Communauté et « Communautarisme »

Dans les échanges téléphoniques ou sur les réseaux sociaux qui ont suivi la publication de ma lettre du 16 avril 2020 à François OUZILLEAU, maire de Vernon, pour demander qu’un espace commun réunisse les sépultures des croyants musulmans (qui le demandent) au cimetière de Vernon, j’ai bien compris que ma proposition était critiquée du fait qu’elle risquait de conduire au « communautarisme » et non à l’intégration des compatriotes musulmans dans notre république !

Voici 42 ans que je suis prêtre et prêtre au travail (jusqu’en 2014). Mon dernier emploi : professeur en lycée professionnel public à Evreux m’a conduit à partager la vie de collègues musulmans et à dialoguer avec eux. Depuis que j’habite Vernon (à l’été 1993) je me suis engagé dans le dialogue interreligieux en particulier avec les associations des quartiers des Valmeux et des Boutardes.

Mon expérience de la rencontre et du dialogue avec les musulmans me conduit à préciser ce qui – pour moi - relève du communautarisme et ce qui relève de la bienveillance et du respect des traditions de chaque confession religieuse.

Dans toute confession religieuse – à commencer par la nôtre, l’Eglise catholique – la communauté est indispensable. Sans communauté le croyant ne peut pas vivre sa foi. C’est le Père Jacques Gaillot, évêque d’Evreux de 1982 à 1995 qui avait cette formule : « un chrétien isolé est un chrétien en danger » !

C’est de la communauté que je reçois mon identité religieuse ; c’est d’elle que je reçois les sacrements (qui nourrissent ma foi) ; C’est grâce à elle que j’ai accès à la lecture, à l’interprétation de la Bible et des Evangiles…

C’est d’elle que je reçois l’audace de la mission, de la rencontre et du dialogue avec les autres croyants et même avec les incroyants. C’est par l’intermédiaire de ma communauté que je reçois la force de l’ouverture et que je peux bannir la peur et le repli identitaire.

Grâce à elle je contribue à construire la paix et la fraternité.

A partir de quand la communauté se fourvoie-t-elle dans le communautarisme ?

A partir du moment où cette communauté se construit en opposition aux autres, en opposition au « vivre ensemble » dans la société, à partir du moment où elle nous sépare, nous isole, nous coupe. Cette communauté-là est en danger de sectarisme et de communautarisme !

Depuis que je suis en dialogue avec des croyants musulmans, j’ai découvert combien la communauté, la « oumma » avait une place prépondérante chez eux. Pour nous les catholiques la première place est donnée à la foi personnelle de chacun même si la foi ne peut pas se vivre en dehors d’une communauté. Pour le croyant musulman c’est grâce à la « oumma », à la communauté qu’il existe comme croyant et c’est à l’intérieur de cette « oumma » que s’exprime sa foi personnelle.

Depuis les origines de l’Islam la tradition ininterrompue veut que les croyants musulmans regroupent leurs sépultures dans la terre non pas dans le but de se couper des autres mais dans le but de se soutenir mutuellement dans la foi dans ce moment si douloureux qu’est la mort. Les « âmes des croyants doivent reposer ensemble » au cimetière.

Le signe qui est donné n’est pas le rejet des autres mais la primeur de la communauté.

Cette tradition est respectable – y compris dans un pays laïc comme le nôtre – dans la mesure où elle ne contrevient pas au « vivre ensemble » ni aux règles de la laïcité.

 

Le 20 avril 2020

Denis CHAUTARD

Prêtre catholique à Vernon (Diocèse d’Evreux)

Retour à l'accueil