Christophe Roucou : « C’est à nous, religieux, de créer la fraternité »
30 juin 2015Christophe Roucou, depuis neuf ans à la tête du Service national pour les relations avec l’islam (SRI) au sein de la Conférence des évêques de France, quitte ses fonctions de directeur en septembre prochain. Il revient pour Saphirnews sur ces années d’échanges et de luttes communes pour le dialogue interreligieux islamo-chrétien et le vivre-ensemble.
Christophe Roucou, directeur du SRI : « L’interreligieux, ce n’est pas tant les conversations entre religieux qui importent que la manière dont des croyants en Dieu peuvent se mobiliser au service de leurs frères humains. »
Saphirnews : Quel bilan faites-vous de votre mandature ?
Christophe Roucou : Ce n’est pas à moi d’établir un bilan, c’est à mes responsables et à mes interlocuteurs de qualifier mon travail. Durant ces neuf ans d’exercice, les événements n’ont pas manqué. Le 3 septembre 2006, je prenais mes fonctions ; et le 12 septembre, il y a eu le discours dupape Benoît XVI à Ratisbonne (Allemagne) qui a provoqué des remous dans la communauté musulmane.
S’agissant de cette année 2015, au cours de laquelle je quitterai mes fonctions à la fin de l’été, elle est marquée par les événements de janvier en France et par ce que fait Daesh au Moyen-Orient. Il se passe toujours quelque chose : l’enjeu est de répondre et de se situer au mieux dans ces événements pour empêcher que les fossés et les incompréhensions ne s’accentuent. Sur 96 département en métropole, il doit y avoir 90 diocèses de France : en neuf ans, j’ai dû passer une soirée ou une conférence dans les trois quarts d’entre eux !
Et pour les mosquées ?
Christophe Roucou : Ce qui est sûr, c’est que je ne me suis pas rendu dans les trois quarts des mosquées [rires] ! Le livre d’entretien Le Prêtre et l’Imam, a été l’occasion d’aller ensemble, avec Tareq Oubrou, à la rencontre de gens dans un certain nombre de grandes villes et de villes moyennes. J’ai beaucoup apprécié le duo que nous formons. Je garde un souvenir d’une soirée dans une des mosquées de Nantes. Il y avait 650 personnes, dont la moitié chrétienne, dans la salle de prière : tous avaient retiré leurs chaussures… Je me réjouis quand une invitation est lancée dans une ville et que des musulmans et des chrétiens se mettent ensemble pour réaliser un événement.
À titre personnel, quels faits marquants retenez-vous ?
Christophe Roucou : Parmi les événements les plus récents qui me viennent à l’esprit, il y en a un qui n’avait pourtant pas attiré la presse. En octobre 2013, nous somme allés en Jordanie et au Liban avec une délégation de responsables chrétiens et musulmans religieux, dont Tareq Oubrou, et humanitaires pour dire notre solidarité et notre inquiétude aux réfugiés syriens. C’était une première, c’était un moment fort dans ce que nous avons vécu. La première fois que le président du Secours islamique France et un des hauts responsables du Secours catholique étaient ensemble. Pour moi, cela illustre beaucoup ce que doit être le dialogue interreligieux. Ce n’est pas tant les conversations entre religieux qui importent que la manière dont des croyants en Dieu peuvent se mobiliser au service de leurs frères humains.
Comment a évolué le dialogue interreligieux avec l’islam lors de votre mandat ?
Christophe Roucou : En certains endroits de France se trouvent d’anciens groupes tellement actifs qu’ils ont un peu épuisé tous les sujets d’échange sur l’interreligieux. Et puis il y a eu beaucoup de nouvelles initiatives, par exemple à Nîmes où un groupe de femmes chrétiennes et musulmanes mène des activités. Cela va cependant à une vitesse trop lente au regard des événements et des replis.
Malgré les fondamentalistes à la fois chez les musulmans et chez les chrétiens qui ne veulent pas entendre parler de l’autre, on avance. Chaque année, nous organisons des formations dans l’interreligieux. En 2015, c'est la première fois qu'on refuse du monde. Les événements dramatiques récents entraînent, il est vrai, des durcissements mais, en même temps, un désir de mieux comprendre.
Quel est votre constat au niveau européen ? Comment situer la France ?
Christophe Roucou : Je reviens d’une rencontre européenne avec les évêques sur les relations avec les musulmans en Suisse, nous étions une quinzaine de pays européens représentés. J’ai moi-même planché sur les rencontres imams-prêtres, je pense aux rencontres en Rhône-Alpes, celles qui ont lieu en Seine-Saint-Denis ou à Marseille… Les collègues des autres pays européens m’ont dit que cela n’existait pas chez eux. Il est difficile de faire comparaison mais, par exemple, en Espagne du côté de l’Église, pas du point de vue de la société, les musulmans sont toujours regardés comme des migrants.
En France, sommes-nous donc en avance ?
Christophe Roucou : Oui, d’une certaine manière, nous avons une certaine habitude, une confiance. En revanche, nous sommes en retard dans le domaine de la formation universitaire autour de l’islam adressée aux musulmans comme aux non-musulmans. Les institutions universitaires sont encore frileuses.
Quelles sont les luttes communes aux deux communautés ?
Christophe Roucou : Avant de parler de luttes ou de combats, je préfère parler d’enjeux communs. En premier lieu, l’enjeu de l’éducation et de la formation. Je trouve que nous devrions inventer beaucoup plus, toujours avec la question délicate de l’Éducation nationale, on ne travaille pas assez avec les jeunes sur des valeurs communes pour bâtir notre société. Je dis souvent que pour la liberté, l’égalité, il y a des lois, des législateurs pour les appliquer, mais la fraternité, aucune loi ne la mettra en forme. C’est à nous, religieux, de créer la fraternité. Nos deux conceptions de la foi appellent les hommes et les femmes à vivre en fraternité. Sans oublier l’enjeu de la solidarité : la répartition des richesses, la justice… Il y a quelques timides initiatives communes, mais il faut aller plus loin.
Depuis 2006, vous avez connu plusieurs papes, comment qualifiez le rapport du pape François avec l’islam ?
Christophe Roucou : Les musulmans ont souvent une mauvaise image du pape Benoît XVI à cause du discours de Ratisbonne. Mais rappelons que Benoît XVI est le pape qui a rencontré le plus de musulmans, d’après le cardinal Tauran. Le pape François vient d’Amérique latine, où les musulmans sont très peu nombreux au regard des autres continents. Il n’a pas l’habitude d’en rencontrer. Mais je trouve qu’il a fait un geste important à Bethléem et à Jérusalem en se faisant accompagner par son ami le rabbin de Buenos Aires et un ami musulman. On les a vus se donner l’accolade devant le mur occidental à Jérusalem et ce n’était pas pour les photographes. Le pape François ajoute une vraie relation d’amitié.
J’ai vécu neuf ans en Égypte, j’ai fait l’expérience qu’une amitié entre personnes de cultures et de religions différentes est possible. C’est cela qu’apporte le pape François, l’amitié. C’est la première fois qu’un pape utilise l’expression « les croyants de l’islam », alors que les textes précédents parlaient de « musulmans ». Le mot « islam » apparaît ainsi que le « Coran ». C’est une marque de respect. Le pape a décidé, à partir de l’automne 2015, de lancer une année de la Miséricorde. En choisissant ce thème, il a aussi à l’esprit la foi des musulmans et il cherchera à faire un geste en leur direction.
Les musulmans en France portent encore une image assez négative, quelle est-elle du point de vue des chrétiens ? Quel impact ont eu les persécutions des chrétiens d’Orient ? Des coptes d’Égypte ?
Christophe Roucou : Déjà, on ne peut pas dire « des chrétiens vis-à-vis des musulmans ». C’est vrai que le dialogue interreligieux est parfois difficile ; on sent bien que le débat traverse nos sociétés, qu’il se situe entre certains courants catholiques et certains courants musulmans. Quelquefois on se sent plus proche de quelques musulmans que d’autres catholiques qui ont des positions très différentes. Aujourd'hui, il y a davantage de crainte dans le regard.
C'est vrai, les exactions de Daech et la situation des chrétiens d’Orient pèsent. Il y a davantage de victimes musulmanes, mais il faut dire aussi qu’il y a un désir chez certains extrémistes d’éliminer les chrétiens pour leur foi. Ce n’est pas une question de nombre de morts ni de blessés, c’est toujours très délicat de faire ce décompte… En même temps, je pense à tous ces couples islamo-chrétiens en France, qui sont de plus en plus nombreux et nous montrent le grand respect exprimé pour la croyance de l’autre. Je suis toujours frappé par la qualité d’écoute des familles lors des prières effectuées à l’occasion des mariages.
Il y a donc des raisons d’espérer…
Christophe Roucou : Oui ! Je peux témoigner qu’il y a de plus en plus de mariages islamo-chrétiens. Nous, religieux, sommes clairs et n’encourageons pas forcément cela. Mais quand on voit des couples qui s’aiment et qui ne veulent pas abandonner leur union, cela interpelle. Il y a des chrétiens et il y a des musulmans qui ne se laissent pas prendre par l’idéologie et qui prêtent une attention aux personnes. Dans certains quartiers, la présence des musulmans est la plus visible et cela peut faire peur. Mais, pour moi, c’est positif. Quand on regarde la pratique des musulmans le vendredi et celle des chrétiens le dimanche, il y a une grosse différence. Cela nous rappelle notre foi.
Qu’attendez-vous de votre successeur ?
Christophe Roucou : Mon successeur est connu, c'est Vincent Feroldi qui est déjà en charge des relations avec les musulmans depuis des années au SRI. Il travaillera avec Jean-François Bour et Jean-Jacques Pérennès. Il est également arabisant. Quand je suis arrivé en 2006, je ne connaissais aucun responsable musulman français. Là, mon successeur les connaît déjà tous, c’est un atout.
Le SRI va continuer son chemin. J’ai tout à fait confiance en l’avenir, même si je trouve que l’Église catholique ne forme pas assez pour continuer les relations entre catholiques et musulmans. On a besoin à la fois de gens de terrain qui ont tissé des relations avec leurs voisins et de gens qui ont étudié l’islam et la langue arabe.
Quelles seront ses premières actions ?
Christophe Roucou : Nous sommes en train de réaliser un deuxième film. Le premier s’intitulait « Chrétiens et musulmans, les voix du dialogue » et le nouveau : « Le dialogue en acte ». Il ne suffit pas de dire « Rencontrez-vous », il faut des outils. On se rend compte qu’avec les jeunes générations, il faut être présent en images, sur YouTube notamment. J’ai lancé ce projet mais il aboutira après mon départ, à la fin de l’année.
Quelle va être la suite de votre parcours ?
Christophe Roucou : Je suis envoyé en tant que prêtre à Marseille, ville que je vais découvrir. Je vais rejoindre l’Institut catholique de la Méditerranée pour travailler à un niveau universitaire, toujours dans le champ des relations entre chrétiens et musulmans. L’archevêque de Marseille, Mgr Pontier, qui est le président de la Conférence nationale des évêques, souhaite que l’Institut soit encore plus ouvert à l’attention des migrants et qu’il ait des contacts avec Beyrouth, Rabat...
D’un point de vue plus personnel, j’ai pour ma part droit à trois mois sabbatiques. Comme j’ai beaucoup perdu de mon niveau d’arabe, mon projet pour les prochains mois est de passer huit semaines à retravailler la langue, puis de passer un mois dans un pays du Maghreb. Je ne serai opérationnel à Marseille qu’en janvier 2016.
BIO EXPRESS
Christophe Roucou a été ordonné prêtre de la Mission de France en 1980. Il est diplômé de l’Institut pontifical d’études arabes et islamiques (PISAI) à Rome. Envoyé en équipe avec d’autres prêtres de la Communauté Mission de France, il a vécu neuf ans en Égypte. En 2006, il a été nommé directeur du Service national pour les relations avec l’islam (SRI) de la Conférence des évêques de France. Il enseigne à l’ISTR, Institut de théologie des religions du Theologicum de Paris. Il est l'auteur de La foi à l’épreuve de la mondialisation (Éd. de l'Atelier, 1997) et de Le Prêtre et l'Imam, entretiens avec Tareq Oubrou, préface du cardinal Jean-Louis Tauran (Bayard, 2013).
Mérième Alaoui