Homélie de frère Didier Croonenberghs, dominicain, dimanche 4 mai 2014

Actes des Apôtres 2, 14.22b-33
Psaume 15
1 Pierre 1, 17-21
Luc 24, 13-35

C’est comme une mise en scène de notre propre histoire que nous entendons dans ce récit des compagnons d’Emmaüs. Nos routes humaines, parfois tortueuses, doivent se frayer un passage entre espoirs déçus, désillusions et échecs. Et il peut se trouver dans les recoins de notre cœur, un peu de désarroi, un sentiment confus d’abandon ou de vide rendant plus difficile notre marche.

Mais ce que nous montre la traversée d’Emmaüs, c’est qu’au cœur de la désespérance, l’échec n’a pas le dernier mot pour Dieu. Un chemin de résurrection est toujours possible. L’échec peut être traversé. Il peut même ouvrir de nouveaux horizons. Oui, franchir barrière du désespoir et de la désillusion est possible pour celui qui prend le chemin d’Emmaüs.

Prendre ce chemin nous invite d’abord à quitter nos idéaux, nos sécurités —notre Jérusalem en quelque sorte— pour marcher vers l’inconnu. Emmaüs est en effet ce lieu qu’aucun historien ne peut localiser, comme pour nous montrer que toute histoire humaine est invitée à s’y mettre en scène. Quitter ses certitudes, ses désirs fusionnels pour aller vers l’inconnu, tel est bien le cheminement de tout être humain qui veut grandir dans la confiance. C’est aussi le lot de toute vie affective, qui doit —tout ou tard— faire l’expérience de la finitude et du manque : lorsque nos projets ne montrent pas leurs fruits, lorsque l’être aimé ne se révèle pas à la hauteur de nos attentes.

Pour traverser l’échec, il faut donc prendre un sentier non balisé : celui de la confiance. La confiance est cette capacité à avancer malgré l’épreuve. A tout âge, à chaque instant, elle peut germer en nous. Même au crépuscule de notre vie, quand le jour baisse, il est possible d’entrer dans une nouvelle phase de croissance. Il est possible de retrouver la confiance en posant un regard nouveau sur notre histoire personnelle.

Prendre ce chemin d’Emmaüs, c’est d’abord offrir une autre place à Dieu. C’est l’inviter à notre table, le rencontrer à notre hauteur. Découvrir qu’il se laisse déchiffrer dans l’ordinaire de notre existence. Dieu deviendra ainsi cette présence qui ne s’impose pas, qui ne condamne jamais l’échec, mais l’accompagne toujours de son regard de tendresse. Dieu vient ainsi se dévoiler au cours de notre marche, se laisse découvrir dans les méandres de nos chemins.

Loin d’être le grand écrivain de notre destinée, il se donne plutôt à reconnaître dans l’écriture de notre vie. Il se faufile entre les lignes de nos existences. Il chemine au gré des parchemins de nos histoires, comme une douce présence, qui respectera toujours nos routes et nos errances, les courbes de nos erreurs et de nos échecs. Parce qu’il respecte l’humain et sa liberté.

Voilà pourquoi il nous appartient de le découvrir dans nos rencontres, nos gestes de fraternité, nos paroles échangées en vérité. Tel est le paradoxe d’un Dieu qui a pris le chemin de l’humanité, qui nous parle dans nos silences, lorsque le sentiment d’absence se transforme en douce présence. Ce Dieu discret nous montre ainsi que le plus grand risque pour les croyants est peut-être de croire en son évidence. C’est bien souvent lorsqu’on s’accroche à un être au détriment de sa liberté, que celui-ci se dérobe à notre histoire et que — lorsqu’on ne s’y attend pas— la confiance peut venir frapper à la porte de notre cœur.

Mais l’histoire des pèlerins ne se s’arrête pas à Emmaüs. Pour retrouver la confiance, il nous faut relire nos attentes, nos projets, ce que nous sommes avec les yeux de Dieu, c’est-à-dire retourner à Jérusalem avec le cœur brûlant d’Emmaüs. Toute rencontre en vérité nous invite à faire ce chemin sur nous-mêmes, à revisiter notre vie, la relire avec les yeux de la confiance et non du désespoir.

Croire qu’une telle traversée est possible, est être désaveuglé comme les disciples de l’Evangile, c’est regarder l’être humain avec les yeux de Dieu. C’est quitter le culte de la performance qui refuse l’échec, pour entrer dans la culture de la confiance. Revenir à Jérusalem ne consiste pas à s’enfermer dans son passé, pour essayer soit de le revivre, soit de l’oublier. Revisiter ses projets, c’est oser croire qu’un échec passé ne condamne pas le futur. Voilà pourquoi il est de notre devoir de faire mémoire, de relire notre Histoire.

Revenir à Jérusalem, revisiter nos chemins et nos échecs, c’est finalement chercher des signes d’une résurrection déjà à l’œuvre dans notre monde.
A toutes et tous, je vous souhaite un très beau chemin de vérité, un chemin de résurrection. Amen.

Frère Didier Croonenberghs, Dominicain

Paroisse :
Eglise Sainte-Croix, Sart-Eustache (Belgique)

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