque fois, un petit peu à l’écart. Notre désir, c’est de créer des communautés dans la ville ou dans un village proche des gens du village pour que les gens du village et de la ville puissent les rencontrer. Il s’agit de les aider à développer leurs personnalités, leurs pensées, de les aider à tout point de vue à développer leur capacité de relations et de les vivre. Je ne dis pas toute l’Église parce qu’il y a des prêtres super mais il y a encore des prêtres qui refusent la communion à des personnes avec un handicap. Donc, il y a encore du travail à faire.
Quel travail ?
Beaucoup de gens se sentent gênés en face des personnes avec un handicap. Ils ont l’idée qu’il faut être spécialiste ou éducateur spécialisé pour les rencontrer. Le seul besoin qu’on a, c’est d’être humain pour créer une relation humaine avec eux, de rigoler, de s’amuser, de vivre des jeux. Parce qu’ils sont souvent à ce niveau d’une simplicité du cœur.
Depuis une année, le Pape François a un discours très tourné vers les plus faibles, les plus pauvres. On imagine que vous avez été particulièrement touché par le message du Pape François ?
Il est super ! Ce qui est extraordinaire chez lui, c’est qu’il y a le message et le messager. Et il est le messager qui incarne le message. Chaque fois qu’il rencontre quelqu’un, il le regarde comme si c’était le grand moment de sa vie. C’est vraiment le Pape de la rencontre, dans le sens profond de voir l’autre comme un être humain sans juger, juste rencontrer. Et je crois qu’il nous enseigne que la rencontre, ce n’est pas de convertir des gens, ce n’est pas leur dire des choses mais c’est de rencontrer et de voir l’autre comme Jésus le voit, c’est-à-dire avec un regard de tendresse, de bienveillance et d’amour. Le Pape François dit « ce qui est important, c’est de devenir l’ami du pauvre. Et l’amitié, c’est la rencontre, c’est la présence et c’est prendre du temps ».
Pour une société plus aimante
Ça sera toujours très personnel : changer le monde un cœur à a la fois. Et c’est vrai que quand quelqu’un rencontre et vit avec une personne avec un handicap, il découvre toute une partie de lui-même qu’il ignorait. Et il découvre que d’être un ami d’une personne avec un handicap le change et donne une autre vision de la société, pas une société très individualiste et compétitive mais une société où on essaie de créer des relations, de créer des groupes, de ramener des gens ensemble parce que le grand désir de Jésus, c’est l’unité. Créer des lieux où les gens se connaissent et se rencontrent sans peurs. C’est ça, la réalité. L’esprit de division crée des divisions. Et puis à ce moment-là, on a peur du différent. Et je crois que le grand message de Jésus, c’est : « n’aie pas peur. N’aie pas peur de rencontrer celui qui est différent. »
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