Jeudi 1er octobre : fête de Sainte Thérèse de Lisieux Patronne de la Mission de France

Je vous propose la réflexion que j'ai adressée - à leur demande  - aux policiers chrétiens réunis en assemblée générale à Lisieux le 11 mars 2017 pour leur présenter les liens qui unissent la Mission de France à Thérèse de Lisieux :
1°) Mes premières « images » de Thérèse de Lisieux
J’ai deux images de Thérèse, deux images en apparence contraires.
Celle de mon enfance, transmise par maman, qui avait « grandi dans la foi » grâce à la Jeunesse Ouvrière Chrétienne, image qu’elle tenait de mon grand-père maternel. Il était poilu à la grande guerre, a été gazé, mais il a réussi à en revenir. Comme de nombreux poilus il portait sur lui un médaillon de la petite Thérèse (qui n’était pas encore sainte : elle a été canonisée en 1925.). Maman avait une image négative de Thérèse : mièvrerie, naïveté, culpabilité…
Plus tard c’est une autre image que j’ai découverte grâce à Edith PIAF, la chanteuse.
Edith, alors qu’elle avait 7 ans (en 1922), venait régulièrement en vacances chez sa grand-mère Léontine à Bernay dans l’Eure. Sa grand-mère qui tenait un commerce très particulier, une maison close, emmena sa petite fille en pèlerinage à Lisieux alors qu’elle était en train de devenir aveugle. Sur la tombe de Thérèse, les filles de joie qui accompagnaient Edith ont prié « très fort ». A son retour à Bernay l’enfant a progressivement recouvré la vue. Chaque année depuis ce jour et jusqu’à sa mort en 1963, Edith est venue (incognito) en pèlerinage à Lisieux remercier Thérèse. Malgré cela l’Eglise lui a refusé des funérailles religieuses. Cette fois c’est une toute autre image de Thérèse : celle de l’Amour et de la Miséricorde !
2°) La Mission de France à Lisieux
C’est le 24 juillet 1941 que le Cardinal SUHARD, archevêque de Paris, créé la Mission de France ici à l’Ermitage de Lisieux sous la forme d’un séminaire qui ouvrira ses portes en octobre 1942 avec le patronage de Sainte Thérèse de Lisieux, patronne des Missions et de la Mission de France, en vue de former des jeunes prêtres (venus de toute la France pour être envoyés « en mission » dans les banlieues ou les secteurs ruraux déchristianisés.) De nombreux prêtres qui avaient vécu le STO en Allemagne avec de jeunes chrétiens avaient été marqués par la « vie ouvrière » qu’ils ont partagée avec ces jeunes « réquisitionnés ».
Le Cardinal SUHARD  nomme un Sulpicien, le père Louis AUGROS, premier « supérieur » du séminaire de la Mission de France. Le 12 septembre 1943 paraissait le livre « France Pays de Mission ? », un ouvrage de deux aumôniers de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne, Henri GODIN et Yvan DANIEL, alertant l’Eglise de France sur la nécessité d’envoyer des « missionnaires » dans les milieux non chrétiens en France. Ce fut le livre de chevet du Cardinal SUHARD qui eut cette formule : « Il existe un mur qui sépare l’Eglise des masses et ce mur il faut l’abattre ! ».
Le séminaire de Lisieux a été un véritable « laboratoire », sous l’impulsion de Louis AUGROS, pour toutes les initiatives missionnaires en France durant la guerre et surtout à la fin de la guerre. Madeleine DELBREL y est venue à plusieurs reprises. En 1942 le séminaire comptait 30 prêtres, 54 en 1943 et 120 en 1944. Ces jeunes prêtres ont pris conscience que pour se lancer dans l’aventure missionnaire il fallait honorer deux conditions : partager la vie des gens et vivre en équipes. Ce fut le début de l’aventure (à la suite du STO) des prêtres ouvriers. En 1948 la Mission de France avait fondé 30 communautés dans 20 diocèses.
A la suite de l’opposition des courants traditionalistes, le Père AUGROS est mis à l’écart et obligé de démissionner le 28 mars 1952. Le séminaire de Lisieux ferme ses portes en 1953. L’aventure de la Mission de France qui portait une formidable espérance commençait dans la douleur.
Le 15 août 1954, alors que l’Eglise marquait un premier arrêt à l’expérience des « prêtres ouvriers », la Mission de France obtenait son statut canonique du pape Pie XII. La Mission de France devenait un « diocèse sans territoire » sous la responsabilité d’un évêque. Le siège de l’évêque est l’Abbatiale de Pontigny (dans l’Yonne). A partir de cette date la Mission de France a eu la possibilité « d’incardiner » des prêtres. Depuis 2002, date à laquelle a été fondée la « Communauté Mission de France », les « équipes de Mission » sont composées de prêtres, diacres et laïcs.
Je suis en équipe de Mission à Evreux, équipe qui compte un prêtre de la MDF (moi-même), un diacre diocésain et 3 laïcs engagés avec l’équipe. A côté de notre équipe, quatre anciens dont André, 90 ans, qui a commencé l’aventure avec la Mission de France au séminaire de Lisieux.
3°) Quelques repères historiques au sujet de Thérèse.
Louis et Zélie MARTIN (canonisés par le pape François en 2015) ont eu 9 enfants dont 4 sont morts avant l’âge de 6 ans :
Marie, sœur Marie du Sacré-Cœur est née le 22 février 1860. Elle entre au Carmel de Lisieux en 1886. Elle meurt le 19 janvier 1940.
Pauline, sœur Agnès de Jésus est née le 7 septembre 1861. Elle entre au carmel de Lisieux en 1882. Elle y devient prieure pour la première fois en 1893. Plus tard, le pape la nommera prieure à vie. Elle meurt le 28 juillet 1951.
Léonie, sœur Françoise-Thérèse est née le 3 juin 1863. Elle entre définitivement en 1899 à la Visitation de Caen. Elle y meurt le 16 juin 1941.
Céline, sœur Geneviève de la Sainte-Face est née le 8 avril 1869. Elle entre au Carmel de Lisieux après la mort de son père qu’elle a accompagné jusqu’à la fin. Elle meurt le 25 février 1959.
Marie-Françoise Thérèse MARTIN est née à Alençon (Orne) le 2 janvier 1873. J’ai visité la maison où elle est née et j’ai pu voir « son berceau » !
Leur mère, Zélie, est décédée le 28 août 1877. Ce fut pour Thérèse une blessure très cruelle. Dès ce jour-là Thérèse s’est attachée à sa sœur Pauline comme à une seconde maman. Pauline est entrée au Carmel le 2 octobre 1882. Ce fut encore un énorme choc pour Thérèse.
Après l’entrée de Pauline, Thérèse n’a eu de cesse de vouloir entrer à son tour au Carmel. C’est à la suite d’un pèlerinage à Rome, qu’elle obtient de son évêque l’autorisation d’entrer au Carmel le 9 avril 1888 à l’âge de 15 ans. Elle prend le nom de sœur Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face.
Au Carmel Pauline (Mère Agnès de Jésus) demande à Thérèse d’écrire ses souvenirs d’enfance.  
Thérèse meurt au Carmel de la tuberculose le 30 septembre 1897 après une longue agonie et de grandes souffrances.
Thérèse a laissé trois manuscrits et une impressionnante correspondance :
-          Le manuscrit A : les récits de l’enfance jusqu’à l’entrée au Carmel
-          Le manuscrit C : le récit de sa vie au Carmel de juin 1897 jusqu’à sa mort le 30 septembre 1897
-          Le manuscrit B : une lettre à sa sœur, Marie MARTIN (Sœur Marie du Sacré Cœur) à qui elle raconte les grâces décisives de 1896
Les manuscrits A et B n’avaient pas vocation à être publiés (ils sont adressés à ses sœurs). Seul le manuscrit C a été rédigé dans l’idée d’une publication « post mortem ».
« L’histoire d’une âme » (le recueil « mis en forme » par Mère Agnès de Jésus de ces trois manuscrits) sera tiré en 2000 exemplaires en septembre 1898. En 1951, après le décès de Mère Agnès de Jésus, le pape Pie XII demande que soit restitué le texte original. Ce sont plus de 7.000 modifications (de style pour la plupart, mais aussi de fond pour des expressions qui paraissaient choquantes à l’époque) qui avaient été apportées.
Les manuscrits – dans leur forme originale – ont été publiés en 1956. Ils ont été édités dans 50 langues et vendus à 500 millions d’exemplaires.
Thérèse est canonisée le 30 septembre 1925 par le pape Pie XI.
Le 19 octobre 1997, l’année du centenaire de sa mort, sainte Thérèse est proclamée Docteur de l'Église par Jean-Paul II.
Les docteurs de l’Eglise sont au nombre de 36 : 32 hommes et 4 femmes. Après Hildegarde de Bingen, Catherine de Sienne et Thérèse d’Avila, Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face est la plus proche de nous. Les docteurs de l’Eglise sont des théologiens, universitaires et savants. Thérèse n’est rien de tout cela. Jean-Paul II l’a déclarée « Docteur en Science de l’Amour » ! Elle nous montre un chemin vers Dieu radicalement nouveau : « la petite voie » !
4°) Avec Thérèse c’est une véritable « révolution « copernicienne » :
« Ce qui a été caché aux sages et aux intelligents, Dieu l’a révélé aux tout-petits ! »
A l’époque de Thérèse (très marquée par le Jansénisme) on voulait atteindre la sainteté par des « mortifications », des sacrifices, en se faisant du mal. Le monde était une « vallée de larmes ». La religion était basée sur la peur : peur du monde, peur du démon, peur de l’enfer !
La « religion » de Thérèse n’est pas basée sur les devoirs, sur les efforts, ni sur la peur mais sur l’amour. Bien avant le concile Vatican II, Thérèse témoigne – par toute sa vie – que « Dieu est Amour ».
Thérèse ne cherche pas – par ses mérites - à « s’approcher » de Dieu. Elle laisse Dieu « s’approcher d’elle » !
Pas besoin de sacrifices ni de mortifications ! Les évènements et les épreuves de la vie suffisent amplement !
Thérèse ne veut pas aller vers Dieu par un escalier « épuisant » pour elle qui est souffrante et malade. A l’époque où l’on construit les premiers « ascenseurs » elle veut un moyen direct et le moins fatigant possible pour aller à Dieu !
C’est dans le quotidien, dans les choses les plus simples que Dieu nous rejoint. Eplucher des pommes de terre, faire la vaisselle avec amour : pas besoin de réaliser des « exploits » !
Quand je m’endors lors de l’oraison à la chapelle, Dieu est là !
Cette liberté de Thérèse est le signe « qu’elle vit vraiment d’Amour ».
Thérèse et sa pluie de roses représentent souvent la mièvrerie et l’infantilisme.
En réalité cette « petite voie », la « voie de l’enfance » (Thérèse est entrée au Carmel à 15 ans !) nous enseigne deus choses que les adultes ont trop souvent oubliées :
« Laissez venir à moi les petits-enfants, ne les empêchez pas ! Le royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent »
            L’enfant est le modèle du croyant :
-          Les enfants font confiance à l’Amour (alors que les adultes, « blessés par la vie », en sont trop souvent empêchés).
-          Les enfants sont capables d’émerveillement : une fleur, un oiseau, un soleil couchant…
5°) Thérèse et les incroyants :
(Ce paragraphe est largement inspiré par les écrits du Père Dominique FONTAINE, Prêtre de la Mission de France et aumônier national du Secours Catholique)
Lors des hémorragies de la nuit du jeudi au vendredi saint 1896, Thérèse vient de ressentir dans son corps que la mort est désormais proche.
Après un moment de joie (« la pensée du ciel faisait tout mon bonheur ») Thérèse est confrontée à la question du néant après la mort et du doute sur l’au-delà !
Ce qui est impressionnant – de la part de Thérèse – c’est qu’elle ne considère pas que ce doute est une tentation du démon (comme le pensaient toutes les croyants de cette époque), mais que c’est Jésus lui-même qui la met à l’épreuve !
Elle découvre – « dans sa nuit de la foi » – l’athéisme et par ce fait qu’il existe des âmes qui refusent Dieu. Elle se découvre en solidarité avec les incroyants : « Elle accepte de manger aussi longtemps que vous le voudrez le pain de la douleur et ne veut point se lever de cette table remplie d’amertume où mangent les pauvres pêcheurs avant le jour que vous aurez marqué » (manuscrit C). En acceptant de rester à la table des pêcheurs (comme elle le dit) Thérèse s’est rendue intérieure à l’expérience spirituelle des incroyants. C’est le charisme même de la Mission de France.
Alors qu’elle accepte de rester dans l’obscurité, assise à la table des pêcheurs, Thérèse exprime son désir dans sa prière au Christ : « Que ceux qui ne sont point illuminés du lumineux flambeau de la foi le voient luire enfin ». Ce flambeau de la foi pour Thérèse, c’est la charité !
La mission ce n’est pas du prosélytisme, c’est l’amour vécu sur le registre des actes les plus humbles de la vie quotidienne. Ses actes de foi sont des actes d’amour gratuits vécus au quotidien.
Le flambeau de la charité doit éclairer tous ceux qui sont dans la maison sans excepter personne.
Thérèse nous fait donc découvrir que la tâche du missionnaire est d’aimer : aimer les gens auxquels nous sommes envoyés, aimer chacun sans choisir ceux qui mériteraient notre amitié, vivre humblement la bonté du cœur du Christ.

Denis Chautard
Prêtre de la Mission de France
Aumônier de la Délégation d’Ile de France de Police et Humanisme
A l’Ermitage de Lisieux
Samedi 11 mars 2017

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