Homélie du dimanche 10 août 2014

Evangile selon saint Matthieu - Mt 14, 22-33

Un dimanche de nuit et de tempête. Nuit de découragement et de doute pour tous les personnages bibliques qui nous sont présentés. D’abord le prophète Elie qui s’est enfui au désert après l’échec de sa mission et vient de passer une nuit dans une caverne au sommet du mont Horeb.

Dans la traversée nocturne des grandes épreuves, il y a un temps pour l’ouragan, le tremblement de terre, le feu qui brûle tout. Puis vient le temps de l’apaisement. C’est alors, dans le murmure d’une brise légère qu’une parole neuve va pouvoir être entendue par Elie et qu’une orientation inattendue va lui être présentée par Dieu. Un successeur lui sera donné : Elisée

Nuit de prière solitaire pour Jésus aussi.

Jésus décide de prendre du recul peut-être après avoir nourri la foule. Il entend l’appel de Dieu à conduire son peuple dans une nouvelle traversée pascale de la mer, afin d’ouvrir les frontières de l’Alliance à tous les peuples du monde.
Longue nuit de doute et de peur enfin pour les disciples. Sans explications, Jésus les met à l’épreuve en restant seul pour renvoyer la foule, et en leur donnant l’ordre de quitter la terre d’Israël et de traverser la mer pour se rendre en terre païenne.

Le parcours spirituel de Jésus dans les évangiles n’a rien d’une ligne droite, d’un itinéraire fixé d’avance. L’évangéliste Matthieu inscrit ce parcours dans le même tracé que celui de Moïse et d’Elie. Moïse avait fui la maison du Pharaon et s’en était allé en terre étrangère pour échapper à la mort (Ex 2, 15). Puis il avait obéi à Dieu pour revenir en Egypte, afin de mener le peuple esclave au désert, et de le conduire vers une terre de liberté. Elie avait fui le roi Akab et sa femme Jézabel qui en voulaient à sa vie. C’est dans la solitude et le découragement sur la montagne désertique de l’Horeb que Dieu lui avait parlé, après ses tourments intérieurs.

Jésus semble vivre encore, lui aussi, un nouveau tournant dans sa mission. Jésus vient de rassasier la foule alors qu’elle manquait de tout. Forts de ce succès, ses disciples pouvaient s’attendre à voir leur maître en tirer profit. Mais non, pas question pour Jésus d’instrumentaliser ce succès. Il n’est pas un manipulateur, et n’est ni propagandiste ni populiste. Il “les oblige à monter dans la barque et à le précéder sur l’autre rive pendant qu’il renverra les foules.” Décision en apparente contradiction avec sa pitié pour elles. Avec une apparente brutalité, il demande aux disciples de quitter leur monde juif familier, pour se rendre sur la rive où vivent les païens. Cette traversée de la mer ressemble tout autant pour eux à un exil qu’à un exode. Après les foules affamées de Galilée, il les invite à affronter les foules hostiles et barbares qui n’appartiennent pas à leur univers. Celles qui sont loin de leurs synagogues, de leurs mentalités, de leurs vieilles habitudes, de leurs valeurs. Son comportement est en contradiction avec ce qu’ils attendent du Messie d’Israël.

Quelle tempête sous le crâne des disciples ! Ils vont ramer à contre vent, à contre cœur, faisant confiance à celui qui les appelle à le précéder sur l’autre rive. Ils rameront jusqu’à la fin de la nuit, remplis de peur et de doute, car dans ces moments on n’avance guère. Il y a dans le récit évangélique un détail étrange et sans doute important. Jésus est resté seul pour prier dans la montagne, le soir venu, à l’écart, comme Moïse lors du combat contre les Amalécites (Ex 17,12), dont Aaron et Hour gardaient les bras levés pendant que Josué ferraillait dans la plaine. On aurait pu s’attendre, en toute logique, à ce que Jésus se tienne dans la barque avec les disciples pour ramer avec eux, leur soutenir le moral. Mais non, il semble les abandonner, les laisser seuls, et c’est seulement vers la fin de la nuit qu’il se manifeste, alors même qu’ils sont exténués, à bout de leurs forces et remplis d’angoisse.

Quand il révèle sa présence c’est sous un double signe : celui de l’étrangeté d’un fantôme qui provoque la frayeur et paralyse, et celui de sa marche sur les eaux de la mer. La mer était un symbole de mort pour la culture juive. Dans l’Evangile, la marche du Christ sur les eaux symbolise sa victoire du ressuscité sur toutes les nuits et les frayeurs ancestrales du monde des humains. Les mots qu’il prononce sont parmi les plus forts de la foi chrétienne “Confiance, c’est moi, n’ayez pas peur !”. Ces mots, chacun peut les entendre à chaque traversée difficile de sa vie, à chaque moment de panique et de frayeur devant toutes les morts à affronter, devant toutes les rives inconnues où il lui faut accoster, au cœur de toutes les nuits interminables de ses épreuves. Remercions saint Pierre, une fois encore, pour sa confiance un peu naïve, pour ses doutes et ses peurs. Il n’a pas tenu longtemps à marcher sur les eaux pour aller vers Jésus. La panique a été la plus forte. Mais son courage nous encourage. Son cri au moment de s’enfoncer est un cri d’espoir : “Seigneur, sauve-moi !” Et la main de Jésus qui le saisit nous réconforte.

(…)

Combien grande serait sa joie aujourd’hui de voir les lueurs d’une aurore annonçant la fin de la longue nuit des discordes et des haines entre juifs et chrétiens, après des siècles de mépris et de malédictions mutuelles, mais aussi sa désolation de voir prospérer encore sur les sols qu’il a foulés, les déchirements de la haine et de la violence. Comme quoi il est des nuits qui peuvent être longues, mais l’espérance et la confiance ne doivent jamais s’éteindre. En Jésus, rien ne peut plus séparer de Dieu la multitude humaine. S’il nous arrive de douter de lui, sachons que lui ne connaît pas le doute et garde à jamais sa fidélité. Envers et contre tout, il continue de croire et d’espérer en l’homme.

Michel SCOUARNEC, Prêtre du Diocèse de Quimper et Léon

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